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Laos (2/3). Les éléphants du Mékong

Le Mékong. La seule évocation de son nom fait rêver. Après une journée de navigation à remonter ce fleuve légendaire, j’arrive dans le village de Pakbeng. La vie s’y déroule dans une simplicité presque oubliée, rythmée par le chant du coq et les flots du Mékong.

Petit pays enclavé sans accès à la mer, le Laos a pourtant la chance d’être traversé par ce fleuve mythique. Long de 4 300 kilomètres, le Mékong traverse six pays, de sa source isolée dans les confins de l’Himalaya jusqu’à son delta miraculeux au Vietnam. Au Laos, le long de ses rives, quelques villages se lovent dans une végétation luxuriante. Tout semble si paisible qu’on en oublierait presque les menaces qui pèsent sur l’homme et l’environnement.

Depuis le bateau, pourtant, les transformations sont visibles. Les chantiers se multiplient. La frontière chinoise n’est pas loin, et les ambitions du voisin sont plus grandes que jamais avec le développement des nouvelles routes de la soie. La construction de grands barrages bouleverse autant les cycles naturels du fleuve que la vie locale. Combien de temps pourrons-nous encore profiter de cet axe fluvial et de cette manière si douce de voyager au fil de l’eau ?

Miracle au bord du Mékong

À mi-chemin entre Luang Prabang et Huay Xai, à la frontière thaïlandaise, je débarque à Pakbeng. Situé dans la province d’Oudomxay, dans le nord du Laos, ce village étape historique s’organise autour d’une rue principale bordée de maisons, d’hôtels et de petits commerces. C’est ici que je rencontre Wendy Leggat.

Wendy est une personnalité à part, débordante de vitalité. Elle a décidé de s’installer avec sa famille le long du Mékong pour réaliser son rêve : consacrer sa vie à la protection des éléphants. Responsable du Mekong Elephant Park (MEP) et autodidacte passionnée, elle traverse chaque matin le fleuve pour rejoindre, sur l’autre rive, la forêt, ses collègues et leurs six éléphants. Un environnement professionnel qui n’a rien d’ordinaire !

Le Laos est souvent surnommé le “royaume du Million d’Éléphants”. Aujourd’hui, pourtant, l’espèce est menacée. Dans les pas du célèbre Elephant Conservation Center (ECC) de Sayaboury – structure pionnière et exemplaire au Laos et en Asie –, toute l’équipe du Mekong Elephant Park s’engage à prendre soin des éléphants, à leur redonner dignité, santé et joie de vivre.

Les missions du parc sont multiples : protéger l’habitat naturel des éléphants, accompagner leur reconversion – et celle des cornacs – vers des activités écotouristiques durables, et sensibiliser le public à leur situation actuelle au Laos. Menacés par la perte de leur environnement, les éléphants du pays sont en danger d’extinction. “Il reste aujourd’hui moins de 800 individus sur tout le territoire. Si rien n’est fait, c’est malheureusement un animal qui peut disparaître de ce pays à très court terme”, explique Wendy.

À la rencontre des éléphants

Chaque voyageur de passage à Pakbeng peut venir rencontrer ces majestueux animaux, les observer dans leur milieu naturel, comprendre l’enjeu de leur protection et soutenir ce projet unique. Dès l’arrivée des visiteurs, Wendy expose clairement les valeurs et la vision du parc :
“Comme vous le savez, on ne vient pas ici pour grimper sur le dos des éléphants ou prendre le bain avec eux. On vient pour les observer en forêt.”

Les pratiques ont évolué, et les connaissances scientifiques ont mis en lumière l’impact réel des interactions forcées sur la santé des éléphants. Si une partie de l’industrie touristique continue de proposer ces activités, les voyageurs, eux, se montrent aujourd’hui de plus en plus attentifs aux questions éthiques et cherchent des rencontres respectueuses, centrées sur le bien-être animal.

A priori, on pourrait pourtant se dire qu’un éléphant en captivité est habitué à porter des charges bien plus lourdes que deux ou trois touristes, qu’il a longtemps transporté du bois, que son cornac monte parfois sur son dos. Wendy explique alors très clairement le problème : “C’est tout ce qui va avec. Dans les camps touristiques, nombreux par exemple en Thaïlande, les éléphants attendent en plein soleil, font la même chose toute la journée au service du visiteur. Ils ont moins de temps pour socialiser et manger. Ils n’ont pas l’espace nécessaire pour marcher à la recherche de leur nourriture naturelle. On les gave de bananes et de canne à sucre. Diabète, obésité : ils développent des maladies d’humains !”

Faire passer les animaux avant les humains

L’équipe du Mekong Elephant Park a fait un choix radicalement différent. Wendy nous fait passer le message très clairement : “Penser au bien-être de l’éléphant ou à celui des touristes ? J’imagine que vous savez ce qu’on a choisi.” Et pourtant, on est très bien reçu au Mekong Elephant Park ! On apprend énormément. On se promène dans une forêt magnifique, régénérée au fil des années, à la rencontre des éléphants et de leurs cornacs.

Les cornacs – ou mahouts, en anglais – sont les gardiens traditionnels des éléphants, avec lesquels ils entretiennent une relation quotidienne fondée sur la connaissance, la confiance et l’expérience. Transmis de génération en génération, leur savoir est essentiel à la compréhension du comportement des éléphants et à leur bien-être. La balade guidée par Wendy permet de rejoindre différentes plateformes d’observation et de suivre la routine quotidienne des éléphants jusqu’au check-up vétérinaire, où l’on vérifie que tout se passe bien. Les suivre dans la forêt a quelque chose de profondément magique. Observer ces silhouettes massives et silencieuses dévaler les pentes, suivre leurs interactions et les voir rejoindre le Mékong pour leur bain donne la mesure de leur liberté retrouvée.

L’expérience peut se prolonger bien au-delà d’une simple visite. On peut passer une matinée, une journée entière, ou même dormir dans le parc, dans l’un des cinq bungalows nichés au cœur de la forêt, pour vivre un moment privilégié au plus près des éléphants.

Récemment, l’équipe a réuni suffisamment de fonds pour construire une clôture de nuit de 15 hectares. “Nos femelles peuvent désormais non seulement dormir ensemble dans un environnement sécurisé et naturel, mais aussi marcher, bouger et manger toute la nuit”, explique Wendy, qui nous apprend également que les éléphants ne dorment qu’environ trois heures par nuit. Le reste du temps, ils marchent et se nourrissent !

À la nuit tombée, leur présence se devine. On les entend, grâce à la cloche en bois autour de leur cou, permettant aux cornacs de les localiser jour et nuit.

Par Sophie Squillace – Courrier international – 26 décembre 2025

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