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En Birmanie, les minorités piégées entre l’armée et le coronavirus

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Face à la menace de l’épidémie du Covid-19 en Birmanie, plus d’une cinquantaine d’ONG ont appelé à un cessez-le-feu dans toutes les zones de guérilla du pays afin de permettre une éventuelle intervention sanitaire que le gouvernement n’a pas encore décidée. Officiellement il n’y aurait que 15 cas de contamination en Birmanie…

« Ici, nous n’avons ni mesures de prévention, ni centres de quarantaine, ni d’équipements dans nos hôpitaux : rien ! ». Au téléphone, Ko Zaw Tun, un jeune homme d’une vingtaine d’années, semble désespéré. Il dirige une association de jeunesse à Mrauk U, au nord de l’État de l’Arakan, dans l’ouest du pays. Dans cette région, ainsi que dans l’État Chin voisin, les combats entre insurgés rebelles et armée birmane se sont intensifiés depuis 2019, aggravant la vulnérabilité des populations face à la crise sanitaire du coronavirus qui menace.

L’appel, lancé par le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres le 23 mars dernier, a été largement relayé par plus d’une cinquantaine d’organisations civiques et humanitaires birmanes. « Aujourd’hui, ce ne sont plus seulement les combats qui nous terrorisent », avoue le jeune Birman, alors que le gouvernement a déjà annoncé officiellement 15 cas de coronavirus en Birmanie (il pourrait y en avoir beaucoup plus), pays qui partage plus de 2 000 kilomètres de frontière avec la Chine.

Se protéger du virus et des attaques de l’armée

Dans les zones de conflit de l’ouest birman qui compte parmi les régions les plus pauvres du pays, « personne n’a les moyens de se protéger du virus ni de se faire soigner », assène Salai Lian, de Chin human rights organisation. Les affrontements récents ont déjà fait des dizaines de milliers de déplacés. Ils ont trouvé refuge dans des camps surchargés où respecter les distances y est impossible et la prévention une gageure. L’eau manque déjà dans certains camps et l’aide humanitaire a du mal à arriver en raison des restrictions de déplacement imposées par le gouvernement. « À certains endroits, les civils n’ont même pas de quoi manger, alors se préparer au coronavirus… ! », se désole Salai Lian.

La situation sanitaire dans les camps est catastrophique

L’accès aux services de santé est encore plus difficile pour les Rohingyas, une minorité discriminée qui vit dans l’État de l’Arakan. « Si le virus les touche, ce sera une catastrophe inimaginable », met en garde Aung Kyaw Moe, un militant rohingya du Centre de protection sociale basé à Rangoun. Il rappelle que 130 000 Rohingyas vivent dans des camps dont ils ont l’interdiction de sortir. « Quant aux autres, ils n’ont pas le droit de se déplacer librement hors de leurs villages, et l’accès à des soins de santé leur est restreint », poursuit-il.

La sensibilisation à l’épidémie dans cette région est en outre compliquée. Internet a été largement coupé par le gouvernement, « et seules des rumeurs circulent », ajoute Ko Zaw Tun. Face à l’inaction des autorités, « plusieurs chefs de villages veulent demander de l’aide à la rébellion locale, mais c’est illégal », poursuit-il.

Une paix impossible

Dans ces conditions, l’arrivée de l’épidémie en Birmanie suscite de nombreuses inquiétudes. Les appels au cessez-le-feu des ONG birmanes, pour qui l’épidémie serait l’occasion de relancer les discussions de paix, sont restés lettre morte. Au contraire, le conflit s’intensifie. Le 24 mars, l’armée birmane a déclaré que la rébellion de l’Armée d’Arakan (AA) – active dans la région – serait désormais reconnue comme une organisation terroriste.

« L’armée n’a pas du tout l’intention de déclarer un cessez-le-feu dans la zone, même en cas d’épidémie », analyse Min Zaw Oo, directeur du Myanmar Institute for Peace and Security. « Et je ne pense pas que le gouvernement civil ose contredire cette décision des militaires », ajoute encore cet ancien négociateur entre le gouvernement et les groupes ethniques armés. De son côté, la rébellion de l’Arakan Army a assuré le 1er avril qu’elle éviterait les affrontements avec l’armée birmane pendant un mois afin de permettre une éventuelle intervention sanitaire.

Ces tensions existent également dans d’autres zones de guérilla (Kachin et Shan) au nord-est de la Birmanie, elles aussi menacées par la pandémie.

Par Sarah Bakaloglou – La Croix – 2 avril 2020

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