Conflit Cambodge-Thaïlande : le poison du nationalisme
La frontière que partagent ces deux pays est régulièrement un sujet d’affrontements. La persistance de ce conflit souligne les limites d’un multilatéralisme faible comme celui de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est, et l’impuissance des outils diplomatiques traditionnels à l’heure du retour de la force dans les relations internationales.
Des morts, des centaines de milliers de personnes déplacées : la résurgence du conflit frontalier séculaire opposant la Thaïlande et le Cambodge charrie ce qu’entraîne le nationalisme lorsqu’il est chauffé à blanc. Depuis des décennies, la frontière que partagent ces deux pays devient régulièrement un sujet d’affrontements. En cause : un tracé imprécis légué par le colonisateur français, qui a alimenté des revendications concurrentes. La présence, dans ces zones disputées, de temples remontant à l’empire khmer, dont celui de Preah Vihear, ajoute à ces différends une dimension identitaire qui exacerbe les heurts.
Donald Trump s’était vanté, en octobre, d’avoir mis fin au dernier accès de fièvre, survenu en juillet après une série d’escarmouches. Il passait ainsi sous silence l’importance de la médiation de la Malaisie, qui exerce en 2025 la présidence tournante de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean), ainsi que l’influence plus discrète de la Chine. La signature en présence du président des Etats-Unis, le 26 octobre, d’une déclaration de paix entre les deux belligérants a pourtant fait long feu. Précipitée pour complaire au locataire de la Maison Blanche, elle laissait trop de questions sans réponse pour s’installer dans la durée.
Dans les deux camps, en effet, tout pousse à souffler sur les braises. Côté cambodgien, exalter l’héritage khmer permet d’éviter que la succession quasi monarchique de Hun Sen par son fils Hun Manet ne soulève des questions aussi dérangeantes que légitimes. La manœuvre cambodgienne qui a consisté à publier sur les réseaux sociaux le contenu d’une conversation de l’ancien maître de Phnom Penh avec la première ministre thaïlandaise d’alors, Paetongtarn Shinawatra, dans laquelle elle se démarquait des positions de sa propre armée, a montré que le pouvoir cambodgien était prêt à tout pour déstabiliser son voisin. Cette divulgation a d’ailleurs entraîné la chute de cette dernière.
Mais le premier ministre qui lui a succédé, Anutin Charnvirakul, a lui aussi tout intérêt à entretenir la tension sur un sujet qui rassemble pratiquement toutes les forces politiques derrière le drapeau de la Thaïlande avant les élections législatives prévues le 8 février 2026, précipitées par la dissolution de l’Assemblée nationale, le 11 décembre. Ces instrumentalisations du nationalisme font passer au second plan la lutte pourtant impérative que les deux pays devraient plutôt conduire contre les centres de cyberfraude installés dans ces régions frontalières, y compris celle avec la Birmanie, qui alimentent de scandaleux trafics d’êtres humains.
La persistance de ce conflit souligne les limites d’un multilatéralisme faible comme celui de l’Asean, et l’impuissance des outils diplomatiques traditionnels, à l’heure du retour de la force dans les relations internationales. Saisie de ces contentieux territoriaux, la Cour internationale de justice avait ainsi tranché en 1962 en faveur de la souveraineté cambodgienne sur le temple de Preah Vihear et elle a réaffirmé sa position en 2013, mais elle a été depuis discréditée ou contestée publiquement par les Etats-Unis depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche. S’en priver, c’est pourtant renoncer à d’indispensables instances d’arbitrage et se résigner à des conflits qui deviennent alors sans issue.
Le Monde – 23 décembre 2025
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