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Cambodia Cycling Academy, mais que vont-ils faire dans cette galère ?

Installée en France mais enregistrée en Asie, la Cambodia Cycling Academy a attiré dans ses drôles de filets les gros poissons Davide Rebellin et Johan Le Bon. Notre enquête révèle les dysfonctionnements d’une équipe qui contourne les règlements et abuse de ses coureurs. L’un d’entre eux a porté plainte contre ses anciens dirigeants.

Pour 2021, la Cambodia Cycling Academy a frappé fort sur le marché des transferts. Davide Rebellin, vétéran-star avec ses 49 printemps et son palmarès touffu, et le bien plus jeune Johan Le Bon (30 ans, en fin de contrat avec B&B Hotels-Vital Concept) ont rejoint la toute jeune formation qui bat pavillon asiatique mais dont les activités sont menées depuis les Cévennes.

Ces deux gros coups ont attiré une attention nouvelle sur l’équipe Continentale (la dernière division professionnelle selon les règlements de l’UCI, après le World Tour et les équipes Continentale Pro) qui a notamment participé au Mont Ventoux Dénivelé Challenge l’été dernier. À cheval entre Cendras et Phnom Penh, le projet porté avec énergie par Samy Aurignac peut séduire mais sa mise en œuvre est bien plus tourmentée.

Ces dernières semaines, sept personnes ayant travaillé ou travaillant avec l’équipe nous ont confirmé des dysfonctionnements, entre problèmes matériels, contournements des règlements et conflits internes, jusqu’au dépôt d’une plainte en gendarmerie par un coureur contre ses anciens dirigeants.

« L’Union Cycliste Internationale a été indirectement alertée quant à de possibles dysfonctionnements internes à l’équipe [Cambodia Cycling Academy, ndlr] en fin de saison« , nous confirme l’institution basée en Suisse. La Fédération française de cyclisme et la Ligue nationale de cyclisme étudient également ce dossier à quelques semaines du Grand Prix la Marseillaise (31 janvier) et de l’Étoile de Bessèges (du 3 au 7 février), deux épreuves que la formation créée par Samy Aurignac a inscrites à son calendrier.

« L’équipe n’a pas de problème« , récuse le Gardois de 28 ans, qui enfile également le cuissard et épingle un dossard pour porter les couleurs de la Cambodia Cycling Academy en course. Il dénonce « des bruits de couloir » motivés par « la jalousie » et annonce des poursuites en diffamation contre ceux qui porteront préjudice à son projet.

Vélos abimés et argent envolé

Marié à une Cambodgienne, Samy Aurignac se rend lui-même régulièrement au pays, où il a trouvé son principal sponsor, une tannerie. Pensée depuis 2018, lancée en 2020, l’équipe a également bénéficié de subventions publiques dans le Gard, où le coureur-manager a composé autour de lui un assortiment hétéroclite de professionnels en quête de rebond, de semi-amateurs qui trouvent une aventure et un programme de course excitants, et de jeunes Cambodgiens pour compléter l’effectif. Épaulé par son père et sa femme, Samy Aurignac gère tout, avec des trous d’air : en septembre, les coureurs ont par exemple dû renoncer en dernière minute au Tour de Roumanie pour un problème de visa.

Les premières recrues attirées par la Cambodia Cycling Academy ont d’abord connu des problèmes de matériel. Les vélos, arrivés à la veille de la première course européenne de la saison, étaient usés et pour certains défectueux, ce qui a entraîné des incidents mécaniques et même des chutes selon plusieurs coureurs. Certains ont rapidement choisi d’utiliser leur propre matériel ou de réparer le vélo à leurs frais.

Selon leurs témoignages, ils ont également dû engager des frais de déplacement que l’équipe n’a pas remboursés. « C’est toujours pareil avec eux : ils disent que l’argent est là, qu’ils vont payer, mais ce ne sont que des paroles« , se désole un coureur qui s’est également rapproché de l’association internationale des coureurs CPA pour réclamer des versements à Cambodia Cycling Academy. « On avait trouvé un accord pour qu’ils me paient 800 euros par mois, mais ils ne voulaient pas faire de contrat. J’ai reçu 800 euros en février, 500 en septembre, et c’est tout pour l’année. »

Selon nos informations, son cas n’est pas unique au sein de l’équipe. « Aucun salaire » n’était prévu selon Samy Aurignac, qui précise au sujet des défraiements : « Il y a des coureurs, un coureur en particulier, qui, pour entrer dans l’équipe, nous avait dit qu’il se payait les voyages. Sur les contrats, il n’y a aucun souci. Ceux à qui je devais payer les déplacements, ils ont été payés, et ceux qui prenaient en charge leurs déplacements, ils l’ont fait. »

