Khmers rouges : l’échec de la justice internationale
Les chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC) devaient juger les anciens responsables du régime khmer rouge au Cambodge. Mais après 15 ans d’activité, le bilan est extrêmement maigre : seulement cinq anciens responsables ont été jugés.
Avec Jean Reynaud Avocat au barreau de Bordeaux
Le régime khmers rouges qui a sévi au Cambodge entre 1975 et 1979 compte parmi les pouvoirs les plus cruels et les plus autoritaires que le monde ait connu. Quand ce régime s’est effondré, l’opinion publique s’est dit que la justice internationale allait passer. Des décennies plus tard, seul cinq khmers rouges ont été jugés. Pour tirer le bilan des instances internationales, Guillaume Erner s’entretient avec Jean Reynaud, avocat au Barreau de Bordeaux et co-auteur du film Khmers rouges, une simple question de justice (2011).
Un tribunal au fonctionnement plus que complexe
Ces instances judiciaires internationales, répondant au nom de “Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC)” ont été créées en 2003 par l’ONU et lancées en 2006 pour juger les crimes sous l’ère des Khmers rouges. Seulement voilà après 15 ans d’activité, en septembre 2022, il a été décidé de mettre un terme au fonctionnement de ces chambres et le bilan apparaît plus que mitigé : pour un coût total de 337 millions de dollars, ces chambres n’auront jugé que 5 responsables.
Pour comprendre ce bilan, il faut revenir au règlement intérieur de ces chambres. Après des années de négociations entre les acteurs de la justice internationale et l’Etat cambodgien, les chambres héritent d’un fonctionnement plus que complexe au début des années 2000. L’avocat Jean Reynaud explique : « Les Nations Unies acceptent que le procès se déroule à Phnom Pehn, par un tribunal mixte composé de juges cambodgiens et de juges internationaux. Les cambodgiens disaient : « d’accord pour la participation des juges étrangers mais il faut que nous soyons majoritaires dans chaque chambre ». Les occidentaux refusent dans un premier temps mais disent « D’accord : vous êtes majoritaires, mais nous avons un droit de veto. ». C’est de cette hybridité que vont naître de nombreux dysfonctionnements.
Pour un résultat extrêmement décevant
En tout, seuls cinq responsables sont jugés et trois seulement ont été condamnés. L’une des limites de ces instances de la justice internationale tient à l’implication des juges cambodgiens, soumis au gouvernement en place, lui-même compromis dans le régime khmers rouges. Cette absence d’indépendance n’a pas joué en faveur d’une justice impartiale pour juger les bourreaux de l’ancien régime. « On a un système avec des juges cambodgiens qui se répartissent en deux catégories : soit ils sont complètement inféodés au régime et ils suivent des instructions, soit ils sont terrorisés par le régime (…). Finalement par ce système de double tête chez les procureurs et chez les juges d’instruction, le gouvernement a exactement obtenu ce qu’il voulait : c’est à dire un procès tout à fait limité à des personnes qui étaient déjà identifiées depuis des années. »
Mais cet échec retentissant remet-il en cause le concept même de justice internationale ? Jean Reynaud relativise cet échec, mais reconnaît une limite à la justice internationale : « Ce que montre bien le procès des khmers rouges, c’est qu’en justice internationale, on est très souvent à la frontière entre le droit et la politique. Et que le droit face à la politique, perd toujours malheureusement. »
Podcast à écouter sur https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/superfail/khmers-rouges-l-echec-de-la-justice-internationale-4814810
Par Guillaume Erner – Radio France Culture – 30 octobre 2022
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