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Luxure, calme et volupté à la cour de Thaïlande

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Tel est son bon plaisir, le roi de Thaïlande Rama X s’est confiné avec un harem de 20 jeunes filles en Allemagne.

C’est un va-et-vient quasi incessant de vans sombres aux vitres fumées et de limousines tout aussi mystérieuses. Les véhicules grimpent le raidillon qui mène à la réception du Grand Hotel Sonnenbichl. Le matin, les fenêtres de la façade reflètent le sommet blanchâtre du Kramerspitz (1 985 mètres) mais restent désespérément fermées : le bon air des Alpes bavaroises ne risque pas de pénétrer à l’intérieur de ce quatre-étoiles de Garmisch-Partenkirchen. Inutile de tenter la moindre approche. Des gardes du corps thaïlandais, peu enclins au bavardage, font sèchement signe de dégager et n’hésitent pas à appeler la police locale.

Confiné au quatrième étage depuis mi-mars : Rama X, de son nom complet Maha Vajiralongkorn, 67 ans, roi de Thaïlande depuis 2016. Il est le dixième souverain de la dynastie Chakri, fondée en 1782. A quatorze heures de vol, ses 70 millions de sujets subissent l’état d’urgence et le couvre-feu, mais Rama X ne semble pas vraiment disposé à les réconforter. Il mène en Allemagne une vie de patachon assumé. Son père, Rama IX, avait garanti l’unité et assuré l’autorité morale du royaume pendant soixante-dix ans, malgré dix-neuf coups d’Etat, dont douze réussirent. Rama X, lui, avait prévenu. « Je suis le mouton noir », déclara-t-il avec lucidité au magazine thaïlandais Dichan, à 35 ans, trois décennies avant de monter sur le trône.

« Certaines de ses “concubines” sont droguées et subissent des pressions psychologiques dignes d’une secte », nous affirme le journaliste écossais Andrew MacGregor Marshall

Le hashtag « Pourquoi avons-nous besoin d’un roi ? » a suscité plus de 2 millions de tweets entre le 25 et le 29 mars dernier. Une insurrection virtuelle sans précédent en Thaïlande, où le crime de lèse-majesté (art. 112 du Code pénal), même en ligne, est puni de lourdes peines de prison. L’homme qu’il est interdit de regarder en face, et devant lequel tout le monde s’aplatit au sol à chaque cérémonie officielle, semble ignorer l’indignation de ses sujets.

Rama X assouvit sa boulimie sexuelle loin de toute vertu prônée par le bouddhisme, religion dont il est le chef dans son pays. Vingt jeunes Thaïlandaises sont astreintes à résidence et confinées dans un salon de l’hôtel, rebaptisé « salle des plaisirs » par le souverain. « Certaines de ses “concubines” sont droguées et subissent des pressions psychologiques dignes d’une secte », nous affirme le journaliste écossais Andrew MacGregor Marshall, connaisseur du personnage. La polygamie est interdite en Thaïlande depuis un siècle, sauf pour le souverain. A Bangkok, un régiment de la garde royale est spécialement consacré à ses plaisirs. C’est le vivier dans lequel il puise. Des dizaines de jeunes filles, parfois encouragées par leur famille, s’engagent dans l’armée en espérant se faire repérer par leur roi. Si tel est le cas, elles intègrent le Special Air Service (SAS). Leur devise : « Qui ose gagne ». Nommées lieutenantes, capitaines ou majors, elles portent toutes le même pendentif en forme de demi-cœur et un numéro allant de SAS 20 à SAS 1, comme un grade récompensant leurs compétences… extramilitaires. Mais l’avenir de ces proies est rarement gagnant. Colérique, capricieux, cruel, d’humeur et de goûts continuellement changeants, le potentat voit des complots partout. La dernière SAS 1 en date a été répudiée au motif qu’il la trouvait trop proche de sa propre fille aînée.

Rama X s’est marié quatre fois. D’abord avec une cousine, dont il divorce en 1991. Suit une actrice, accusée d’infidélité, répudiée et déshéritée. Une danseuse, ensuite, jetée en prison en 2011 avec sa famille. Une hôtesse de l’air, enfin, trois fois divorcée, reine actuelle, qu’il épouse trois jours avant la fastueuse cérémonie de son couronnement (près de 30 millions d’euros), comme s’il avait simplement besoin d’y apparaître accompagné. Il s’en lasse d’ailleurs très vite et, trois mois plus tard, nomme « noble concubine royale » une infirmière militaire promue au passage major générale. Cette dernière croupit aujourd’hui en prison, accusée d’être une ambitieuse qui aurait comploté contre la reine.

