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Le Myanmar, victime d’un déboisement effréné

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La forte demande en provenance de Chine, d’Inde et d’Europe est à l’origine de l’exploitation illégale du teck, ce bois si précieux au Myanmar.

Le projet Out of Eden Walk de l’écrivain et explorateur National Geographic Paul Salopek est un carnet de voyage dans lequel le journaliste retrace, à pied, le périple des ancêtres de l’Homme à travers le monde. Cet article est le dernier en date, publié depuis le Myanmar.

MAWLAIK, MYANMAR – On se dirige vers l’est de la frontière indienne.

On est au cœur même de la jungle à la fois fraîche et brumeuse des Chin Hills au Myanmar. Un moine bouddhiste chauve nous sert de guide. Environ 18 kilomètres plus tard, ses jambes le lâchent. Il s’assied et se met à masser ses orteils meurtris. Puis il sourit et nous fait un signe de la main. Une route craquelée nous mène vers Chindwin. Au bord du fleuve boueux, depuis les quais d’un ancien avant-poste du nom de Mawlaik, une forêt en mouvement s’offre à nos yeux : des centaines de grumes entassées sur des barges sont emportées vers le sud par de grands courants bruns. Une partie de ce fret finira peut-être sous vos pieds ou votre couteau, que sais-je. Il s’agit surtout de teck.

Teck : Tectona grandis. L’un des arbres tropicaux les plus précieux. Grande résistance à la traction. Bois facile à travailler. Riche en huiles naturelles résistantes aux intempéries et aux parasites. Très utilisé pour les meubles de terrasse, les comptoirs et les planches à découper. Sa teneur élevée en silice qui, une fois poli, rend la surface mate, en fait un matériau très attrayant et antidérapant pour le revêtement des yachts. Pendant des siècles, le teck était l’acier des flottes. L’un des plus anciens navires de guerre britanniques, le H.M.S. Trincomalee, construit à Mumbai en 1816, flotte toujours aujourd’hui grâce à sa coque en teck robuste.

Près de la moitié du teck sauvage sur Terre pousse au Myanmar.

« On fait de notre mieux pour sauver les arbres qui restent mais il est déjà trop tard », affirme Than Tun Aung, professeur de géographie à la retraite qui dirige une petite unité environnementale ayant pour vocation de mettre un terme à l’exploitation forestière illégale dans cette région isolée. « La situation était devenue insoutenable. C’est pour cette raison qu’on a lancé cette initiative. La plupart des forêts avoisinantes ont déjà été détruites. »

Cela fait plus d’un siècle que le Myanmar – également connu sous le nom de Birmanie – est victime d’un déboisement effréné.

Les entreprises coloniales britanniques se sont emparées d’énormes étendues forestières et ont amassé des fortunes colossales grâce au bois transporté par les éléphants. Les arbres étaient d’abord annelés puis laissés pendant deux ou trois ans. Ensuite, les troncs morts étaient coupés puis transportés par le courant du fleuve afin d’être sciés. Cette méthode sélective a été adoptée jusque dans les années 1990, lorsqu’une demande mondiale de bois en plein essor – provenant en grande partie de la Chine mais également de l’Inde, de l’Europe et d’ailleurs – commença à dépouiller le Myanmar de son couvert forestier. Depuis 1990, le pays a perdu plus de 150 000 kilomètres carrés de forêts.  

En 2014, le gouvernement a enfin réagi.

Les autorités ont strictement interdit l’exportation de grumes de teck. L’armée a arrêté 153 bûcherons illégaux, principalement chinois, qui ont été condamnés à la prison à perpétuité (au Myanmar, c’est l’équivalent de vingt ans). Depuis, pour faire face aux difficultés économiques, les autorités ont desserré l’étau, permettant la vente de bois stocké et d’arbres de plantation. Cependant, la valeur inestimable du teck – dont le bois rapporte au Myanmar des centaines de millions de dollars chaque année – alimente toujours la corruption. L’exploitation forestière illicite se poursuit, même en pleine pandémie.

