Covid-19 : peu à peu la Thaïlande se confine
Dans le pays d’Asie du Sud-Est, où l’épidémie n’a pas encore explosé, la mise en place des mesures de sécurité est complexe, en raison notamment de la pauvreté.
A Bangkok la vie continue, mais au ralenti. Plus de restaurants, de bars : à la place, un étrange silence des nuits d’ordinaire si agitées. Toute la région de l’Asie du Sud-Est, qui s’est crue un temps épargnée par le virus, se prépare désormais au pire. Beaucoup d’immeubles de bureaux du centre de la capitale thaïlandaise ferment, obligeant les entreprises qu’ils hébergent au télétravail. La population peut encore circuler librement et de nombreux vendeurs de rue continuent à fournir des plats à emporter, une nécessité dans une ville où beaucoup de logements ne disposent pas de cuisine. Les officiels du gouvernement ont baptisé cet entre-deux «le confinement doux». Les écoles étaient de toute façon déjà fermées pour cause de grandes vacances à l’approche du Festival de l’eau (le Nouvel An bouddhique), dont les célébrations spectaculaires ont été annulées. Leur réouverture est suspendue. Avec plus de 300 nouveaux cas en deux jours, le gouvernement a décidé de fermer tous les commerces, excepté ceux de l’alimentation et des premières nécessités.
«Au bord de la crise sanitaire»
Pour certains experts c’est néanmoins loin d’être suffisant. «On doit instaurer la loi martiale, empêcher les gens de sortir de chez eux pendant vingt-et-un jours minimum», estime le Dr Thiravat Hemachuda de la faculté de médecine de Chulalongkorn, qui estime que la Thaïlande est «au bord de la crise sanitaire». Beaucoup, notamment dans les classes moyennes et aisées, font écho à son inquiétude et réclament un durcissement des conditions de confinement. Mais un confinement sur le modèle des pays développé est quasi impossible pour des populations qui vivent littéralement au jour le jour. «Comment demander de stocker de la nourriture à quelqu’un qui gagne chaque jour en argent liquide uniquement de quoi survivre pour vingt-quatre heures ?» interrogent plusieurs groupes de travailleurs dans la presse thaïlandaise. Dans le climat tropical de l’Asie du Sud-Est, des millions de familles ne possèdent pas de frigidaire. Le problème se pose dans tous les pays en voie de développement.
Certains pays de la zone enregistrent pour l’instant des chiffres très faibles : 84 cas pour le Cambodge, 0 cas pour la Birmanie et le Laos, frontaliers de la Chine. Mais même les autorités sanitaires avouent en privé douter de la véracité de ces chiffres, dans des pays où le nombre de tests disponibles est faible et la majorité de la population ne se rend jamais chez le médecin. Les frontières sont désormais fermées aux ressortissants étrangers : désireux de passer ce temps de crise auprès de leur famille, beaucoup de travailleurs migrants résidant en Thaïlande sont rentrés ce week-end.
Des millions de travailleurs dans le secteur informel
Malgré les supplications du ministère de la Santé, plus de 80 000 personnes se sont présentées à la gare routière de Bangkok dimanche, dans l’espoir de monter à bord d’un bus pour les provinces pauvres du Nord-Est et les régions frontalières. «On n’a plus aucun salaire et un loyer à payer», résume une ex-employée d’un salon de beauté. Le gouvernement thaïlandais a annoncé un plan d’aide aux petites et moyennes entreprises les plus touchées, mais il ne concerne que les emplois déclarés, pas les millions de travailleurs du secteur informel. Privés de tout revenu, ils espèrent pouvoir subsister dans les zones agricoles dont ils sont originaires. De leurs salaires dépendent bien souvent des familles entières restées dans les provinces, des personnes âgées qui ne bénéficient d’aucune retraite et s’occupent des enfants restés à la campagne. Pour tous ceux-là, aucune solution n’est proposée pour l’instant.
Malgré ces conditions économiques très difficiles, pas un mot de protestation contre les fermetures. Les populations pauvres ont bien conscience qu’en cas de crise sanitaire, elles seraient en première ligne. «Si le virus gagne l’Asie du Sud Est, on va être débarrassés de tous les vieux pauvres», ironise tristement une cuisinière de la région de Ranong. Les rares hôpitaux publics sont dans un piètre état ; sans parler des déserts médicaux. Il y a moins d’un médecin pour 2 000 personnes au Laos (sept fois moins qu’en France). Même en Thaïlande, le pays le plus développé de la zone après Singapour, on estime le nombre de médecins formés en réanimation à quelques centaines dans tout le pays. Néanmoins, avec un peu plus de 1 000 cas déclarés, les docteurs espèrent encore que la région échappera à une hécatombe grâce à la jeunesse de sa population et des réactions immunitaires potentiellement différentes.
Par Carol Isoux – Libération – 23 mars 2020
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