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Birmanie, de la ligne de front aux bureaux de vote

Dans un pays ravagé par une guerre civile sans fin, la junte birmane prépare contre vents et marées une nouvelle élection parlementaire nationale qui aura lieu entre fin décembre 2025 et janvier 2026. Une consultation « démocratique » surréaliste alors que la junte ne contrôle que moins d’un tiers du territoire national.

Voilà près de vingt ans, le 2 mai 2008, le cyclone Nargis, le plus destructeur jamais vu jusqu’alors en Birmanie, ravageait le delta de l’Irrawaddy (ouest) et la région de Rangoun (1er centre urbain du pays), laissant dans son sillage un bilan humain effroyable (plus de 140 000 morts), des dégâts matériels inouïs, d’insupportables scènes de détresse humaine et de désolation. A tout le moins du côté de la population civile, abattue par l’amplitude du désastre et le chaos en résultant ; pareil accablement ne pouvait en revanche guère se lire sur le visage et dans les propos des généraux birmans formant la junte alors au pouvoir (State Peace and Development Council).

De fait, aveugle au malheur affligeant l’ouest de l’État, sourde aux injonctions d’une communauté internationale et humanitaire invitant les hommes en uniforme à autoriser une aide extérieure d’urgence sur le terrain sinistré, la junte prenait sans remords le parti de dérouler sa feuille de route politique – comme si de rien n’était ou presque – et de procéder comme prévu, une semaine à peine après les ravages de Nargis, à l’organisation d’un référendum le 10 mai 2008. La population était priée de se prononcer sur une nouvelle constitution, rédigée par des constitutionnalistes pro-armée, réservant une place de choix aux généraux dans la gestion des affaires politiques, à des lieues de tout bon sens démocratique. Les régions les plus touchées par le cyclone seront finalement autorisées à « voter » deux semaines plus tard, dans les conditions de régularité que l’on devine.

Fin 2025, deux décennies plus tard donc, dans la République de l’Union de Birmanie, les généraux birmans – l’alpha et l’oméga de l’autorité et du pouvoir -, de nouveau aux affaires depuis leur coup d’état militaire du 1er février 2021 écrasant sous leur botte les velléités démocratiques d’une majorité de Birmans*, ressortent leur implacable roadmap martiale et leurs arguments de campagne sujets à caution, haranguent les foules et embastillent les opposants, tout entiers focalisés sur l’organisation (en deux phases) les 28 décembre 2025 et 11 janvier 2026 d’élections parlementaires nationales ; ou à tout le moins dans une partie du pays, là où les conditions de sécurité sont supposées le permettre.

Si l’appellation de la junte est nouvelle – adoptant depuis cet été l’improbable nom de Commission nationale pour la sécurité et la paix (la sinistre morgue que voilà) -, son sens des priorités n’a guère muté : peu importe que la quasi-totalité des 680 000 km² du pays soient endeuillés depuis quatre éreintantes années par une guerre civile faisant quotidiennement, de l’Etat Kachin à l’Arakan, des régions de Magwe et Mandalay aux Etats Mon et Karen (et on en passe), son lot de victimes, de désolations, de réfugiés toujours plus nombreux sur les routes, les bureaux de vote, les isoloirs, les listes électorales et les candidats, tous et toutes doivent être prêts pour le 1er rendez-vous électoral du quinquennat écoulé. De fait, cette fièvre électorale ne passionnant guère les foules (les meetings politiques, les rassemblements publics sont strictement encadrés par les autorités, sinon purement et simplement interdits) laisse le champ libre au parti pro-militaire Union Solidarity and Development Party (USDP) pour occuper le terrain, à défaut d’autre chose.

Un projet électoral auquel n’adhère qu’une fraction congrue des 54 millions de Birmans, bien davantage concernés par une vie quotidienne hachurée par les combats, les destructions, les carences, la répression s’abattant inlassablement sur les opposants, que par un scrutin qualifié de farce électorale avant l’heure d’un bout à l’autre de cet Etat du Sud-Est asiatique, et de New York (Nations unies) à Bruxelles (Union européenne) en passant par Paris où ces jours derniers, en plus d’appeler (à nouveau) à la remise en liberté immédiate et sans condition de La Dame de Rangoun* , l’Elysée rappela que la France « soutient une désescalade de la violence et les voies vers la paix tracées par les dirigeants politiques légitimes ».

