En Thaïlande, une montée inexorable de la violence
Des milliers de jeunes manifestants ont protesté, mercredi 18 novembre, dans le centre de Bangkok et ont dû affronter la police et des ultra-royalistes. La veille les forces de sécurité n’ont pas hésité à employer des balles réelles.
La tension ne cesse de monter, et les manifestations, qui se poursuivent jeudi 19 novembre, deviennent quotidiennes.
« Nous allons ouvrir une nouvelle ère dans nos combats car il n’y a plus de compromis possible » a lancé l’un des jeunes leaders étudiant Parit « Penguin » Chivarak durant une nouvelle manifestation au cœur de Bangkok, mercredi 18 novembre.
Non sans un certain humour car en tête de cortège ont dansé un clown, un moine et un canard gonflable, en référence à peine voilée à l’armée, au bouddhisme et au roi, les trois piliers du royaume. Que justement ces jeunes étudiants appellent à la réforme alors que le parlement devait voter le même jour pour décider quels projets d’amendements constitutionnels il accepte d’examiner.
Aucune proposition au parlement ne concerne une possible réforme de la monarchie
Plusieurs propositions ont été soumises au Parlement par une partie de l’opposition et une ONG. Elles visent notamment à réformer le Sénat, jugé beaucoup trop proche de l’armée, la Commission électorale et la Cour constitutionnelle.
Une autre proposition majeure débattue prévoirait aussi que le premier ministre soit obligatoirement issu des rangs du Parlement et non plus de l’armée comme c’est le cas aujourd’hui. Mais les 250 sénateurs, entièrement choisis par l’ex-junte, ne devraient pas aisément accepter de rogner sur leurs prérogatives et un éventuel changement constitutionnel prendre de toute façon beaucoup de temps. De plus, la plupart des propositions soumises aux parlementaires excluent toute réforme de la monarchie.
« La procédure parlementaire n’est que de la poudre aux yeux »
« Toute cette procédure parlementaire n’est que de la poudre aux yeux et elle n’a aucune chance d’aboutir », assure Charuwan Lowira-Lulin, une anthropologue thaïlandaise qui suit de très près ce mouvement de la jeunesse lancé il y a quatre mois. « La jeunesse mène la danse depuis des semaines, et le régime, déconnecté de la réalité du pays, ne sait absolument pas comment répondre à ses revendications autrement que par la violence, laquelle justifiera un nouveau coup d’État de l’armée » ajoute-t-elle.
Pacifiques depuis des mois, les manifestations, qui se poursuivent désormais quotidiennement, deviennent de plus en plus violentes, comme les confrontations avec la police anti-émeute, qui n’hésite plus à utiliser les canons à eau et les tirs à balles réelles.
Mardi 17 novembre, la police en a fait usage devant le parlement dans une répression très musclée. Alors que la nuit tombait, un affrontement a également éclaté entre manifestants pro-démocratie et « chemises jaunes » ultra-royalistes, les deux groupes se jetant bouteilles, pierres et déchets. Au total 55 personnes ont été blessées, dont six par des tirs à balles réelles, selon le centre médical d’urgence Erawan de Bangkok.
« C’est un roi décadent et dépravé qui nous gouverne »
Il s’agit des incidents les plus violents depuis le début de la contestation, qui réclame la démission du premier ministre, une réforme de la monarchie et une nouvelle Constitution. « La situation ne cesse de se dégrader, constate Worravut Thueakchaiyaphum, 32 ans, réfugié politique en France depuis deux ans, justement au moment où le roi Rama X est en Thaïlande ».
Apparemment effrayé de retourner en Allemagne, où il vit, à cause du virus et du confinement, le roi découvre son pays, et le palais royal a organisé pour lui plusieurs sorties officielles dans les rues de la ville. « Mais tout ce spectacle sonne faux, ironise une professeur à la prestigieuse Université Chulalongkorn qui veut rester anonyme, il fait des selfies, mais aucun roi n’a jamais fait ça, il veut faire plus peuple que le peuple mais personne n’y croit ».
De fait, beaucoup se demandent qui dirige vraiment le pays. Le premier ministre général Prayut Chan-O-Cha appelle au calme, sans plus, et tout le gouvernement reste silencieux. Avec un roi instable, que beaucoup considèrent comme « malade mentalement » – ce que tout le monde redoute de dire publiquement -, le pays semble naviguer à vue.
« C’est un roi décadent et dépravé qui nous gouverne », ose dire, en privé, un interlocuteur thaïlandais spécialiste de l’histoire de la monarchie thaïlandaise. Mais la puissante armée lui obéit. Et elle le protégera pour préserver ses privilèges.
Par Dorian Malovic – La Croix – 18 novembre 2020
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