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En Thaïlande, la répression de la contestation se durcit

Alors qu’une réforme de la Constitution était débattue au Parlement mardi et mercredi, des affrontements ont éclaté entre les étudiants protestataires et des ultraroyalistes. Six personnes ont été blessées par balles.

Une nouvelle étape a été franchie sur l’échelle de la violence à Bangkok : des balles réelles ont été utilisées contre les manifestants. Six d’entre eux sont toujours hospitalisés à la suite de blessures par balle, et on compte en tout une cinquantaine de blessés. Il n’est néanmoins pas encore établi si c’est la police ou bien des groupes opposés de manifestants qui ont fait usage d’armes à feu.

De violents affrontements avaient en effet éclaté dans l’après-midi de mardi entre les étudiants et des groupes de Chemises jaunes, ultraroyalistes opposés à la réforme de la Constitution exigée depuis des mois par les protestataires. Ces derniers demandent notamment une réduction des pouvoirs dévolus au monarque et un contrôle accru des finances royales. La possibilité d’un amendement en ce sens était étudiée par les députés mardi et mercredi, tandis qu’à l’extérieur du Parlement, les manifestants échangeaient jets de pierre et de barricades. Dans les deux camps, jaunes et étudiants, on déplore des blessés graves, y compris par balle.

Canards en plastique géants

Le soir venu, la police a utilisé des canons à eau, mélangée de produits chimiques irritants, et des gaz lacrymogènes. L’air était irrespirable aux abords du Parlement. Certains manifestants utilisaient des masques à gaz mais beaucoup faisaient avec les moyens du bord : lunettes de natation ou masques de protection utilisés dans les laboratoires scolaires de chimie, eau mélangée à du dentifrice pour apaiser les yeux et voies nasales irritées. Ceux qu’on appelle «les gardes», jeunes hommes et jeunes femmes déterminés, se relayaient sur la ligne de front par petits groupes, aussi longtemps qu’ils pouvaient le supporter, avant d’être remplacés par d’autres, sous les applaudissements de leurs camarades restés à l’arrière.

Mercredi, «pour éviter de verser le sang du peuple», au lieu de se rassembler à nouveau près du Parlement comme prévu initialement, plusieurs milliers de personnes se sont retrouvées près du quartier général de la police, au carrefour de Rajprasong, «le carrefour du Don du roi», rebaptisé pour l’occasion à travers de nombreux graffiti colorés «le carrefour du Don du peuple». L’ambiance était festive, même si beaucoup étaient venus avec casques, lunettes et masques à gaz. Comme ils l’ont démontré depuis des mois, les manifestants thaïlandais, privés de leurs leaders les plus emblématiques, emprisonnés, font preuve d’une remarquable organisation collective.

Grâce à un langage des signes inspiré des méthodes hongkongaises, la foule effectue des mouvements précis, afin de réaliser des actions coordonnées et de disperser les forces de police. «Tout le monde est un leader», est d’ailleurs devenu l’un des mots d’ordre scandés par la foule. Un manifestant d’une trentaine d’années portait un masque blanc qui affichait l’inscription : «On ne peut pas mettre une idée en prison.» Symboles désormais incontournables du mouvement, les fameux canards en plastique géants, icônes de la pop culture asiatique, sont visibles partout, servant à la fois de mascotte et de parapluie contre les jets d’eau de la police.

Légalisation de l’avortement

Les scènes de guérilla urbaines entre Chemises jaunes et partisans d’une réforme rappellent celles qui avaient précédé le coup d’Etat en 2014 : l’armée s’était alors saisie du pouvoir afin «d’amener la réconciliation» dans une société divisée. «Cette fois le gouvernement pourrait essayer d’adopter une stratégie de l’entre-deux, estime Chuan Tuangkong, un enseignant de relations internationales venu en observateur. Essayer, pour affaiblir l’unité du mouvement, de satisfaire les demandes de certains groupes tout en ignorant les plus importantes, notamment au sujet de la monarchie.»

Mercredi une étape importante a été franchie sur la voie de la légalisation de l’avortement, une demande de la part des groupes féministes au sein des manifestants. Une décision très attendue de la Cour constitutionnelle doit aussi statuer le 2 décembre sur le départ du Premier ministre – réclamé à cor et à cri par les manifestants –, accusé par l’opposition de continuer à occuper avec sa famille des locaux réservés aux militaires haut gradés malgré sa démission de l’armée.

Mais l’essentiel est certainement ailleurs. Dans la soirée, des étudiants encourageaient les manifestants à coller des points de couleur sur des tableaux, pour indiquer quelle était à leur sens la revendication la plus essentielle du mouvement. La colonne «réformer la monarchie» était devenue illisible, submergée sous les gommettes fluorescentes.

Par Carol Isoux – Libération – 18 novembre 2020

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