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Birmanie: «Même les enfants savent que ces élections ne sont ni libres, ni justes»

Ce dimanche 28 décembre, la Birmanie vote malgré la guerre civile qui bat son plein. Alors que la junte ne contrôle qu’une partie du pays, ces premières élections depuis le coup d’État sont organisées sous le contrôle étroit de l’armée et vivement critiquées. Pression sur la population pour se rendre aux urnes, opposition emprisonnée ou muselée. RFI accompagne la première des trois phases du scrutin.

Marteau à la main sous un soleil de plomb, un homme au polo blanc fait une brève pause pour essuyer sa transpiration. Il démonte mécaniquement une affiche électorale. Un rappel que le pays en pleine guerre civile s’apprête à vivre sa première élection depuis le coup d’État mené par l’armée birmane, la Tadmadaw, et son dirigeant Min Aung Hlaing en 2021. Car dans Rangoun, la plus grande ville du pays, un calme apparent règne en cette semaine électorale. Pas de meetings, de camions scandant les slogans des partis ou de militants distribuant des prospectus, seulement des affiches aux couleurs vives avec les têtes des candidats. Cette tranquillité de façade masque une tension omniprésente.

Cette semaine, deux bombes ont explosé dans la ville, dont une devant le siège d’un parti politique. Ces attaques qui ont fait deux morts n’ont pas été revendiquées par la résistance. « On a peur, en ce moment, je ne sors pas seule, juste pour faire mes courses », raconte une femme suivie par son petit-fils. Originaire de la région de Sagain, où se déroulent de violents combats entre l’armée et des groupes rebelles, elle est réfugiée dans la capitale économique et culturelle du pays. Comme de nombreux Birmans, elle ne pourra pas voter.

Le pays de 55 millions d’habitants est géré d’une main de fer par Min Aung Hlaing. Le chef de l’armée et de facto dirigeant du pays prévoit un vote dans 265 des 330 cantons que compte la Birmanie. Mais l’incertitude plane sur la réelle possibilité d’organiser une élection dans nombre d’entre eux. Une large partie du pays, contrôlée par des groupes ethniques et des mouvements pro-démocratie, ne pourra s’exprimer dans ce scrutin organisé en trois phases : les principales aires urbaines ce dimanche, puis d’autres le 11 janvier. Enfin, certaines zones contestées sont appelées aux urnes le 25 janvier, alors que la junte espère regagner un maximum de terrain et offrir un semblant de légitimité au scrutin.

« Personne n’a envie de voter »

Mais dans les rues de la métropole de plus de cinq millions d’habitants, les langues se délient discrètement. « Même les enfants savent qu’on est dans un processus électoral qui n’est ni juste, ni libre », glisse le gérant d’un magasin de thé, fermé en cette veille d’une élection à laquelle il ne prendra pas part. « Personne n’a envie de voter, tout le monde sait que c’est un spectacle organisésouffle un chauffeur de taxi qui avait pris part aux deux précédents scrutins. Mes amis, ma famille, personne autour de moi ne va y aller. C’est un spectacle organisé. »

Dans la pagode de Botahtaung, au cœur de Rangoun, les habitants pieds nus discutent en famille, regardent passer les moines enveloppés dans leurs habits rouges. « On a peur, personne ne veut parler de l’élection. Je n’ai pas le courage de le faire »soupire une retraitée. La plupart des habitants refusent avec un sourire poli de répondre aux questions. Il faut dire que la moindre critique peut coûter cher. Plus de 200 personnes ont été arrêtées dans le cadre de la « loi de protection de l’élection ». En septembre, trois jeunes ont reçu des condamnations de 42 et 49 années de prison pour avoir collé des affiches montrant leur opposition au scrutin.

Assis au sol et discutant avec une amie, Lwin Htoo naing, 21 ans, espère que « tous les jeunes se déplaceront aux urnes. C’est la première fois que je vote alors c’est important d’y aller ». Quand on lui demande pour qui il votera, il répond sans entrain : « Je ne sais pas trop, je pense l’USDP (Union pour la solidarité et le développement – NDLR) ». Cette formation politique, affiliée à la junte et à l’armée au pouvoir, est l’immense favorite de ce scrutin sous contrôle étroit. Pas de rassemblements ou de meetings sans accord de la commission électorale à qui l’on doit soumettre le nom des participants et le contenu des discours.

Si 57 partis présentent des candidats, seuls six seront dans toutes les circonscriptions appelées aux urnes. Pas la Ligue nationale pour la démocratie (LND), large vainqueure des dernières élections libres en 2020, dont les cadres, Aung San Suu Kyi en tête, sont en prison. L’ombre de la prix Nobel, critiquée pour sa gestion de la crise des Rohingyas, plane sur l’élection. Certains de ses anciens sympathisants ou soutiens sont présents dans les formations d’opposition qui ont dû se réenregistrer en 2023. L’un d’entre eux, dont la famille fait partie des fondateurs du LND, a tout de même accepté de jouer ce jeu électoral : « Si on ne participe pas, ils vont décider pour nous. D’abord, on met le pied dans la porte, puis la jambe et ensuite, on verra. »

Soupçons

Une stratégie dénoncée par différents groupes ethniques, les rebellions pro-démocratie ou le NUG (gouvernement en exil, issu des élections de 2020) qui dénoncent un simulacre d’élection, alors que la principale opposition, le LND, a été dissoute par la junte. « Je comprends les critiques, mais moi aussi, je peux leur en faire, explique Htet htet Soe Oo, candidate pour le Parti des pionniers du peuple, formation créée par une ancienne du LND. Cela fait cinq ans que des gens de ma génération ont fait le choix des armes. Mais c’est le moment de passer à autre chose, pour moi, la lutte armée n’est pas la voie. Je veux une politique non violente. »

Parmi les nouveaux venus sur la scène nationale, le SNDP (Shan Nationalities Democratic Party ou parti du tigre blanc). « Le chef de l’armée et le président par intérim (Min Aung Hlaing, NDLR) a promis une élection juste et libre. On verra bien », note Sai Aik Paung, dirigeant du parti depuis son siège de Rangoun, ouvert il y a un an. S’il se dit prêt à participer à une coalition avec n’importe quelle formation, même l’USDP, il se dit attentif à toute possible manipulation du scrutin.

« En 2010, on aurait dû gagner beaucoup de sièges, aux parlements locaux et nationaux, mais on n’en a jamais vu la couleur à cause des importantes fraudes électorales sur le vote anticipé, assure l’homme de 80 ans. Mais les partis politiques n’étaient par exemple pas présents pour observer le vote anticipé, juste le décompte », explique-t-il, le regard moqueur. « On le sait, l’armée est l’arbitre du scrutin »mais peut-être aussi le propriétaire des équipes, du ballon et du stade.

La Tatdmadaw contrôle déjà constitutionnellement un quart des sièges et son bras électoral, l’USDP, n’a donc besoin que de 26 % des voix pour garder le contrôle.

Dans les ruelles commerçantes de Rangoun, peu semblent douter de l’issue d’un vote dont la date des résultats n’est pas fixée. « Par curiosité, j’ai voulu voir si j’étais inscrit dans les listes électorales. Je n’y étais pas et je n’ai rien fait pour m’y inscrire, explique un commerçant. En revanche, des gens que je connaissais qui sont décédés depuis longtemps, eux, sont bien inscrits. »

Par Nicolas Rocca – Radio France Internationale – 27 décembre 2025

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