Nous avons pu consulter le contrat de ce « coureur en particulier« . Comme le veulent les règlements UCI, il précise : « Cambodia Cycling Academy offre à ses coureurs la gestion des transports pour se rendre aux compétitions […] ainsi que l’hébergement sur place. »

Dimanche 7 juin 2020, Cendras : le « guet-apens »

Coureurs et membres de l’encadrement décrivent également des conflits violents avec leurs dirigeants. « Si ils t’ont à la bonne, tout va bien, mais si tu ne leur reviens pas, ça peut devenir très compliqué« , observe une source proche de la famille Aurignac. Compliqué au point qu’un coureur a déposé plainte après ce qu’il décrit comme un « guet-apens« .

Devant les gendarmes, il a expliqué avoir été « convoqué par Samy Aurignac pour un stage« . Il est attendu au domicile de ses patrons le dimanche 7 juin et aucun de ses équipiers n’est concerné par ce « stage ». Sur la terrasse du domicile familial, le QG de l’équipe, cinq personnes l’attendent, dont trois qu’il ne connaît pas : « Assois-toi là, il faut qu’on parle. »

La plainte décrit alors deux heures d’interrogatoire, au cours desquelles le coureur doit donner son téléphone à ses interlocuteurs menaçants. « Samy prenait des photos de mes conversations« , explique-t-il. La famille Aurignac reproche notamment à ce coureur son manque de « loyauté » et le ton monte à plusieurs reprises.

« Samy s’est levé une fois et voulait me frapper« , décrit encore le plaignant. « Il a dit aux autres : ‘viens on l’emmène dans la forêt’ ou encore ‘tu sais pas ou tu vas dormir ce soir’ ; ‘les gars comme toi, on va les mettre à la cave’ ; ‘dans certains milieux, avec ce que tu as fait, tu serais en fauteuil roulant‘. »

Les pressions se seraient poursuivies dans le salon, où « ils m’ont dit que si je voulais participer aux Championnats de France, je devais leur donner la somme de 3000€« . Le coureur finit par signer la lettre de démission que ses dirigeants avaient également préparée. Pendant ce temps-là, « la femme de Samy sort un couteau de la cuisine et le pose sur la table du salon. Elle est ensuite allée rechercher un deuxième couteau. Il y a en avait un long et fin tandis que l’autre était un peu carré. Comme un couteau de boucher pour couper les os. Elle ne parle pas trop bien français mais elle a dit ‘Au Cambodge…’ et ensuite elle tapait sur la table avec un couteau. »

Choqué par l’événement, le coureur repart cinq heures après son arrivée et rentre chez lui au milieu de la nuit. Le 10 juin, il consulte un médecin qui établit une incapacité temporaire de travail de dix jours.

« J’ai été convoqué par la gendarmerie pour une plainte, mais ce n’est pas parce qu’on porte plainte que ce qu’on raconte est vrai« , se défend Samy Aurignac, selon qui le dossier a été classé : « Ça ne continue pas. Ça ne va nul part. Ça a été à la corbeille. » Selon nos informations, deux tribunaux se sont mobilisés sur cette enquête. Il appartient aux procureurs de mener les poursuites ou de classer l’affaire et d’en informer le plaignant.

Si tu n’as rien, j’ai une équipe pour toi

« J’ai été équipier avec Samy dans l’équipe Sovac, je le connaissais en tant que coureur mais pas en tant que dirigeant« , resitue Davide Rebellin. Dans un portrait de « L’homme orchestre Samy Aurignac » publié par Vélo Magazine en juillet 2020, le Gardois expliquait que sa très courte expérience chez Sovac (les deux premiers mois de la saison 2019) l’a motivé à devenir son propre patron : « Ils ne me payaient pas et m’ont manqué de respect. Je suis parti. »

« Il m’a déjà proposé de le rejoindre l’an dernier mais j’ai choisi une petite équipe que je connais bien« , explique Rebellin, qui courait ces derniers mois pour Meridiana Kamen Team. « Samy a continué de m’appeler, il m’a dit que l’équipe s’améliorait. Il m’a proposé un programme de courses en France, en Europe et en Asie et il n’est pas loin de chez moi alors j’ai dit ok. »

Le vétéran cycliste, qui était déjà professionnel lorsque Samy Aurignac est né en 1992, n’apporte pas seulement son expérience et sa réputation. Sur la photo annonçant sa signature, le patron de l’équipe exhibe un cadre Hersh, un partenaire de Rebellin qui doit équiper Cambodia Cycling Academy cette saison. L’Italien a également recruté Johan Le Bon. « Il m’entraîne depuis deux ans et il m’a dit : ‘Si tu n’as rien, j’ai une équipe pour toi, c’est mieux que rien‘ », explique le Breton.

