Infos Viêt Nam

Pourquoi les conducteurs suivent-ils soudain les règles ?

Les motocyclistes vietnamiens ont toujours traité les feux rouges comme une vague suggestion de ralentir, plutôt qu’une obligation d’arrêter. Aux heures de pointe, ils ont la même indifférence envers le reste du Code de la route : rouler à droite ; céder le passage aux piétons ; ne pas rouler sur les trottoirs.

Certains y voient une sorte de ballet, toutes ces roues dansant autour des piétons. Mais le taux de mortalité routière au Viêtnam est un des plus élevés d’Asie. Après s’être attaquées à l’alcool au volant, les autorités vietnamiennes s’attaquent à tout le reste.

Une nouvelle loi multiplie par 10 les amendes, les plus salées dépassant 2175 $ CAN. L’amende moyenne vaut un mois de salaire, ce qui suffit amplement à inculquer la prudence : les intersections sont désormais plus calmes… et plus encombrées. Quand un feu de circulation est défectueux, on voit des motocyclistes arrêter et traverser à pied, en poussant leur moto, de peur que la police soit à l’affût.

« C’est plus sûr, c’est mieux », affirme Pham Van Lam, 57 ans, interrogé devant une pagode bouddhiste au bord d’une route très fréquentée en banlieue de Hô Chi Minh-Ville, l’ancien Saïgon. « Mais c’est cruel pour les pauvres. »

Le but est de rendre le Viêtnam plus « civilisé » (van minh en vietnamien). C’est le terme qu’emploie souvent l’État dans ses mots d’ordre.

Le message fait le lien avec un objectif que s’est donné ce pays au revenu moyen inférieur : la richesse et l’ordre de Singapour, de la Corée du Sud ou du Japon.

Car avec la prospérité, ces trois pays ont fait de la sécurité routière une priorité – comme la Chine –, adhérant à l’idée que l’ordre dans les rues est le reflet de la modernisation.

Il était arrivé que l’État cible des quartiers pour y mettre de l’ordre. Durant les années 2010, un anthropologue de l’Université Yale a vu dans ces efforts « la convergence des objectifs disciplinaires de l’État vietnamien socialiste et des intérêts de la classe possédante émergente ».

Mais comme la végétation tropicale luxuriante à la périphérie des villes, le caractère irrévérencieux des Vietnamiens reste indompté.

En 2007, quand le gouvernement a imposé le casque aux motocyclistes, nombre d’entre eux ont répondu par un simulacre de conformité et la moquerie, s’attachant une casserole sur la tête.

Beaucoup portent encore un couvre-chef en forme de casquette de baseball, qui protège à peine plus qu’une casquette de baseball.

Il y a quelques années, la police a commencé à sévir contre l’alcool au volant à coups d’amendes salées et en confisquant des véhicules. De nombreux contrevenants ont choisi d’abandonner leur moto plutôt que de payer pour la récupérer.

La grogne monte

Aujourd’hui, la grogne monte. Les amendes rapportent des millions de dollars (deux semaines après l’adoption de la loi, Hô Chi Minh-Ville signalait une hausse de 35 % de ce type de revenus). Les nouvelles règles, les nouvelles caméras et l’offre de primes aux dénonciateurs sont décriées comme de l’extorsion institutionnelle.

La police veut juste prendre le plus d’argent possible. Les grosses amendes font le plus mal aux gagne-petit comme moi.

 Dinh Ngoc Quang, chauffeur de moto-taxi

Quand le feu rouge s’allume, le torrent de motos et de voitures s’immobilise soudainement. « C’est bien beau, la sécurité, mais on fait quoi, nous, les pauvres qui travaillent dans les rues ? »

Pour certains, la nouvelle loi est oppressive, autoritaire et abusive. D’aucuns dénoncent des amendes exorbitantes. On déplore que les trajets habituels prennent deux fois plus de temps, ce qui fait fondre les revenus des chauffeurs de taxi, des camionneurs et des livreurs. Les réseaux sociaux regorgent de mèmes montrant des ambulances bloquées et des dénonciateurs qui comptent leur argent (ou qui se font tabasser).

La prudence, de l’avis général, perturbe la circulation.

Mais, comme beaucoup le reconnaissent, tout cela obéit à un objectif d’État. Depuis la loi contre l’alcool au volant, les ventes de bière ont chuté de 25 % et la conduite en état d’ébriété a diminué dans tout le Viêtnam.

Surveillance de masse à la chinoise

Les dirigeants vietnamiens, récemment portés au pouvoir (dont beaucoup viennent de l’appareil sécuritaire de l’État), ont d’autres ambitions.

La sécurité routière et la surveillance par l’État semblent aller de pair : Hanoï a annoncé la semaine dernière l’ajout de 40 000 caméras de surveillance aux quelque 20 000 qui épient déjà les rues de la capitale.

Dans ce pays jeune – l’âge moyen est de 32 ans, contre près de 40 ans aux États-Unis et en Chine et de 41,6 ans au Canada –, le gouvernement semble s’attendre à de la contestation.

Prêcher la patience au volant est une façon de préparer le terrain. Comme l’a récemment écrit un journal, « les longs embouteillages sont comme une répétition à grande échelle de la société où chacun doit s’adapter, accepter des limites et interagir avec les autres ».

Par endroits, le pragmatisme a obligé des concessions. Après 10 jours de plaintes, Hanoï a autorisé le virage à droite au feu rouge à 50 intersections. La municipalité a aussi fait synchroniser certains feux de signalisation.

Un certain ordre, encore précaire, semble émerger du chaos. Certains motocyclistes continuent de rouler à contre-courant de la circulation et sur les trottoirs, mais ils sont bien plus nombreux à s’arrêter lorsqu’il le faut, à côté des voitures et des camions toujours plus nombreux dans le pays.

Devant ce début de succès, certains commentateurs se demandent quelle autre incivilité on pourrait juguler à coups d’amendes salées ; peut-être l’abandon de déchets, un problème répandu dans tout le pays ?

« Il faut temps et efforts pour promouvoir un style civilisé », estime Nguyen Ngoc Dien, ancien recteur adjoint de l’Université nationale d’économie et de droit du Viêtnam, à Hanoï. « Ces nouvelles règles de circulation font partie de cet effort. »

Par Damien Cave – The New York Times / Lapresse.ca – 3 février 2025

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