Les sombres desseins de Min Aung Hlaing pour la Birmanie
Les tensions au sein de l’état-major auraient précipité le putsch. Le nouvel homme fort du Myanmar pourrait être tenté de suivre la voie thaïlandaise en rédigeant une Constitution sur mesure.
Que reste-t-il de « l’homme de peu de mots qui faisait normalement profil bas », décrit par un camarade de classe à l’agence Reuters en 2016 ? Min Aung Hlaing, le nouvel homme fort de la Birmanie, qui cumule, depuis le coup d’État de lundi, les pouvoirs législatif, administratif et judiciaire, est loin de la retraite paisible qui lui était promise grâce aux royalties cumulées à la tête des conglomérats militaires Myanmar Economic Corporation et Myanmar Economic Holdings Limited. Deux entreprises qui ont construit leur fortune grâce à la corruption dans le secteur minier.
Le général a également largement fait profiter sa famille de sa position de force. Seulement, ses activités ont soulevé des soupçons au niveau national et international, mettant en danger certains partenaires commerciaux de l’armée comme le Japonais Kirin Holdings et le Singapourien Pan Pacific. Et pour cause, en 2019, un rapport des Nations unies établissait un lien entre les intérêts économiques de l’armée birmane et le génocide des Rohingyas. Alors que Min Aung Hlaing est à la tête des opérations militaires dans l’Arakan, la Birmanie est poursuivie devant la Cour internationale de justice. Dans la foulée, les États-Unis édictent des sanctions contre le général pour son rôle présumé dans le nettoyage ethnique. Il est interdit d’entrée sur le sol américain, le Trésor gèle ses éventuels avoirs et interdit à ses ressortissants toutes transactions avec lui.
Protéger les prérogatives de l’armée
Après la lourde défaite du Parti de l’union, de la solidarité et du développement (Pusd), créé par l’ex-junte, aux législatives de novembre dernier, la mise à l’écart du général ne relevait plus d’une simple option. Ces tensions au sein de l’état-major pour la succession pourraient avoir précipité le putsch. Ce scénario cadrait mal avec sa volonté de jouer un rôle prééminent dans la conduite des affaires, comme en attestent ses divers dons à des temples bouddhistes dignes d’un homme politique en campagne et la création d’un profil sur le réseau social Facebook. Selon Phil Robertson, directeur adjoint de Human Rights Watch en charge de l’Asie, les militaires ont vu leurs espoirs « anéantis » avec les élections. « C’est comme prendre un marteau pour tuer un moustique. Ils ne sont d’accord avec l’expérience démocratique que lorsqu’elle va dans leur sens », indique encore le responsable de l’ONG.
Min Aung Hlaing ne s’en est jamais caché : « La Tatmadaw doit jouer un rôle de premier plan dans la politique nationale. »
À ce titre, l’état d’urgence décrété pour un an pourrait être amené à durer, comme ce fut le cas après le coup d’État de 2014 en Thaïlande. Sept ans plus tard, après une réforme de la Constitution et une élection sujette à caution, les généraux thaïlandais détiennent toujours la réalité du pouvoir. En Birmanie, le scrutin de novembre « a encore exacerbé les tensions, convainquant le chef de l’armée, Min Aung Hlaing, que la Constitution n’était plus un rempart suffisant » pour protéger les prérogatives des militaires, estime Sebastian Strangio, auteur d’un livre sur les relations de l’Asie du Sud-Est avec la Chine. Une réforme constitutionnelle pourrait ainsi voir le jour afin de renforcer les positions de l’armée. Min Aung Hlaing ne s’en est jamais caché : « La Tatmadaw (les forces armées birmanes – NDLR) doit jouer un rôle de premier plan dans la politique nationale. »
Un candidat peu probable à la poursuite des pourparlers de paix
Dans l’ombre du colonel Than Shwe, futur président du pays qui dirige la division 88 de l’infanterie légère, Min Aung Hlaing forge sa vision du rôle de l’armée. Sa carrière décolle en 2007, lorsqu’il se voit confier le commandement des opérations à la frontière orientale afin de réprimer la « révolution safran » contre la hausse du prix des carburants. Deux ans plus tard, il supervise l’offensive contre l’armée insurgée de l’Alliance démocratique des nationalités du Myanmar. Des faits d’armes qui en font aujourd’hui un candidat peu probable à la poursuite des pourparlers de paix – déjà mal en point – avec les différents groupes ethniques armés. C’est en 2011, année où Than Shwe dissout la junte pour ouvrir « une nouvelle ère de démocratie disciplinée », que Min Aung Hlaing est propulsé à la tête de la puissante armée. Alors qu’Aung San Suu Kyi accède au pouvoir en 2015, il a à cœur de montrer que l’armée détient toujours les clés du pays et multiplie les voyages à l’étranger. Fini le profil bas.
Par Lina Sankari – L’Humanité – 3 février 2021
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