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Le président U Win Myint demande à l’armée « de cesser la politique ».

Pour les observateurs de la scène politique birmane, les 12 et 13 février derniers promettaient des enseignements pour les élections générales à venir, qui doivent se tenir à la fin de cette l’année 2020.

Le 12 marque en effet « La journée de l’Union », censée honorer l’attachement de tous les citoyens de Birmanie à la mère patrie, et le 13 février célèbre l’anniversaire de Aung San, l’un des pères de l’indépendance, héros de la communauté ethnique birmane, père de la conseillère d’état Aung San Suu Kyi. Et pour chacune de ces occasions, une personnalité politique majeure – à savoir Aung San Suu Kyi le 12 et le président Win Myint le 13 – ont prononcé des discours scrutés en détail.

Si la conseillère d’état n’a pas fait d’éclat, s’adressant en filigrane aux groupes ethniques du pays en répétant sa version des négociations d’indépendance avec les Britanniques – version déjà bien connue où son père aurait représenté, avec leur accord, l’ensemble des militants, ethniques inclus, rejetant la domination coloniale britannique -, le président Win Myint s’est lui attaqué de front aux responsables militaires, leur reprochant de mélanger la chose militaire et la chose politique dans un conflit d’intérêt malsain nuisant au bien du pays. Alors que le scrutin national de cette fin d’année aura pour enjeu principal les places réciproques de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), au pouvoir, des divers partis ethniques et du Parti de l’union, de la solidarité et du développement (USDP), bras civil des militaires, le président et la conseillère d’état se sont donc répartis les tâches quant aux cibles et aux messages à leur adresser.

U Win Myint, profitant de l’inauguration d’une énième statue de Aung San, à Nay Pyi Taw celle-là, a donné sa lecture des propos du défunt héros, qui aurait déclaré, selon le président, que « les militaires ne doivent pas intervenir dans le champ politique ou administratif. Leur rôle se cantonne à la défense du pays. Ils doivent travailler à l’unité de l’état ». Le président a quand même eu un mot pour les conflits civils en cours dans le pays, en disant qu’il était malheureux que « malgré les efforts du gouvernement, les accords de Panglong de 1947 entre Aung San et les dirigeants ethniques de l’époque n’avaient pas encore pu se matérialiser ».

Le porte-parole de l’armée, le général Zaw Min Tun, n’a pas tardé à répondre à son président : « L’armée est impliquée à son corps défendant, et seulement à cause des circonstances et de la situation. Une fois la paix revenue dans le pays, elle n’aura plus besoin d’intervenir au niveau politique », a-t-il affirmé. Selon l’officier, l’armée est dans l’obligation de combattre les mouvements combattants rebelles car le gouvernement actuel ne parvient pas à mettre en place un processus de paix inclusif concernant l’ensemble des protagonistes et toute la superficie du territoire national. « Lorsque la paix et la stabilité seront revenues, l’implication politique de l’armée disparaîtra d’elle-même ».

Une réponse qui laisse pantois le député Oo Hla Saw, élu du Parti national arakanais dans la circonscription de Mrauk-U, dans l’état de l’Arakan, et pour qui « c’est toujours le même refrain… Les militaires ne sont pas crédibles, d’un côté ils attaquent les divers mouvements ethniques et de l’autre ils se plaignent de l’existence des combats. Mais ce sont eux les assaillants ! », juge-t-il. Et de prendre l’exemple des affrontements entre la Tatmadaw (le nom officiel de l’armée birmane) et les rebelles de l’Armée de l’Arakan, qui donnent lieu à des escarmouches et à des tirs d’artillerie – l’un a touché une école ces derniers jours, blessant plusieurs enfants – dont chaque camp se rejette systématiquement la responsabilité dans un processus d’escalade qui semble au final convenir aux deux belligérants… mais beaucoup moins aux plus de 100 000 morts et déplacés officiellement enregistrés depuis l’intensification de ce conflit, en 2019.

Quant au militant karenni plus radical Khu Kyu Phae Kay, il renvoie LND et Tatmadaw dos- à-dos : « la LND nous répète qu’elle veut mettre en place les accords de Panglong, mais où est l’équité, l’égalité des droits des minorités ? Si elle en a vraiment la volonté, elle a parfaitement la possibilité de mettre ces accords en œuvre. A la place, ce gouvernement préfère perdre son temps à construire et nous imposer des statues de Aung San à tour de bras, au nom de ‘l’unité’ du pays. C’est une blague ! Ce qu’ils font, c’est juste accumuler autant de pouvoir politique qu’ils le peuvent à travers l’idolâtrie ».

La version de Aung San Suu Kyi des rôles respectifs de son père et des autres dirigeants, ethniques, lors de négociations avec les Britanniques est globalement rejetée par la plupart des mouvements ou partis politiques ethniques, qui considèrent qu’il s’agit d’une manipulation donnant le beau rôle à Aung San alors que tout s’est fait primus inter pares et que c’est l’action a posteriori de la majorité ethnique birmane pour effacer les contributions des autres dirigeants qui a conduit à ce que des militants ethniques jugent « une version partiale, biaisée et erronée de l’histoire ». Les nombreux conflits autour de la construction de statue de Aung San et de l’héroïsation du général montrent à quel point pour certains le fossé est encore profond.

Lepetitjournal.com – 18 février 2020

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