Français adoptés, ils sont retournés vivre au Vietnam
Amandine, Hien, Clément et Aurélien sont Français nés au Vietnam. Enfants, ils ont été adoptés à Saigon ; adultes, ils ont fait le choix de revenir vivre dans leur pays natal. Enfance, adolescence, relations parentales, quête de soi, barrière de la langue… lepetitjournal.com Ho Chi Minh Ville a pu aborder ces thèmes sensibles avec eux.
Amandine, Hien, Clément et Aurélien ont grandi dans des régions différentes. Ils ont en commun le fait d’avoir été adoptés au Vietnam, à Saigon, dans les années 90. Ils ont décidé de revenir au pays de leurs origines pour s’y installer. Dans ces déménagements au-delà des frontières, à 10 000 kilomètres de leur terre d’adoption, quelle quête se cache derrière ce retour en arrière ?
Trouver la mère biologique ?
Amandine est revenue pour la première fois à Saigon en 2017, à l’occasion d’un stage, en parallèle de ses recherches. « Suite à un message que j’avais posté sur Facebook, dans lequel je disais vouloir retrouver ma mère, j’ai été énormément aidée alors que j’étais en France », explique la jeune femme de 22 ans. Un Vietnamien entreprend de faire du porte-à-porte dans le district 10. Ses efforts vont s’avérer payants : quelques semaines plus tard, Amandine est accueillie à l’aéroport de Tan Son Nhat par sa mère biologique et toute la famille. « C’était mon premier voyage seule, à 19 ans, à des milliers de kilomètres de la maison. J’étais la dernière à sortir de l’avion. Ma famille ne parlait ni anglais ni français, je ne savais pas trop quoi dire, c’était très compliqué au début. Mais avec ma mère, on s’est tout de suite entendues. » Un soir, cette dernière finit par tout lui dire : comment la pauvreté et un contexte familial chaotique l’ont poussée à l’abandonner, et question encore lancinante, qui est son père, indiqué comme « inconnu » sur son certificat de naissance. Amandine a enfin fait la lumière sur son histoire.
Quelques jours plus tard, Hien, 27 ans, vient à son tour se prêter au jeu de l’interview. Adoptée à l’âge de huit ans – âge tardif pour une adoption -, elle était loin d’être une page vierge lorsqu’elle est arrivée en France. Silhouette gracile toujours vêtue avec élégance, elle affiche souvent un sourire immaculé et a l’éclat de rire facile, mais ses yeux semblent tristes. Pourtant, elle dit avoir eu une adolescence sans nuages particuliers, auprès de parents « ouverts d’esprits » qui l’ont toujours soutenue. « Ma maman m’a toujours dit que si un jour je voulais rechercher mes racines, elle serait là derrière moi, me soutiendrait, ça n’a jamais été un problème pour elle. » En 2017, sa quête d’identité la pousse à quitter son travail et revenir au Vietnam. À l’orphelinat de Go Vap, son point de départ, elle fera du bénévolat auprès des enfants pendant six mois. Puis, en 2018, un deuxième choix évident : trouver un travail pour s’installer durablement dans le pays, et ainsi pouvoir continuer ses recherches. D’abord professeure d’anglais, Hien enseigne aujourd’hui le français à Saigon. « Mes recherches sont en temps de pause, avoue-t-elle à regrets, je n’ai que très peu d’informations sur mon dossier, c’est donc très compliqué. »
Clément lui, est revenu au Vietnam à l’âge de 20 ans. « À la base, c’était un voyage de trois semaines. Mais je me suis dit que je voulais rester là, et je ne suis jamais reparti. Ça fait cinq ans. » Un peu comme s’il avait trouvé un sens à son existence, lui qui reconnait avoir eu une enfance et adolescence dures. D’ailleurs, Clément Cuong (qui signifie « force » en vietnamien) se dit volontiers être à la recherche de ses racines. « Quand j’étais dans le ventre de ma mère, elle mangeait des choses et moi en tant que bébé dans son ventre je ressentais tout ça. Tout ce que je fais ici, c’est pour apprendre à me connaître. Je suis en état de réconciliation. » Si le jeune homme a réussi à retrouver sa nourrice, il n’a pas souhaité poursuivre la démarche pour le moment, alors qu’il a en sa possession plusieurs papiers, des noms et des adresses, et même une lettre de sa mère biologique. « J’ai mis de côté tout ça pendant quelques temps, parce que sinon ça te bousille le crâne, confesse-t-il. Mais je vais m’y remettre. » Malgré des relations houleuses dès le plus jeune âge avec ses parents de l’autre côté du globe, Clément a toujours pu compter sur leur soutien quant à son besoin de connaître ses origines.