Rebellin et Le Bon expriment aujourd’hui leur inquiétude. L’organisateur du Tour des Alpes Maritimes et du Var a contacté l’Italien pour lui dire qu’il ne pourrait peut-être pas inviter son équipe. « J’ai eu une autre proposition d’une équipe française que j’ai refusée parce que j’avais donné ma parole« , rumine le Français qui, sans rémunération de la part de son équipe franco-cambodgienne, s’inscrit au chômage.

La façade cambodgienne

Loin des exigences imposées aux équipes Continentale françaises, qui sont notamment tenues de payer leurs coureurs, Samy Aurignac justifie sa licence cambodgienne en composant un effectif où le contingent le plus important est celui des coureurs nationaux. « Si j’ai quatre Français dans l’équipe, il me faut cinq Cambodgiens« , nous expliquait-il en décembre. En plus d’Aurignac et Le Bon, l’équipe a recruté deux « néo-pros » : le Guadeloupéen Christopher Lamaille (21 ans, une victoire régionale en trois saisons) et le Vosgien Julien Pierrat (30 ans, dernière victoire amateur en 2016). Ils affronteront 11 équipes World Tour sur l’Étoile de Bessèges, dont les organisateurs ont dû écarter les demandes de Deceuninck-Quick Step, Astana et Movistar.

Dans un contexte de pandémie, avec des restrictions sur les déplacements, les Cambodgiens de la Cycling Academy n’ont pas encore vu l’Europe – et la plupart des occidentaux de l’équipe n’ont pas vu le Cambodge. Selon un proche collaborateur de la Fédération cambodgienne, la demande de visas était déjà « négligée » par l’encadrement de l’équipe avant les restrictions de déplacement qui ont marqué 2020 et se poursuivent en 2021. « Les coureurs cambodgiens ont été très déçus par cette expérience« , explique-t-il.

À ses yeux, collaborer avec Samy Aurignac pour le développement du cyclisme cambodgien représentait « une opportunité exceptionnelle » pour « une fédération qui a très peu de moyens financiers et humains« . Après avoir aidé au lancement du projet, sa désillusion est profonde : « La tournure des événements ne me semble pas saine, et j’en suis très déçu« . Un dirigeant d’une fédération européenne attaché à « l’esprit de formation » des équipes Conti enrage : « Je ne sais pas comment les Cambodgiens ont pu se laisser avoir. »

La situation est également problématique aux yeux de la Ligue et de la Fédération françaises. « Ça nous désole par rapport à ce qui se fait en France« , constate le Directeur technique national Christophe Manin. Il apporte son soutien aux coureurs concernés et salue le travail « véritablement professionnel » des équipes Continentale françaises Saint Michel-Auber 93 et Xelliss-Roubaix Lille Métropole, des structures qui opèrent avec des budgets de plusieurs centaines de milliers d’euros.

« Au-delà de comportements répréhensibles qui pourraient être sanctionnés par une commission de discipline contre des licenciés français, je ne pense pas que la Fédération puisse intervenir sur cette équipe étrangère« , précise-t-il. De même, le président de la Ligue, Xavier Jan, se dit « extrêmement attentif devant des faits qui, s’ils sont avérés, sont extrêmement graves » mais il estime que « la Ligue n’est pas impliquée dans ce dossier directement. D’un point de vue réglementaire, il s’agit d’une équipe continentale basée en Cambodge, même si sa base est en France. »

« Nous avons demandé des précisions afin de disposer d’informations directes et précises qui nous permettraient sur cette base d’interpeller la Fédération Nationale cambodgienne auprès de laquelle l’équipe est enregistrée et qui est responsable, en première instance, de s’assurer que le règlement UCI est respecté« , ajoute l’Union cycliste internationale. « Si, au terme des investigations, il s’avère que des agissements ont contrevenu au règlement, des mesures adaptées seront alors prises. »

Pour l’heure, la famille Aurignac attend Johan Le Bon, Davide Rebellin et les autres à Cendras pour un stage de pré-saison organisé à la mi-janvier.

Par Benoît Vittek – Eurosport TV – 12 Janvier 2021

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