Rien qui n’ébranle hélas les officiers galonnés ayant écarté du (douteux) scrutin à venir les formations politiques (ainsi que leurs plus charismatiques candidats et leurs soutiens dans la population) susceptibles d’attirer vers leur bannière prodémocratie un électorat lassé par une guerre civile s’enlisant depuis 2021. Et dont ne semble guère trop se soucier le concert des nations ; à décharge, il est vrai que des marges orientales de l’Europe au Moyen-Orient, le tumulte des armes, le son terrifiant des canons et les essaims de drones meurtriers emplissent à eux seuls un espace considérable.

Du reste, en Asie du Sud-Est elle-même, la perception des événements balafrant sans relâche la Birmanie varie considérablement d’une capitale à une autre, d’un pays membre de l’ASEAN à son voisin ; sans surprendre, parmi cette dizaine d’Etats, les régimes où la place et l’autorité de l’armée sont les plus affirmées – Cambodge, Laos et Thaïlande – et la gouvernance sinistrée, se rangent parmi les moins insistants à orienter les acteurs birmans concernés vers une sortie de crise négociée. Aucune stratégie concertée ne semble se dégager avec le National Unity Government – le gouvernement parallèle civil prodémocratie -, dont la colonne vertébrale repose notamment sur les cadres de la LND d’Aung San Suu Kyi, et sur une noria de groupes ethniques armés.

Les principaux responsables de la junte, à commencer par le senior-general et n°1 Min Aung Hlaing, sont beaucoup plus familiers des confortables séjours moscovites et pékinois, à des lieues de toutes velléités de sanctions de ces hôtes compatissants se souciant peu du sort de la population birmane.

Parmi celle-ci, notamment dans les rangs (armés) des acteurs s’opposant directement sur les innombrables lignes de front (cf. en Arakan, dans les Etats Shan ou Karen, dans les régions de Magwe ou de Mandalay) et autres théâtres d’hostilité éparpillés sur tout le territoire – on pense ici notamment à la myriade de groupes ethniques armés*, de milices citoyennes locales prodémocratie (les fameuses People’s Defence Forces ou PDF) -, on promet au régime militaire une opposition résolue à la tenue de ce scrutin privé de tout crédit avant même le dépôt du premier bulletin dans l’urne.

Dans les quelque 200 townships où la junte espère convier les (rares) électeurs vers les isoloirs, une atmosphère nourrie par un déploiement sécuritaire n’inspirant guère à la rêverie, lestera plus encore la main hésitante de l’homme de la rue. Si tant est naturellement que ce dernier se risque hardiment jusqu’aux files d’attente ; lesquelles, assurément, devraient à la grande différence du rendez-vous électoral de l’automne 2020 (auquel avaient participé les ¾ des 37 millions d’individus inscrits sur les listes électorales), encombrer très modestement le pavé poussiéreux des rues de Rangoun, Mandalay, Naypyidaw ou Pathein.

Voulu à tout prix par le régime militaire, le scrutin de décembre-janvier et la campagne électorale en amont de ce dernier n’ouvrent pas pour autant une pause dans les hostilités en cours. Le régime a concédé une série de revers et cédé de vastes espaces aux forces ethniques armées (lesquelles avaient notamment engagé dans le Nord de l’État Shan à l’automne 2023 l’opération 1027, point de départ d’une offensive et d’un nouvel élan de la résistance armée sur tout le territoire). Ces derniers mois, à mesure que se dessinait la perspective des élections de fin d’année, les troupes de la junte se sont montrées à nouveau plus entreprenantes (à grands renforts d’appui aérien systématique faisant leur lot de victimes civiles collatérales). Dernièrement, l’armée régulière aux ordres de Min Aung Hlaing et de ses pairs généraux est ainsi parvenue à reprendre diverses place-fortes et positions clefs dans l’État Shan, dans la région de Mandalay (district de Thabeikkyin) – après avoir conclu fin octobre un accord de cessez-le-feu avec la Ta’ang National Liberation Army (TNLA), fortement « suggéré » par Pékin, ou encore dans les États Kachin (Nord du pays ; région de Hpakant) et Karen (région de Lay Kay Kaw). Pour autant, en ces premiers jours de novembre, la tatmadaw (nom de l’armée en birman) demeure encore très loin d’asseoir son autorité sur la totalité du territoire ; à titre d’exemple, en Arakan (État Rakhine ; ouest du pays), elle n’a cessé de se replier face aux assauts continus de la très déterminée Arakan Army (AA), au point aujourd’hui d’être assiégée de toutes parts et de ne plus contrôler que Sittwe, Kyaukphyu et Manaung.

Par Olivier Guillard – Asialyst – 6 Novembre 2025

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