Prisonniers politiques : les renoncements de la LND
La nouvelle condamnation de trois membres du groupe de théâtre satirique Peacock Generation, alors que 25 (!) autres membres de la troupe attendent de passer en jugement dans les semaines à venir, laisse un goût amer à tous ceux qui ont cru que le ras de marée de la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND) lors du scrutin de 2015 allait marquer un changement dans la liberté d’expression et le droit de penser par soi-même en Birmanie.
A six mois des prochaines élections générales dans le pays, les militants pour les droits Humains dressent un constat désabusé de l’action du gouvernement en place.
Certes, l’une des premières décisions de Daw Aung San Suu Kyi à son arrivée au pouvoir fut de faire libérer tous les prisonnier politiques et les étudiants en prison. Mais quatre plus tard, la triste réalité est que 592 nouveaux prisonniers politiques subissent actuellement le joug de l’injustice, selon l’organisation non-gouvernementale Association d’Assistance aux Prisonniers Politiques (AAPP Birmanie), qui défend les droits Humains et est basée en Thaïlande.
Les trois satiristes figurent au rang des quelque 180 personnes aujourd’hui détenues pour leurs opinions et incarcérées par le gouvernement de celle qui a un jour déclaré que « un seul prisonnier de conscience reste toujours un prisonnier de trop ». D’après AAPP, sur les 592 individus poursuivis pour leurs opinions, « 41 sont aujourd’hui condamnés, 142 attendent leur jugement en prison, 409 sont en liberté provisoire avant un procès dans lequel ils encourent une peine de prison ferme ». La mécanique des poursuites est bien huilée et ne changent pas : l’usage détourné d’un des nombreux articles flous du droit birman pour s’attaquer à des écrits, des opinions, des critiques… Une plaisanterie devient ainsi un « acte de terrorisme », une critique se transforme en « diffamation », une référence au passé en « incitation à la rébellion »… Dans ces conditions, tout débat est impossible, déplorent plusieurs associations militantes pour la liberté d’expression.
Le parti au pouvoir est bien conscient que sa réputation s’est ternie avec ses années de pouvoir et que de nombreux Birmans sont aujourd’hui choqués de voir une formation politique dont un nombre important de dirigeants – à commencer par la première d’entre eux – ont subi la détention pour leurs opinions participer à une répression similaire. Le porte-parole de la LND Monywa Aung Shin reconnaît le problème mais dans le même temps, le porte-parole du Bureau du président, Zaw Htay – un ancien militaire -, refuse de communiquer sur le sujet. L’un des arguments désormais développés par la LND est que pour pouvoir libérer des personnes condamnées suite à une plainte de l’armée, il faut l’accord de cette même armée…
Bien des militants des droits Humains reconnaissent volontiers que le rôle des militaires est encore bien trop présent dans la vie politique birmane pur qualifier celle-ci de « véritablement démocratique » mais ils estiment aussi que l’actuel gouvernement s’est trompé de cibles et n’a pas mené la politique volontariste nécessaire. Certains citent l’énergie et le temps passés à essayer de réformer la constitution de 2008 alors que chacun savait cette action vouée à l’échec. Ils disent que tous ces efforts auraient été bien mieux employés à reformer le système judiciaire et à modifier ou abroger certaines lois iniques. Bien des plaintes visant à limiter ou empêcher des critiques sont venues de députés ou de dirigeants affiliés à la LND, notent aussi ces observateurs.
Reste que l’espoir n’est pas mort chez tous, et que Daw Aung San Suu Kyi et son gouvernement reçoivent toujours le soutien de plusieurs militants en faveur de la liberté d’expression. Pour ceux-là, « en s’assurant que tous les prévenus sont jugés rapidement, la LND préparent un pardon général avant la fin de sa mandature ». L’avenir le dira, mais lors de son amnistie de nouvel an en avril dernier, le président Win Myint, lui-même un ancien prisonnier politique, a prononcé la libération de 25 000 détenus… dont seulement 18 étaient des prisonniers de conscience.
Lepetitjournal.com – 18 juin 2020
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