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Birmanie : Airbus impliqué dans l’armement de la junte militaire

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Le leader mondial de l’aéronautique est actionnaire d’une société chinoise qui livre à l’armée birmane des avions utilisés pour bombarder la population civile, révèlent les ONG Info Birmanie et Justice For Myanmar, en partenariat avec Disclose. Par ce soutien financier, Airbus enfreint l’embargo européen sur les armes, au risque de se rendre complice de crimes de guerre.

Il est un peu plus de 9 heures du matin, ce 5 février 2024, lorsque le toit de l’école de Demoso, un village à l’est de la Birmanie, vole en éclats. Une bombe vient de frapper l’établissement scolaire. « J’ai été projetée en arrière par l’onde de choc, témoigne auprès de Disclose Pann Ei Phyu*, une professeure de mathématiques qui s’apprêtait à donner cours à ses élèves de 14 ans. J’ai juste eu le temps de dire aux élèves de se cacher sous les tables… C’était le chaos avec tous les enfants qui se sont mis à crier. » Quelques minutes plus tard, une deuxième bombe tombe à quelques mètres. Quatre adolescents âgés de 12 et 14 ans meurent dans les bras de leur enseignante. « Une cinquantaine d’autres sont blessés », comme elle, par des débris. « On se pensait à l’abri, car il n’y avait pas de combats dans le village », poursuit cette professeure de 38 ans qui peine encore à trouver le sommeil. Quant aux enfants, « ils sont traumatisés ». Certains d’entre eux sont « incapables de remettre les pieds à l’école ».

Depuis le retour au pouvoir des militaires, le 1er février 2021, ces scènes de terreur sont quotidiennes en Birmanie. Le Haut commissariat de l’ONU aux Droits Humains évoque « des attaques systématiques » contre la population civile. Des offensives par les airs qui prennent pour cibles des maisons, des écoles, des hôpitaux ou des édifices religieux. Rien que dans les six premiers mois de l’année 2024, au moins 833 civils sont morts dans les bombardements de l’armée, d’après un recensement effectué par Nyan Lynn Thit Analytica, une ONG birmane indépendante.

Pour mener ces attaques, susceptibles de constituer des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, la junte birmane peut compter sur le soutien tacite du groupe européen Airbus. Malgré un embargo européen sur les armes, en vigueur depuis 2013, le leader mondial de l’aéronautique est associé à une société chinoise qui n’est autre que l’un des plus importants vendeurs d’armes des militaires, comme le révèle le rapport d’enquête des ONG Info Birmanie et Justice for Myanmar, en partenariat avec Disclose. 

Des avions militaires produits par le partenaire d’Airbus

Pour mener ses attaques aériennes, la junte s’appuie notamment sur des avions made in China : le Harbin Y-12, destiné à l’origine aux transports de troupes, et l’avion de chasse Hongdu K-8. En enquêtant sur les exactions commises contre les civils, les ONG Info Birmanie et Justice for Myanmar ont identifié ces aéronefs dans plusieurs bombardements récents. Ce fut par exemple le cas en décembre 2023, quand des Harbin Y-12 ont ciblé les habitant·es de la commune de Mantong, dans le centre du pays. Ou en février de la même année, lorsque des Hongdu K-8 ont bombardé des habitations et infrastructures civiles dans le village de Tawng Me Thin.

Ces engins de mort, dont certains ont été livrés après le coup d’État de 2021, ont été vendus à l’armée birmane par deux filiales d’une société chinoise baptisée AviChina. Inconnue du grand public, AviChina, domiciliée à Pékin et cotée à la bourse de Hong Kong, est l’un des principaux acteurs mondiaux de l’industrie de l’armement. C’est aussi le « partenaire stratégique » d’un autre poids lourd du secteur : Airbus (ex-EADS). L’avionneur est même le premier investisseur étranger d’AviChina, dont il détient 5,03 % des actions. Ce qui correspond à une valeur estimée aujourd’hui à 141 millions d’euros. L’influence de la firme européenne est telle qu’elle peut compter sur la présence au conseil d’administration d’AviChina du PDG d’Airbus China, son antenne chinoise.

