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En Birmanie, de «possibles crimes de guerre» contre les civils

Les Nations unies demandent une enquête sur les exactions commises dans les Etats Rakhine et Chin par l’armée birmane et l’Arakan Army lors de combats qui ont déplacé plus de 40 000 personnes et tué plusieurs dizaines de personnes depuis le début de l’année.

La crise du Covid n’aura pas entamé les combats. Dans les états Rakhine et Chin de l’Ouest birman, les villages brûlent, les coups de feu s’enchaînent et les civils fuient. La guerre entre l’armée birmane – la Tatmadaw – et l’Arakan Army (AA), groupe armé rakhine en pleine croissance, connaît une escalade inquiétante.

Des «dizaines d’adultes et d’enfants ont été tués ou blessés» depuis deux mois. «Des écoles, des maisons et un temple bouddhiste ont été brûlés ou détruits, et même un village entier [Tin Ma à Kyauktaw, ndlr] comptant jusqu’à 700 maisons», détaille la rapporteure spéciale de l’ONU sur la situation des droits de l’homme, Yanghee Lee. Ses services font état de disparitions, tortures, exécutions extrajudiciaires (notamment au village de Kyauk Seik, dans le canton de Ponnagyun) et de privations de soins et d’aide humanitaire.

Attaques et tirs quotidiens

Ces exactions visent également des travailleurs humanitaires. Le 21 avril, un agent de l’Organisation mondiale de la santé mobilisé pour la lutte contre le coronavirus et son chauffeur ont été victimes de tirs. Ce dernier est mort de ses blessures. Pour la seule semaine dernière, le bureau des Affaires humanitaires de l’ONU affirme que plus de 30 personnes ont été tuées et blessées. Et déjà plus de 40 000 habitants des Etats de Rakhine et de Chin ont été déplacés par les bombardements, les attaques et les tirs quotidiens depuis le début de l’année.

La situation est telle que les Nations unies, par la voix de Yanghee Lee, ont demandé, mercredi, l’ouverture d’une enquête sur de «possibles» crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. «L’armée de Birmanie continue d’intensifier ses attaques dans l’Etat de Rakhine, ciblant la population civile», a déclaré la Sud-Coréenne Yanghee Lee, qui termine son mandat. «La Tatmadaw inflige d’immenses souffrances aux communautés ethniques de Rakhine et Chin. […] Elle viole systématiquement les principes les plus fondamentaux du droit humanitaire international et des droits de l’homme.»

La rapporteure de l’ONU, dont les relations sont polaires avec le pouvoir birman, fustige depuis des mois le modus operandi des militaires. «N’ayant pas eu à rendre des comptes, la Tatmadaw continue d’opérer en toute impunité. Pendant des décennies, ses tactiques ont intentionnellement maximisé les souffrances des civils. Nous savons tous ce qu’ils ont fait aux Rohingyas en 2017, écrit-elle dans son communiqué. [Les militaires] ciblent maintenant tous les civils dans la zone de conflit, et des personnes des communautés Rakhine, Rohingya, Mro, Daignet et Chin ont été tuées au cours des derniers mois.»

Avec moins de vigueur, Yanghee Lee cible également l’Arakan Army dont «les hostilités ont eu des effets négatifs sur les civils, notamment en enlevant des fonctionnaires locaux et des parlementaires». En début d’année, Amnesty International rappelait que parmi les exactions commises à la fois par la Tatmadaw et l’Arakan Army (AA), nombreuses étaient celles qui équivalaient à des «crimes de guerre».

Seuil de pauvreté

Jusqu’en janvier 2019, l’AA – dirigée par Twan Mrat Naing – et l’armée birmane ne se livraient qu’à des escarmouches. Depuis sa création en 2009, l’AA poursuit un «programme nationaliste rakhine qui comprend l’autodétermination, la sauvegarde de l’identité bouddhiste et du patrimoine culturel de Rakhine et le développement d’un des plus pauvres Etats du pays : 78% de la population vit sous le seuil de pauvreté (près du double de la moyenne nationale) et n’a pas profité des investissements chinois», expliquait, en juillet, Iftekharul Bashar, chercheur associé au Centre international pour la recherche sur la violence politique et le terrorisme de l’université technologique de Nanyang à Singapour.

L’année dernière, ce groupe armé en pleine ascension, qualifié de «plus grave insurrection à laquelle l’armée birmane a été confrontée depuis l’indépendance» par l’analyste en sécurité Anthony Davis cité par The Economist, a lancé l’opération «Arakan Dream 2020» : autrement dit un appel à une insurrection pour parvenir à l’autodétermination à la fin de cette année. Alors les combats ont repris de plus belle.

Après l’attaque par plusieurs centaines de membres de l’Arakan Army de quatre postes de la police des frontières, treize officiers birmans avaient été tués en janvier 2019. Pour écraser les rebelles, la Tatmadaw avait alors lancé des opérations de nettoyage déjà largement pratiquées contre des populations rohingyas en 2016 et 2017. Signe de l’intensité de la menace et des combats, l’armée birmane a déployé entre 15 000 et 20 000 hommes pour lutter au sol, dans les airs et même sur mer contre l’Arakan Army qui gagne en audience et en confiance et entend «se débarrasser des chaînes du racisme et du colonialisme birman», selon les mots du commandant Twan Mrat Naing.

Depuis février, les autorités birmanes ont fermé Internet dans l’ouest du pays, déclarée «organisation illégale» l’Arakan Army qui pratique «l’impôt révolutionnaire et bénéficie de plusieurs sources de revenus», comme le racontait à Libération un diplomate. Cela ne semble pas handicaper l’AA, qui ne perd pas en popularité. Pis, les exactions de l’armée birmane pourraient bien jeter dans les bras de l’Arakan army des habitants, abandonnés par le pouvoir central depuis des décennies. Et aujourd’hui lassés d’être pris pour de la chair à canon.

Par Arnaud Vaulerin – Libération – 1er mai 2020

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