La pêche sur le Tonlé Sap menacée
Au Cambodge, la fin de l’année marque le début de la saison traditionnelle de fabrication du prahok, un élément essentiel de la gastronomie cambodgienne. Mais l’approvisionnement alimentaire du Cambodge – et celui des 70 millions de personnes qui dépendent du Mékong – est menacé par les effets des grands barrages hydroélectriques et du changement climatique.
Chaque année, vers le mois de décembre, les pêcheurs, les agriculteurs et les familles du Cambodge commencent la saison de fabrication du prahok, spécialité cambodgienne que le monde nous envie. Mais cette tradition, ainsi que l’approvisionnement alimentaire et les moyens de subsistance de millions de personnes, sont menacés par une crise écologique croissante.
Des rapports récents montrent que le Tonlé Sap qui est l’étendue d’eau douce la plus poissonneuse au monde, connaît un déclin de plus en plus marqué ce qui a des répercussions sociales majeures.
Une baisse des prises
Le 23 décembre, le ministère de l’agriculture du Cambodge a annoncé que les prises de certains des pêcheurs autorisés avaient chuté de 31 % par rapport à l’année dernière. La valeur annuelle des prises de poissons du Cambodge est estimée à 600 millions de dollars US.
Cette baisse est due à des niveaux d’eau extrêmement bas. Au cours des 20 dernières années, le niveau moyen du lac a baissé de deux mètres. Cette baisse est liée à la fois au changement climatique et à la construction de barrages hydroélectriques en amont du Mékong.
« Nous, les pêcheurs, nous dépendons de l’eau, des poissons et des forêts, donc quand tout ceci aura disparu, nous pouvons nous attendre à ce que tout soit fini », a déclaré à l’AFP Leng Vann, un habitant qui vit à environ une heure de bateau de Siem Reap.
Le Tonlé Sap est sujet à un phénomène hydrographique unique au monde. Habituellement, il se jette dans le Mékong au niveau de Phnom Penh. Mais durant la saison des pluies qui coïncide avec celle de la fonte des neiges himalayennes, le Mékong se gorge de toutes les eaux de son bassin et son niveau devient plus élevé que celui du Tonlé Sap. Il se déverse alors dedans, inversant le cours du lac.
Les terres et forets inondées offraient un lieu de frai idéal pour les poissons, faisant ainsi du Tonlé Sap, un des lacs les plus poissonneux du monde.
Mais maintenant le cycle naturel est perturbé. En 2019 et 2020, le Tonlé Sap n’a inversé son cours que des mois aprés la normale. En 2019, il ne s’est écoulé dans le lac que durant six semaines environ.
La diminution du Tonlé Sap met en danger les réserves alimentaires
Plus d’un million de personnes dépendent directement du lac Tonlé Sap pour leur subsistance, et beaucoup d’autres en dépendent pour leur alimentation. Selon certaines sources, plus de 80 % de la population cambodgienne a le poisson comme principale source de protéines. Le Cambodgien moyen consomme environ 50 kilos de poisson par an.
La baisse du niveau du lac met en danger les réserves de poissons. Selon Om Savath, directeur exécutif de la Fisheries Action Coalition Team, les niveaux d’eau ont stagné à un point bien inférieur à la profondeur nécessaire pour que certaines espèces de poissons atteignent leur pleine maturité.
Historiquement, les forêts de mangrove situées le long des limites du lac en saison sèche sont inondées par la mousson, ce qui fournit des zones vitales pour la pêche. Au cours des dix dernières années, la superficie des forêts de inondées à chaque saison des pluies est passée de 634 000 hectares à environ 300 000 hectares, selon le groupe local Fisheries Action Coalition Team.
La pêche sur Tonlé Sap est une source majeure d’emplois. L’industrie de la pêche offre directement des moyens de subsistance à environ 2 millions de personnes, soit à plus de 20 % de la main-d’œuvre totale du Cambodge.
Un pêcheur de la région de Koh Chivang, Sim Suom, a déclaré à l’AFP que le déclin de la pêche pousse les jeunes à quitter la région.
« Les enfants de cette communauté vont maintenant travailler dans des usines parce qu’il n’y a plus de poisson dans le lac », a déclaré le pêcheur Sim Suom, 59 ans, ajoutant que sa fille travaille maintenant dans une usine de cigarettes à Siem Reap.
Les grands barrages et le changement climatique
La population locale et les défenseurs de l’environnement pointent le double facteur du changement climatique et des barrages hydroélectriques en amont du Mékong dans la crise du Tonlé Sap. Selon certains, le niveau du lac a été sévèrement affecté par deux barrages hydroélectriques au Laos – le barrage de Xayaburi et le barrage de Don Sahong – qui ont ouvert en 2019. Les barrages limitent les crues du Mékong. Or plus de la moitié de l’eau du Tonlé Sap provient du Mékong.
De plus en plus de preuves montrent également que les barrages sur le haut Mékong en Chine sont un facteur clé de la baisse du niveau d’eau. Les recherches menées par les universitaires et la Commission du Mékong montrent que les impacts spécifiques des barrages. Ils bloquent les sédiments et les nutriments et empêchent les migrations . Ils sont à l’origine du déclin des pêcheries du bassin du Mékong.
Ici comme ailleurs, l’accès à l’eau devient un enjeu majeur du XXIe siècle. Les solutions à apporter ne peuvent que multinationales. Le bassin du Mékong s’étendant sur la Chine, la Birmanie, le Laos, la Thaïlande, le Cambodge et le Vietnam. Concilier les besoins légitimes des peuples riverains en énergie électrique et la préservation de la nature au sens large et des populations qui en dépendent n’est pas une mince affaire.
Les difficultés pour la gestion du réchauffement climatique sont encore plus grandes. Chacun des états de la planète est impliqué et les conséquences de ses comportements ne se font pas forcement ressentir chez lui mais à des milliers de kilomètres de là.
Que voilà de beaux challenges pour nos décisionnaires.
Lepetitjournal.com – 29 Décembre 2020
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