Ses avoirs, estimés autour de 45 milliards d’euros, en font le monarque le plus riche de la planète

L’épouse de Rama IX, la reine Sikirit, l’avait annoncé : « Mon fils est une sorte de don Juan. » Rien ne doit lui résister. « Depuis ma naissance, je suis un prince. Ce que je ressens ? Il est difficile de dire ce que cela fait d’être un poisson quand on est un poisson, ou un oiseau quand on est un oiseau », répond-il à un journaliste en 1979. Son rang, pourtant, n’impressionnait guère ses camarades du chic pensionnat anglais de Millfield (Somerset)… Ce fut sans doute la seule résistance qu’il rencontra jamais sur son chemin. Un élève de Millfield se rappelle un personnage « double, instable, qui voulait être craint sans y parvenir ». Après l’Angleterre, Rama X intègre l’Académie militaire australienne de Perth, puis devient pilote de chasse et d’hélicoptère en Thaïlande. Son baptême du feu : les combats contre les Khmers rouges à la frontière cambodgienne. Promu général de l’armée de l’air puis commandant des gardes du corps de son père, il disparaît quatre mois dans un temple bouddhique avant de remplacer Rama IX, gravement souffrant, lors des cérémonies officielles. On est alors en 2007. A l’évidence, son addiction pour les conquêtes et son désir de liberté l’emportent sur son sens du devoir. Rama IX décède en 2016. Rama X attendra trois ans pour organiser son couronnement ! « J’ai besoin d’un délai pour porter le deuil », se contente-t-il d’expliquer.

Depuis les années 2000, ce n’est qu’à de rares occasions, comme à reculons, qu’il regagne son royaume. Rama X vit donc en Bavière les deux tiers du temps, ce qui n’aide pas à le rendre populaire. Pendant que son pays s’enfonce dans une crise certaine, il mène grand train. Ses avoirs, estimés autour de 45 milliards d’euros, en font le monarque le plus riche de la planète. Le Crown Property Bureau, dont il a la seule signature, possède un tiers des terrains à Bangkok, d’immenses domaines dans tout le pays et des pans entiers de l’industrie : BTP, banques, assurances.

En 2011, la Thaïlande a pleuré (ou fait semblant de pleurer) Fufu, son caniche favori, nommé à titre posthume maréchal en chef de l’armée de l’air

Atavique, sa fascination pour l’Allemagne remonte à son aïeul Rama VII, qui vouait au roi prussien Frédéric II un culte si extravagant qu’il fit construire une réplique du palais de Sanssouci à Hua Hin. Rama X, pour sa part, apprécie le climat et le style bavarois et, surtout, la propreté. Hypocondriaque, hanté par les microbes, il passe régulièrement des check-up et, selon Andrew MacGregor Marshall, se serait fait soigner à la Villa Medica, une clinique décriée qui propose des cures de jouvence à base d’injections de cellules de fœtus d’agneau. Il habite une somptueuse villa coquille d’œuf à Tutzing, fief des fortunes allemandes, où est scolarisé son fils de 15 ans, Dipangkorn, prince héritier. La villa : 1 400 mètres carrés cerclés d’une haie de 2 mètres de hauteur, quinze chambres, cent domestiques, des caméras partout et un accès direct au lac de Starnberg, où Louis II de Bavière, diagnostiqué aliéné, mourut avec son psychiatre. Rama X ne s’éloigne guère de sa fastueuse demeure. Sauf pour piloter l’un ou l’autre de ses deux Boeing 737, parqués sur l’aéroport de Munich. Il réserve régulièrement un espace aérien pour deux ou trois heures, s’entraînant essentiellement à des « posé-décollé » sur les pistes de Dresde, Leipzig ou Munich. C’est dans cette ville que des paparazzis l’ont photographié, en 2017, dans un centre commercial en jeans taille basse, débardeur et sandales, tatoué et l’air hagard, comme un fêtard sous stupéfiants tout droit sorti d’un « after hours ». Ainsi accoutré, il est ensuite monté à bord de son 737, nullement gêné devant l’équipage au garde à vous.

On sait peu de chose sur l’emploi du temps de ce roi qui se divertit loin de son royaume. Les autochtones parlent peu de lui, comme s’ils étaient eux-mêmes passibles du crime de lèse-majesté. Ils disent respecter sa vie privée. Chaque hiver, Rama X séjourne au Sonnenbichl de Garmisch-Partenkirchen, la station de ski huppée où, en 1936, se déroulèrent les quatrièmes JO d’hiver. L’hôtel, décoré d’un mobilier et d’objets précieux thaïs, est la propriété du ministre des Finances du sultanat d’Oman. Il le réserve à l’année. Ses principaux passe-temps : les haltères, quelques randonnées à vélo ou une petite heure de ski, pas plus, sur les pistes noires, accompagné de gardes du corps équipés de drones, chargés d’éloigner les curieux. Après le ski, un verre au Pub 33, un bar à cocktails de la station, où il retrouve ses chiens. En 2011, la Thaïlande a pleuré (ou fait semblant de pleurer) Fufu, son caniche favori, nommé à titre posthume maréchal en chef de l’armée de l’air. Quatre jours de funérailles nationales furent célébrés pour le toutou.

Le samedi 4 avril, Rama X s’est envolé pour la Thaïlande, où le Covid–19 explose. Non pas pour se tenir enfin auprès de ses sujets, mais pour célébrer, le 6 avril, l’anniversaire de la fondation de la dynastie Chakri. Après quoi, l’hypocondriaque est rentré dare-dare au pays de Goethe.

Par Marie-Pierre Gröndahl & Arnaud Bizot – Paris Match – 19 avril 2020

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