Violation de l’embargo européen

Par son soutien financier à un vendeur d’armes de la junte, le groupe Airbus risque gros. Pour cause : depuis dix ans, la Birmanie fait l’objet d’un embargo européen sur les armes. Cette restriction, renouvelée en 2018 par les États membres, précise qu’il est interdit pour une entité européenne de « fournir un financement ou une aide financière en rapport avec […] un usage militaire en Birmanie ». Autrement dit, en possédant des actions d’AviChina, Airbus, dont un quart du capital est détenu par la France, l’Allemagne et l’Espagne, violerait l’embargo. C’est ce que soutient la juriste du cabinet Ancile, Clara Ernst-Mollier auprès de Disclose : « L’Union européenne précise, dans ses lignes directrices du règlement, qu’il est interdit “de verser ses propres fonds ou ressources économiques”. Donc, a priori, d’entrer au capital d’un fournisseur de la junte, comme l’est officiellement AviChina ». De son côté, Johanna Chardonnieras, coordinatrice de l’ONG Info Birmanie, rappelle que « les gouvernements français, espagnol et allemand, aux côtés de l’Union européenne ont condamné les atrocités commises en BirmanieAujourd’hui, ils ont l’occasion de montrer leurs capacités d’action, en cohérence avec leurs discours. »

Contacté par Disclose, Airbus assure qu’il « respecte l’ensemble des sanctions applicables en Birmanie » et que « les questions relatives aux droits humains sont déjà prises en compte dans les processus d’approbation internes de la société ».

D’après le code des douanes, le ministère de l’économie peut déposer plainte pour non-respect des sanctions européennes. Dans ce cas, les dirigeants d’Airbus s’exposent à une peine de cinq ans de prison et la confiscation du montant des actions que le groupe possède dans AviChina. Interrogé sur ce point, Bercy botte en touche : « Le règlement européen [concernant la Birmanie] ne s’applique pas au groupe Avichina et à ses filiales, de droit chinois ».

Il reste une option pour qu’Airbus puisse être autorisé à contourner l’embargo : avoir obtenu une dérogation officielle de la part du gouvernement français, qui doit être communiquée à la Commission européenne. Sollicité par Disclose pour savoir si c’est le cas, le ministère de l’économie n’a pas souhaité faire de commentaires. La Commission européenne non plus. 

Au-delà d’une possible violation de l’embargo européen, la présence d’Airbus au capital d’une société accusée d’armer la junte birmane semble en totale contradiction avec ses engagements en matière de respect des droits humains. L’industriel, qui « s’engage à mener ses activités de manière éthique », comme il l’a assuré à Disclose, est signataire du pacte mondial des Nations Unies. Ce dernier appelle au respect de dix principes fondamentaux, dont celui de « ne pas se rendre complices de violations des droits de l’homme » par une autre société ou un gouvernement. Et ce, de façon directe ou indirecte. 

L’implication financière d’Airbus dans AviChina contrevient également au devoir de vigilance du groupe. Inscrit dans la loi française depuis 2017, le texte oblige en effet Airbus, qui emploie plus de 50 000 personnes en France, à mettre en place des « mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains » qui pourraient être liées à ses activités. Selon le cabinet Ancile, « contrôler ses investissements » dans des sociétés étrangères fait justement partie des mesures à mettre en place.

C’est précisément pour respecter son code éthique et ne pas contribuer à soutenir indirectement les exactions commises en Birmanie que la banque centrale de Norvège a décidé, en 2023, de se retirer du capital d’AviChina. Motif invoqué par le comité d’éthique de la Norges Bank : le « risque inacceptable que la société [AviChina] vende des armes à un État qui les utilise de manière à violer systématiquement le droit international humanitaire ». 

Le 6 septembre dernier, dans une ville du nord-est de la Birmanie, à la frontière avec la Chine, un raid aérien mené par la junte a fait au moins 19 morts civils, selon la presse locale. Parmi eux figuraient huit enfants. 

Par Ariane Lavrilleux – Disclose.ngo – 16 septembre 2024

Lire l’intégralité du rapport des ONG Info Birmanie et Justice for Myanmar ICI

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