De même, Aurélien a fait le choix de revenir aux sources, après le décès de son père adoptif. « J’étais un peu perdu en France, et je me suis dit : quitte a être perdu dans un lieu autant aller au Vietnam où j’ai aussi des liens. Ça n’a pas été forcément facile au début mais je me suis bien adapté à la vie ici. » Avec l’appui de sa mère à distance, le jeune homme de 28 ans entreprend de retourner à l’orphelinat d’où il vient. Une rencontre providentielle avec une association lui permettra de retrouver sa mère biologique. Et d’obtenir enfin des réponses aux questions identitaires qu’il se posait depuis sa plus tendre enfance. « J’ai été adopté en campagne, à trente minutes d’Orléans, seul Asiatique jusqu’à mon entrée au lycée. C’était pas forcément facile. Quand on se regarde dans le miroir, le nez ressemble-t-il plus au papa, à la maman ? Quand je regardais mes parents adoptifs, j’avais une projection biaisée par rapport à un enfant qui regarde ses parents biologiques. » Aurélien s’est marié avec une Vietnamienne il y a deux mois. Si la chance semble lui avoir souri, il espère encore retrouver son frère, lui aussi confié à l’adoption il y a plus de 25 ans.
Apprendre la langue et gérer la double identité
La barrière de la langue parait parfois d’autant plus insurmontable lorsqu’on tente de renouer avec ses origines, comme le ressent Aurélien. Il tente pourtant de perfectionner son niveau de vietnamien, qu’il assimile à celui d’un jeune enfant. Mais malgré ces tentatives de cultiver patience et ténacité, le manque de maîtrise de cet outil de communication primordial est pour lui source de frustration : « Même si je prends des cours, j’ai du mal à échanger avec ma mère biologique. On dialogue plus à l’écrit qu’à l’oral, et forcément ça perd de sa spontanéité. Peut-être que si je parlais mieux vietnamien, je serais plus moi-même ici. »
Ce témoignage fait écho à celui de Hien, qui malgré un niveau de vietnamien basique, ne parvient pas à s’investir davantage dans son apprentissage, pour le moment. « Même si j’ai réussi à m’adapter à la culture, j’ai comme un blocage psychologique avec ma langue maternelle. Il me faudra du temps, peut-être quelques années. Quand je me sentirai prête, je prendrai des cours de vietnamien. » Au quotidien, Hien se heurte aux hésitations des locaux, qui se demandent d’où elle vient. Sa physionomie leur évoque souvent le Cambodge, parfois les Philippines, et rarement le Vietnam. Toujours est-il que la jeune femme, consciente de cette double identité -même si elle ne connaît pas encore totalement la deuxième -, sait qu’une certaine ambivalence en découlera toujours. « Mon coeur est partagé, c’est comme une double vie, analyse-t-elle. On ne se sent pas forcément complet, c’est la moitié de chaque vie. »
De son côté, Amandine apprend toute seule le vietnamien depuis trois ans, et peut désormais compter sur l’aide de sa mère. » Elle a essayé de m’apprendre la nourriture, les chiffres, les formules de politesse etc. Je pense que les Vietnamiens me voient comme un hybride ! (Rires). Ils ont du mal à comprendre que je ne parle pas la langue, ou seulement le basique. Quand je me promène dans les marchés, on me parle et je ne réponds pas parce que je ne comprends pas. Je me demande ce qu’ils pensent ! »
Quant à Clément, ses cinq années passées ici, et sa colocation avec une grand-mère vietnamienne lui ont permis d’acquérir un solide niveau. « Je prends encore des cours pour approfondir, mais j’apprends surtout avec tout le monde dans chaque situation : quand je commande un café, dans le taxi etc. » Et quand on lui demande s’il se sent plus Français ou Vietnamien, la réponse est claire : « Je ne suis pas moitié-moitié, je suis 100% les deux ; autant Clément que Cuong. Je vais d’ailleurs faire la demande de nationalité vietnamienne. Je suis chez moi ici. »
Ces histoires se sont forcément entrecroisées, dans cette ville tentaculaire qu’est Saigon. D’autant plus que, hasard de la vie, tous les quatre viennent du même orphelinat, dans le district de Go Vap. Aujourd’hui, ces jeunes gens semblent refaçonner leur destin, lequel laissait pourtant présager un avenir loin, très loin de la métropole du Sud Vietnam. Certains ont trouvé des réponses, d’autres cherchent encore ; dans tous les cas, ils ont retrouvé ici, une maison. « Je parle souvent de Saigon, car j’ai un lien très fort avec cette ville. Je ne me verrais pas vivre ailleurs. Si j’avais plus d’opportunités à Da Nang ou Hanoi, est-ce que j’irais ? Non, je ne pense pas. C’est ici que je veux être, ça coule de sens pour moi », conclut Aurélien.
Par Loanne Jeunet – Lepetitjournal.com – 11 mai 2020
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