Les violences domestiques au Cambodge
Malgré les politiques publiques, les ONG alertent sur la persistance des violences faites aux femmes et aux enfants, et réclament une réforme urgente de la loi de 2005.
Les organisations de défense des droits humains appellent à un renforcement des lois et des dispositifs de protection alors que les violences domestiques et sexuelles continuent de faire des victimes au Cambodge. Selon un rapport publié par LICADHO, au moins 146 femmes et enfants ont été tués au cours des cinq dernières années, malgré les déclarations officielles de progrès en matière de lutte contre les violences basées sur le genre.
Des chiffres alarmants
Entre 2020 et août 2025, LICADHO a recensé 146 meurtres liés à des violences domestiques ou sexuelles, dont 96 femmes et 46 enfants. L’organisation estime que le nombre réel est probablement plus élevé, de nombreux cas n’étant ni signalés ni enquêtés.
Parmi les victimes figuraient 27 filles et 19 garçons, ainsi que quatre hommes. Le plus jeune n’avait qu’un mois et la plus âgée 84 ans. Au moins quatre femmes enceintes comptent parmi les personnes tuées.
Plus de la moitié des victimes ont été assassinées par leur conjoint ou ex-conjoint. « Soixante-dix-huit femmes et une adolescente de 17 ans ont perdu la vie sous les coups de leur partenaire », indique le rapport, précisant que « huit enfants, souvent tués par leur père, figurent également parmi les victimes ».
Le document fait aussi état de 24 cas de viol ou de tentative de viol, dont les victimes étaient âgées de cinq ans à l’âge adulte. Les auteurs étaient le plus souvent des voisins ou des membres de la communauté, parfois des collègues, amis ou proches.
« Dix bébés de moins d’un an et dix-sept enfants âgés d’un à six ans ont été tués par des membres de leur famille, souvent lors de disputes domestiques ou parce qu’un adulte, frustré, n’arrivait pas à calmer un bébé qui pleurait », écrit LICADHO.
Une loi incomplète et une protection insuffisante
Pour Mao Map, directrice exécutive de l’organisation Klahaan, ces résultats sont profondément préoccupants. « Ces chiffres montrent que malgré les lois, les politiques et les plans d’action, la violence fondée sur le genre continue de détruire des vies et des familles au Cambodge », déclare-t-elle.
Selon l’Enquête démographique et de santé 2021–2022, 21 % des femmes ayant eu un partenaire ont subi des violences émotionnelles, physiques ou sexuelles. Parmi elles, plus de 75 % disent avoir ressenti de la peur, et près de 90 % affirment que leur partenaire faisait preuve d’un comportement de contrôle.
« La loi sur la prévention de la violence domestique reste incomplète et les survivantes rencontrent encore de sérieux obstacles pour accéder aux services publics », poursuit Mao Map. « Les inégalités de genre, les stéréotypes culturels et la faiblesse de l’intervention des autorités aggravent encore la situation. »
L’ONG Banteay Srei a, de son côté, accompagné 342 victimes de violences domestiques entre 2020 et 2024 dans les provinces de Battambang et Siem Reap, révélant les limites du système judiciaire et du soutien gouvernemental.
Le gouvernement met en avant ses progrès
Le ministère des Affaires féminines souligne pour sa part des avancées significatives. Sa porte-parole, Sar Sineth, rappelle que le taux de violence conjugale a diminué, passant de 29 % en 2014 à 21 % en 2022 selon les mêmes enquêtes nationales.
« Cette baisse reflète les efforts du gouvernement et des ministères pour faire du Cambodge un modèle régional », affirme-t-elle. « Nous mettons en œuvre des lois, des politiques et des plans d’action nationaux pour lutter contre les violences faites aux femmes et aux filles de manière éthique et efficace. »
Elle précise que le Cambodge a réaffirmé ses engagements lors de la Conférence internationale sur la population et le développement à Nairobi, en lançant de nouvelles stratégies de prévention et de réponse face aux violences de genre.
Des réformes légales attendues
LICADHO rappelle que le gouvernement s’est engagé à réviser la loi de 2005 sur la prévention de la violence domestique et la protection des victimes, conformément à ses plans d’action nationaux II et III. Une feuille de route aurait été finalisée en 2023, mais n’a pas encore été rendue publique.
L’organisation estime que la loi actuelle comporte « de graves lacunes dans presque toutes ses sections ». Elle ne définit pas clairement les différentes formes d’abus — physique, sexuel, émotionnel, psychologique ou économique — et tolère les violences dites « mineures », tout en n’imposant aucune responsabilité claire aux autorités pour protéger les victimes.
Pour Mao Map, toute réforme devra étendre la protection à toutes les personnes à risque, clarifier les définitions, fixer des sanctions précises et garantir une intervention rapide. « Les policiers et responsables locaux doivent être formés pour traiter les cas avec sensibilité et respect du genre. Il faut aussi enseigner aux enfants l’égalité, le consentement et le respect dès le plus jeune âge », insiste-t-elle.
Une volonté politique encore fragile
Sar Sineth assure que le ministère poursuit plusieurs initiatives, dont le Sixième Plan stratégique pour les femmes, le Plan national de prévention des violences faites aux femmes et la création d’unités d’accueil intégrées pour les survivantes.
« Le ministère agit sur de nombreux fronts », dit-elle. « Nous renforçons les compétences des intervenants, menons des campagnes de sensibilisation et élargissons les programmes d’aide aux victimes. »
Cependant, LICADHO exhorte les autorités à publier leur feuille de route législative et à consulter la société civile, les associations de défense des droits des enfants et les survivantes avant toute adoption de la loi révisée. Sans réforme profonde, préviennent les défenseurs des droits, de nombreuses victimes continueront de souffrir dans le silence.
Par Teng Yalirozy – Cambodianess / Lepetitjournal.com – 23 octobre 2025
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