Les drogues synthétiques envahissent la Birmanie et l’Asie du Sud-est
La semaine dernière, l’Armée Unie de l’Etat Wa (AUEW) a annoncé la saisie de 3,5 millions de pilules de méthamphétamine, obtenues après des affrontements avec une quarantaine de trafiquants de la zone spéciale numéro 2, que ce mouvement ethnique administre depuis 1989.
Cette zone spéciale est un territoire autonome dans l’état de Shan, une portion de 17 000 kilomètres-carrés coupée en deux, une partie au nord frontalière avec la Chine, une partie au sud frontalière de la Thaïlande. D’après la force spéciale de lutte contre le trafic de drogues de l’AUEW, ces drogues devaient d’ailleurs traverser la frontière vers la Thaïlande.
Cette saisie a lieu quelques jours après la publication d’un rapport de l’Office des Nations Unies contre les Drogues et le Crime (ONUDC), qui affirme que le marché des drogues synthétiques est en pleine expansion et diversification dans la région. Le document, intitulé « Drogues synthétiques en Asie de l’Est et du Sud-est : derniers développements et défis » explique entre autres que l’accroissement de la production de méthamphétamine dans la zone a fait chuter les prix à leur plus basse valeur depuis 10 ans, et qu’en revanche la variété et la quantité des drogues de synthèse a augmenté depuis l’année dernière.
Une saisie record préparée durant des mois
En avril 2020, fruit d’une opération menée par l’armée birmane pendant plusieurs mois, la plus large saisie de drogues synthétiques de l’histoire de l’Asie du Sud-Est a permis d’intercepter près de 200 millions de pilules de méthamphétamine, 500 kilogrammes de cristal méthamphétamine, quelque 300 kilogrammes d’héroïne et 3 750 litres de méthyl fentanyl, d’après l’ONUDC. « Ce qui a été découvert grâce à cette opération est réellement hors-norme », a reconnu Jérémy Douglas, représentant de la branche Asie du Sud-est de l’ONUDC. Mais de constater aussi que le réseau de laboratoires de production qui a été démantelé, situé dans le canton de Kutkhai, dans le nord de l’état de Shan, n’aurait jamais pu exister jusque-là sans le soutien de groupes criminels internationaux d’envergure.
Ce raid a permis la mise à jour d’une large production de méthylfentanyl, un opioïde synthétique aux propriétés analgésiques très puissantes, analogue du fentanyl, qui est lui, le principe actif d’une famille de médicaments dont la prescription massive – plus que fortement encouragée par les laboratoires pharmaceutiques le fabricant – est à l’origine d’une crise sanitaire majeure aux Etats-Unis, commencée vers 2014, officiellement reconnue comme telle en 2017 et qui aurait provoqué à ce jour plus de 400 000 morts d’overdose dans le pays, des morts justes liées à la surconsommation de médicaments prescrits et consommés tout à fait légalement… mais dont les consommateurs deviennent sans s’en rendre compte des drogués profondément « accros », jusqu’à donc parfois en prendre de trop et en mourir. L’addiction « en col blanc » en quelque sorte…
Une surproduction de pilules de méthamphétamine
« Nous pouvons aujourd’hui confirmer que la production et le trafic de drogue dans et à travers l’état de Shan ne ressemblent pas à ce que nous croyions jusqu’ici. Il ne s’agit plus essentiellement de comprimés de méthamphétamine et de cristal méthamphétamine. Cela a évolué vers des opioïdes synthétiques à une échelle que personne ne prévoyait », a d’ailleurs précisé Jérémy Douglas. « Nous avions prévu ce scénario depuis plusieurs années, et nous pouvons maintenant dire qu’il est en train d’arriver », a-t-il conclu.
Deuxième pays producteur d’héroïne après l’Afghanistan, et première source mondiale de méthamphétamine, la Birmanie fait partie du fameux « Triangle d’Or ». Sur cette zone géographique de forme plus ou moins triangulaire et qui recouvre des territoires non seulement de Birmanie mais aussi du Laos, de la Thaïlande et pour certains de la Chine, au confluent du Mekong et du Ruak, un commerce illégal de plusieurs milliards de dollars annuels fleurit depuis des décennies, ce qui interroge sur la capacité des autorités locales à y faire face. La production et la consommation de méthamphétamine au Cambodge et au Vietnam est également en augmentation, comme le montrent le bas prix de vente dans la rue, la quantité croissante de saisies par les autorités et la proportion de plus en plus importante de consommateurs de cette drogue dans les centres de désintoxication. En Birmanie, l’écrasante majorité de la production a lieu dans l’état de Shan, à cause sans doute du partage de frontières avec ses voisins du Triangle d’Or, Laos et Thaïlande. La diversification de la production vers les opioïdes synthétiques pourrait résulter de la baisse de la production de pavot à opium dans la région.
La méthamphétamine trouve pour l’instant ses marchés principaux au Japon, en Corée du Sud ou en Australie, où son prix atteint 150 000 USD par kilo. Sa production s’est développée dans le nord de la Birmanie ces dernières années, et les saisies des autorités se sont multipliées depuis 2017, d’après le rapport de l’ONUDC. Il ne faut pas la confondre avec le yaba, ces pilules contenant un mélange de méthamphétamine et de caféine, et qui sont surtout convoitées en Asie du Sud-Est, principalement vendues en Thaïlande et en Malaisie.
La Covid-19, une alliée des trafiquants de drogues
Trente-trois personnes ont été arrêtées en lien avec la saisie record d’Avril. Très martial, le Colonel Zaw Lin, responsable de la mise en œuvre des lois du Comité central pour le contrôle de l’usage des drogues, a déclaré que « les jours d’activité [des trafiquants] sont comptés ». Mais d’après U Tin Maung Thein, du groupe contre le trafic de drogues Myanmar Anti-Narcotics Association (MANA), les autorités font en fait peu d’efforts pour arrêter les producteurs et les trafiquants de drogue dans la région : « Même si l’opération dans le canton de Kuthkai a permis à l’armée de saisir pour des millions de dollars de drogues, le commerce est toujours en pleine expansion et les prix continuent de baisser ».
L’annonce récente du gouvernement de rediriger ses efforts – et ses fonds – pour limiter les effets de la pandémie de Covid-19 sur l’économie pourrait également avoir un impact sur la lutte contre le trafic de drogues, d’après l’ONUDC. « Alors que l’attention du monde s’est portée vers la pandémie de Covid-19, tous les indicateurs montrent que la production et le trafic de drogues et produits synthétiques continue, à des niveaux records dans la région », déplore Douglas. « Les trafiquants modifient leurs trajectoires alors que le pays [se ferme] dans le cadre de la lutte contre l’expansion du Covid-19 », d’après Nyi Rang, un officier de liaison de l’AUEW installé au bureau de Lashio.
En Thaïlande, les trafiquants opteraient même pour l’envoi de drogues par courrier à leurs petits consommateurs, d’après le Major Général Yingyos Thepjunmnong, du Bureau de suppression des narcotiques de la police royale thaïlandaise. Ces éléments mettent en lumière la capacité d’adaptation du réseau face à de nouvelles contraintes logistiques, et qui pourrait faire obstacle au travail des autorités. « Après enquête, nous avons conclu que les drogues étaient plutôt faciles à produire n’importe où en Birmanie », a conclu Nyi Rang.
Par Ludivine Paques – Lepetitjournal.com – 26 mai 2020
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