« Tout se fait au noir », dit Aung. « Ils ont mis en place un système infaillible. Le salaire des ouvriers est à moitié versé en drogues. Ces derniers deviennent dépendants. »

Aung me retrouve dans un salon de thé derrière le fleuve Chindwin avec trois personnes chargées de surveiller la forêt. Parmi elles, il y a un autre retraité et deux commerçants qui doivent avoir la cinquantaine. Furieux, ils sortent leurs téléphones et me montrent des photos de grumes illégalement coupées. Je leur demande pourquoi ils sont militants.

« Il fut un temps où les forêts étaient luxuriantes », se lamente Aung après un long moment de silence. « Nos jeunes, eux, ne s’en souviennent pas. »

Teck : Pendant le règne de la dynastie Konbaung – dernière monarchie birmane détrônée par les Britanniques en 1885 – on sacrifiait parfois des êtres humains pour protéger les villes ou les palais royaux. Ce rituel, appelé myosade, consistait à écraser cérémonieusement la personne sous une grande grume de teck. Une fois morte, cette personne devenait un nat – un esprit – qui protégeait le site.

Ces esprits habitent parfois certains tecks anciens. Mieux vaut ne pas en approcher sa hache !

On traverse le Chindwin en ferry.

On se rend dans un monastère bouddhiste dans le village de Pyin Gaing. Cet édifice est entièrement construit en teck. Des tonnes de bois. On y passe la nuit.

« Il y a deux périodes : l’avant et l’après scie électrique », explique U Nu Tin, le chef du village. Il est très affable. « Avec la scie à main, on coupait de manière très sélective. Ça demandait beaucoup d’efforts. On ne coupait pas les arbres qui se trouvaient sur des pentes raides par exemple. Avec la scie électrique, on coupe tout, partout. Les ressources sont épuisées. » Et Tin d’ajouter : « La nappe phréatique était de plus de 90 mètres avant. Elle est actuellement en déclin. Les arbres disparaissent, l’eau aussi. »

Près de Thickegyin, un carrefour central, un jeune agriculteur du nom de Myo Minaung nous montre un raccourci à travers la forêt.

« Les récoltes de riz ont considérablement baissé », dit Minaung. « Il vaut mieux couper du bois. »

Le travail agricole, précise-t-il ne rapporte que 2,5 à 4 euros par jour. Couper du teck en rapporte au moins 5. Cependant, depuis l’arrivée d’hommes d’affaires étrangers qui transportent les grumes « sans autorisation », Minaung et ses camarades villageois doivent errer de plus en plus loin pour trouver des arbres. On parcourt plus de dix kilomètres à travers la forêt secondaire. Je ne vois pas de teck de plus de 4,5 mètres : de jeunes arbres.

Teck : Le bois équarri sent le cuir huilé. Sa couleur varie du marron miel au doré fauve. Laissé à nu, il vieillit et vire au gris. Les plus grands arbres peuvent atteindre 40 mètres. En Thaïlande, l’un d’eux serait âgé de 1500 ans.

La forêt est plate. Il y a cinquante milliards d’éclats de vert. Et une infinité de bruits : des oiseaux qui sifflotent, des insectes qui grésillent, des gibbons qui poussent des cris. Les tecks sont d’une taille colossale. C’est à peine si j’arrive à les entourer à moitié en ouvrant tout grand les bras. Un lieu des plus humides. Le soleil darde ses rayons. Je tombe sur un chemin récemment nivelé.

Dans un chantier de construction boueux, les hommes sont sous des bâches.

Ils font bouillir de l’eau pour faire des nouilles. De gentils garçons. Plutôt timides. Généreux, même s’ils n’ont presque rien. Ils ne savent pas ce qu’ils font. Creuser une route dans la forêt. Intégrer un chemin pendant que d’autres se désintègrent. Je regarde leur café se diluer dans ma tasse. Comme une motte de terre engloutie par la mer.

Par Paul Salopek – National Geographic – 10 août 2020

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