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Vietnam, les limites d’un pays cité en exemple face au coronavirus

A peine effleuré par la pandémie de Covid-19, le Vietnam se positionne désormais en modèle de gestion sanitaire à travers le monde. Une stratégie habile qui fait oublier les atteintes aux libertés individuelles.

Avec 325 cas de Covid-19 et zéro décès, selon les chiffres officiels, le Vietnam peut s’enorgueillir d’avoir dompté la pandémie comme peu d’autres pays et ce malgré une frontière de près de 1000 kilomètres avec la Chine d’où est parti le virus.

Ce succès doit beaucoup à la réaction rapide des autorités sanitaires qui ont fermé le pays et lancé une campagne de communication massive dès la fin janvier. Jusqu’à 127 articles ont été publiés chaque jour dans 13 médias en ligne, assure The Economist, des affiches et chansons humoristiques ont été créées par des artistes et des SMS envoyés pour alerter du danger.

Enfin, les patients ont été mis à l’isolement de façon systématique, leurs proches ainsi que les nouveaux arrivants placés en quarantaine pour quinze jours, souvent dans des bâtiments militaires à l’extérieur des villes.

Une stratégie efficace

« Le Vietnam a connu de nombreuses épidémies sporadiques ces dernières années, dont la plus traumatisante a été le SARS en 2003, il sait que des mesures fortes et rapides sont nécessaires pour protéger sa structure hospitalière et venir à bout de la maladie », relève Benoît de Tréglodé, directeur du domaine Asie-Afrique à l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (Irsem) à Paris, interrogé par la RTS.

Mais peut-on faire confiance aux statistiques fournies par le régime? Des doutes seraient permis face au « zéro décès » affiché par les autorités et qui pourrait surtout servir un objectif de communication, mais le bilan est jugé « crédible » par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Car le Vietnam, en plus d’avoir tiré les leçons des expériences passées, a l’avantage d’avoir une population jeune – sur 93 millions d’habitants, il ne compte que 6% de plus de 65 ans – et des moyens de contrôle efficaces.

« Si la bataille du Vietnam contre le Covid-19 a été un succès, sa lutte contre la liberté d’expression est discutable », résume le journaliste David Hutt, sur Asia Times. « Les structures qui contrôlent la pandémie sont les mêmes que celles qui contrôlent la liberté d’expression des dissidents et permettent le maintien au pouvoir du parti unique », soulignent Bill Hayton et Tro Ly Ngho  dans un article publié début mai par Foreign Policy.

Un modèle répressif

Le correspondant de RFI raconte ainsi qu’une caméra a été placée devant son logement pour vérifier qu’il respectait la quarantaine obligatoire à son retour de Malaisie. A côté de cela, ajoute-t-il, le gouvernement n’a pas hésité à placer des quartiers entiers à l’isolement, comme cette commune de 10’000 personnes au nord de Hanoï ou ce village du delta du Mékong coupés du monde pendant plusieurs semaines pour un seul cas positif détecté.

« On ne peut pas oublier que la réussite vietnamienne repose aussi sur le traçage pur et simple de la population ainsi que sur l’intervention de la police jusque chez les gens parfois sur simple dénonciation », insiste pour sa part Benoît de Tréglodé.

Grâce à une loi sur la cybersécurité adoptée par le Vietnam en 2019, le régime a renforcé la surveillance de la population et son contrôle des critiques émises à son égard sur internet. Même Facebook aurait accepté de supprimer certains commentaires, ce que dénonce d’ailleurs Amnesty International.

Guerre de l’information

Toujours est-il que ces méthodes musclées ont prouvé leur efficacité, et le Parti communiste, au pouvoir au Vietnam, en tire une certaine fierté. « Depuis quelques mois, les Etats autoritaires asiatiques se livrent à une surenchère de leur modèle pour des raisons de politique intérieure et de rivalité interétatique », observe Benoît de Tréglodé. « Pour le régime vietnamien, il s’agit d’asseoir sa légitimité et de redorer son blason à l’approche du Congrès du Parti », poursuit le spécialiste.

Hanoï a donc eu beau jeu d’apporter une aide médicale et des masques à des pays occidentaux comme la France, la Russie ou – surtout – les Etats-Unis, dans un contexte de tensions sino-américaines croissantes. Le président Donald Trump s’est même fendu d’un tweet pour saluer les « amis vietnamiens » au moment même où le nombre de victimes du coronavirus dépassait les morts de la Guerre du Vietnam aux Etats-Unis.

Tout un symbole qui n’a pas échappé aux médias. « Le Vietnam offre une leçon aux Etats-Unis », commentait fin avril le très sérieux Washington Post, pour le plus grand plaisir des autorités vietnamiennes. Depuis deux mois, chaque article qui évoque leur réussite politique est traduit et largement partagé sur internet et les réseaux sociaux.

Un débat sensible

Une véritable guerre de l’information qui semble fonctionner. En France, certains ont utilisé le modèle vietnamien pour critiquer la gestion de la crise sanitaire faite par le gouvernement français. « L’État vietnamien, protecteur, a endigué le virus de manière humaine et appliquée. Les Vietnamiens ont fait corps avec le gouvernement. Le système public de santé décentralisé, où l’hôpital occupe une place prépondérante, a joué tout son rôle », ont ainsi écrit deux représentants de l’Association de l’Amitié franco-vietnamienne dans une tribune publiée dans L’Humanité. D’autres journaux ont pris davantage de précautions, mais le malaise est perceptible.

« Le Covid-19 ne pourrait-il être le ‘game changer’ qui marquerait, sinon la victoire décisive des autoritaires, au moins un nouveau palier dans le reflux des libéraux face à leurs adversaires », interrogent l’ancien ambassadeur Michel Duclos et le politologue Bruno Tertais dans un article publié sur le blog de l’Institut Montaigne. S’il faut se garder de toute conclusion hâtive, le débat cristallise les passions et à ce jeu diplomatique Hanoï – comme Pékin – fait très fort.

Par Juliette Galeazzi – Radio Télévision Suisse – 27 mai 2020

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