Vietnam : le bambou plie vers le libre-échange
En quelques décennies, le pays de l’oncle Hô est devenu un pilier économique de l’Asie et un partenaire essentiel des superpuissances chinoise et états-unienne. Avec un rapide développement conquis sur le fil du capitalisme et du socialisme, le Vietnam doit dompter l’un pour conserver l’autre.
Ce 30 avril 2025, à Hô Chi Minh-Ville, pour les 50 ans de la libération du Vietnam, le secrétaire général du Parti communiste vietnamien (PCV) Tô Lâm prend la parole, entouré de deux drapeaux rouges, l’un frappé de l’étoile, l’autre de la faucille et du marteau. « Pays pauvre, arriéré, ravagé par la guerre, isolé et assiégé de toutes parts, le Vietnam est aujourd’hui devenu un pays en développement, aux revenus proches du seuil intermédiaire supérieur, profondément intégré à la vie politique mondiale, à l’économie globale », se félicite-t-il.
Après des décennies de colonisation (1887-1945) et de guerres française (1946-1954) et états-unienne (1955-1975), les gouvernements vietnamiens ont, en moins d’un demi-siècle, quasiment éradiqué la misère, avec un indice de pauvreté multidimensionnel de 1,93 % contre 60 % en 1986.1986, c’est aussi le point de départ du Doi Moi, le « renouveau » économique qui désigne les réformes libérales semblables à celles de la Chine dans les années 1970 ou de l’URSS de Lénine dans les années 1920.
Brouiller les pistes
Dès 1977, le premier ministre Pham Van Dong se rend en France, se rappelle l’historien spécialiste du Vietnam Alain Ruscio. « Nous ferons la démonstration que nous allons vaincre la sous-alimentation comme nous avons vaincu l’impérialisme », promet-il à ses alliés communistes. « Ajoutons au blocus états-unien l’affaiblissement de l’URSS, et donc du monde socialiste, continue l’historien, le Vietnam ne pouvait que compter sur lui-même. Après 1991, l’ouverture sur le monde et sur une certaine privatisation était une question de survie. »
Depuis, le pays d’Asie du Sud-Est suit sa voie, entre libéralisme et socialisme, brouillant quelque peu les pistes. À Hô Chi Minh-Ville, Tô Lâm répète les objectifs de son prédécesseur Nguyen Phu Trong, décédé en 2024 : faire du Vietnam « un pays en développement, avec une industrie moderne et un revenu moyen élevé » d’ici à 2030 ; puis « un pays développé avec des revenus élevés, à orientation socialiste », d’ici à 2045.
Le secrétaire général du PCV insiste sur « l’économie privée, qui doit être reconnue comme l’un des moteurs les plus importants de l’économie nationale. Nous devons continuer à rompre avec les schémas de pensée habituels et les méthodes anciennes, en créant de nouvelles forces de production, de nouvelles ressources et une qualité nouvelle ».
La transformation est bien réelle : alors que plus de 70 % des travailleurs étaient aux champs au début des années 1990, ils ne sont désormais plus que 27 %. Pour le riz, notamment, dont le Vietnam est le cinquième exportateur mondial, ou la noix de cajou, sur laquelle le pays est leader.
L’industrie et les services, secteurs qui ne concernaient chacun que 13 à 14 % des actifs en 1990, représentent 33 % et 39 % aujourd’hui, et le tertiaire compte pour plus de la moitié du PIB du pays. Quant à la croissance annuelle, elle n’est jamais passée en dessous des 5 % depuis 1988, mis à part la crise sanitaire de 2020-2021.
Désirable, l’idéal chinois du socialisme – qui doit passer par une phase de « capitalisme d’État » tel que formulé par Mao Zedong et Deng Xiaoping – repose sur une gigantesque population et une volonté politique inflexible.
Plus petit et libre depuis peu de temps, le Vietnam a réussi son ouverture sur l’extérieur et est devenu, à la faveur de la « diplomatie du bambou » de Nguyen Phu Trong, un acteur commercial essentiel au niveau mondial.
Une ligne de fracture entre habitants du nord et du centre
Partenaire privilégié du voisin chinois, dont il fait transiter les marchandises, le pays a signé aussi un accord de libre-échange avec les États-Unis. Cela a mené le Vietnam a des sommets d’exportations : 405 milliards de dollars en 2024, contre seulement 15 milliards au début du millénaire.
Après les menaces de Donald Trump (46 % de droits de douane), États-Unis et Vietnam se sont accordés début juillet sur 20 % de taxes sur les produits vietnamiens, 40 % sur les transits de marchandises (chinoises notamment), et « l’ouverture totale de leurs marchés » aux entreprises américaines, s’est félicité le résident de la Maison-Blanche.
« L’ambition est de conserver un cap socialiste, mais en passant par une phase de libéralisme assez sauvage, qui laisse la porte ouverte aux investisseurs étrangers », observe Alain Ruscio. Quitte à perdre pied ?
Depuis le Doi Moi, « le Vietnam a dû renoncer à des acquis comme l’éducation gratuite ou la santé pour tous qui, même rudimentaire, était très efficace, poursuit-il. On a aujourd’hui une société à deux, voire trois vitesses, avec des poches de misère qui subsistent dans les campagnes », à l’intérieur des terres du nord notamment.
Si le salaire moyen était d’environ 300 dollars par mois en 2024, le capitalisme traîne derrière lui les inégalités et trace une ligne nord-sud qui fracture les populations vietnamiennes du nord et du centre : les habitants des côtes gagnent en moyenne deux à trois fois plus que ceux de l’ouest.
Par Axel Nodinot – L’Humanité – 15 novembre 2025
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