Menace sur Angkor : le Cambodge approuve la construction d’un parc d’attractions à 500 mètres des temples
Le gouvernement cambodgien a approuvé le projet de la société hongkongaise NagaCorp Ltd. de construire un parc aquatique gigantesque près du site antique d’Angkor. Les experts de l’UNESCO ont fait part de leur profond désaccord.
75 hectares et 290 millions d’euros d’investissement, voilà les contours du projet pharaonique Angkor Lake of Wonder que le premier ministre cambodgien Hun Sen vient d’approuver, à la stupéfaction de l’Unesco. Situé à peine à 500 mètres de la zone tampon instaurée par l’organisation des Nations Unies, qui sert à protéger le site des dégradations et des constructions abusives, le parc d’attractions risque en plus d’assécher les précieuses réserves d’eau du site archéologique. Le projet de NagaCorp est en effet de créer un grand nombre d’attractions aquatiques, accompagnées de 900 chambres d’hôtel avec une vue imprenable sur les 200 temples khmers et leurs bassins.
Capitaliser sur un site archéologique : mode d’emploi
La société hongkongaise NagaCorp, détenue par l’homme d’affaires malaysien Chen Lip Keong, souhaite créer un grand complexe de loisirs près d’Angkor, baptisé Angkor Lake of Wonder. Elle a annoncé avoir reçu l’accord du gouvernement cambodgien le 12 mai dernier. Le terrain lui sera cédé sous la forme d’une concession sur 50 ans, dont les sept à dix premières années seront sans frais pour NagaCorp. À terme, le retour sur investissement devrait approcher les 800 millions d’euros pour le Cambodge, ce qui encourage malheureusement cette mise en péril du site emblématique de la période khmer. Avec ses douze attractions aquatiques, dont une rivière enchantée de 2,5 kilomètres et un ensemble piscine-plage de 5000 m², le projet semble en effet uniquement motivé par des considérations pécuniaires, au mépris de la conservation du site d’Angkor. Les alentours des temples khmers ont fait l’objet d’au fil du temps de la voracité des promoteurs immobiliers, comme le souligne Le Monde, avec notamment une explosion du nombre de chambres d’hôtel à Siem Reap, la ville la plus proche.
Pollutions en tout genre
Les experts du Comité international de coordination d’Angkor (CIC-Angkor), l’organisme de l’Unesco qui veille à la préservation du site, ont fait part de leur désaccord avec le projet touristique de NagaCorp. Selon eux, « la taille disproportionnée du projet semble peu compatible avec l’esprit de préservation et de gestion d’un site iconique tel que celui d’Angkor. Il affecterait gravement l’image de la « valeur universelle exceptionnelle » qui lui a été reconnue par le Comité du patrimoine mondial en décembre 1992 ».
Outre la désacralisation de ce site historique capital, le projet de parc d’attractions pose un certain nombre de questions environnementales. Il risque en effet de générer des pollutions qui peuvent affecter les populations et dégrader le site d’Angkor. Il aura également une forte incidence sur l’approvisionnement en eau local, qui repose sur un système, assez fragile, en place depuis la construction des palais. Le site, qualifié par l’archéologue Bernard-Philippe Groslier de véritable « cité hydraulique », a en effet un lien très fort avec l’eau et comprend, notamment, de nombreux barays, de gigantesques bassins qui, outre leur fonction religieuse, permettaient de stocker les eaux de pluie. Les experts sont par ailleurs très inquiets de l’épuisement de la nappe phréatique locale, à cause de la forte consommation d’eau des touristes. Le CIC-Angkor a donc recommandé de ne pas construire de complexe de ce genre à moins de 30 km des temples d’Angkor, bien loin des quelque 500 m où NagaCorp entend ériger Angkor Lake of Wonder. Le groupe industriel n’a par ailleurs pas réalisé d’études d’impact environnementales, bien qu’elles s’avèrent extrêmement nécessaires.
Angkor, site millénaire
Le projet pourrait ainsi considérablement mettre en péril le précieux site d’Angkor, ancienne capitale de l’Empire khmer (IXe-XVe siècles). Celui-ci compte près de 200 temples en grès répartis sur plus de 400 m² et construits au IXe siècle par la dynastie impériale. Complètement enclavée dans une forêt dense, la principale attraction touristique du Cambodge était jusque-là bien préservée. La gestion du site par le CIC-Angkor, créé il y a 25 ans, est d’ailleurs considérée par de nombreux experts comme un modèle de conservation exemplaire. Le travail du comité a notamment permis de le retirer de la liste des monuments en péril de l’Unesco, qui l’a aussi classé au Patrimoine Mondial en 1992.
Par Antoine Bourdon – Connaissance des arts – 16 février 2021
Articles similaires / Related posts:
- Déclaration de l’UNESCO sur la décision du Gouvernement cambodgien relatif au projet de construction signalé près du site du patrimoine mondial d’Angkor Suite aux échanges fructueux et constructifs entre l’UNESCO et le Gouvernement royal du Cambodge, à la Déclaration de l’UNESCO sur le sujet et aux recommandations techniques du Comité international de coordination pour la sauvegarde et le développement du site historique d’Angkor (CIC-Angkor), l’UNESCO salue la récente décision du Gouvernement cambodgien de ne pas donner suite au projet, de développement qui lui avait été présenté et qui consistait en la construction d’un parc d’attraction de 75 hectares aux abords du site du patrimoine mondial d’Angkor....
- Les temples de Koh Ker inscrits au Patrimoine Mondial Lors de la 45ème session du Comité du Patrimoine Mondial de l’UNESCO à Riyad, les temples de Koh Ker dans la région de Siem Reap ont été inscrits à la liste du Patrimoine Mondial....
- Le Cambode célèbre l’inscription de Koh Ker au Patrimoine mondial Des milliers de Cambodgiens ont célébré mercredi l’inscription du site archéologique de Koh Ker sur la liste du Patrimoine mondial de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO)....
- Le Comité du patrimoine mondial ne doit pas fermer les yeux sur les « expulsions forcées massives » autour d’Angkor Wat Le Comité du patrimoine mondial doit aborder la situation préoccupante des expulsions forcées aux abords du site classé d’Angkor lors des réunions qui auront lieu ce mois-ci, a déclaré Amnesty International après avoir soumis ses résultats préliminaires de recherches à l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) en prévision de la 45e session du Comité, organisée à Riyadh, en Arabie saoudite, du 10 au 25 septembre....
- Restitution au Cambodge de plusieurs œuvres d’art khmères pillées pendant la guerre civile Le Cambodge va prochainement récupérer l’ « âme de ses ancêtres », quatorze joyaux du patrimoine khmer que le MET, le Metropolitan Museum of Art de New York – qui abrite un million et demi d’œuvres du monde entier et compte parmi les musées les plus prestigieux de la planète – a accepté de restituer....