LES COUPES ILLÉGALES MASSIVES SE POURSUIVENT DANS LA FORÊT PLUVIALE DE PREY LANG ALORS QUE LES PATROUILLES DE SURVEILLANCE SONT INTERDITES
La forêt de Prey Lang est gravement menacée, un an après que les défenseur.es de l’environnement se sont vu interdire d’effectuer des patrouilles de surveillance dans cette réserve naturelle. Les autorités ont annulé la cérémonie que la population locale avait prévu d’organiser à Prey Lang ce jeudi 25 février. Un projet de ligne électrique risque d’aggraver la déforestation.
Les coupes illégales massives et la répression des militant.es écologistes font partie des graves menaces qui pèsent sur la forêt pluviale de Prey Lang, a déclaré Amnesty International ce jeudi 25 février, un an après que les autorités ont interdit aux défenseur.es de l’environnement d’entrer dans la réserve naturelle de Prey Lang.
Des images récentes et des données de télédétection examinées par le Laboratoire de preuves du programme Réaction aux crises d’Amnesty International montrent que les coupes illégales – principale cause de la déforestation à Prey Lang – se poursuivent à un rythme soutenu, de vastes clairières et de nouvelles routes étant réalisées au sein de la zone protégée.
« Alors que les autorités cambodgiennes empêchent le Réseau communautaire de Prey Lang et les écologistes de protéger la réserve naturelle de Prey Lang, des bûcherons défrichent des terres illégalement en toute impunité », a déclaré Richard Pearshouse, principal conseiller d’Amnesty International pour les situations de crise en matière d’environnement.
« Les autorités cambodgiennes doivent permettre à ces écologistes de reprendre leurs patrouilles de surveillance et de mener à bien leur travail essentiel pour empêcher la poursuite de la destruction d’une des plus importantes forêts pluviales au monde, qui est en train de disparaître sous nos yeux. »
La semaine dernière, le ministère de l’Environnement a rejeté une demande des membres du Réseau communautaire de Prey Lang, qui souhaitaient organiser leur cérémonie annuelle de bénédiction des arbres à Prey Lang le 25 février. Les membres du Réseau – qui appartiennent pour la plupart à l’ethnie kuy – se sont vu empêcher par la force d’organiser cet événement dans la forêt l’année dernière. Depuis lors, il leur est interdit d’entrer dans la réserve naturelle pour y effectuer des patrouilles. La répression actuelle nuit gravement aux efforts déployés par les écologistes pour protéger Prey Lang et les droits des peuples indigènes.
Prey Lang est la plus grande forêt de plaine à feuillage persistant en Asie du Sud-Est continentale ; elle couvre environ 500 000 hectares et s’étend sur quatre provinces du Cambodge. En 2016, une bonne partie de la forêt a été classée réserve naturelle. Plus de 250 000 personnes, dont la majorité se considèrent comme des membres de l’ethnie kuy, vivent à l’intérieur et autour de la forêt de Prey Lang. Prey Lang joue un rôle crucial pour la subsistance, la culture et la spiritualité du peuple kuy.
L’exploitation illégale en cours
Les images satellite examinées par Amnesty International révèlent clairement une tendance préoccupante à l’abattage illégal d’arbres à Prey Lang, y compris au sein de la réserve naturelle. Des images prises le 5 février 2021 font apparaître de nombreuses piles de rondins dans une zone récemment défrichée juste à côté de Prey Lang. On y voit également de nouvelles routes d’accès qui n’étaient pas présentes sur des images précédentes datant de janvier 2020.
Les alertes à la déforestation, créées par l’Université du Maryland en partenariat avec Global Forest Watch, mettent en évidence un vaste déboisement en 2020 et au début de l’année 2021. En 2019, Prey Lang a perdu 7 511 hectares de couvert forestier, soit 73 % de plus que l’année précédente, selon l’Université du Maryland.
D’après les rapports du Réseau communautaire de Prey Lang, l’exploitation forestière illégale visant le bois de luxe représente la quasi-totalité des activités illégales constatées lors des patrouilles. La législation cambodgienne interdit d’abattre des arbres dans les zones protégées, et prévoit des peines plus lourdes quand il s’agit d’essences en danger ou très recherchées.
Mesures de répression visant les écologistes
Ces 12 derniers mois, les écologistes ont été systématiquement pris pour cible par les autorités cambodgiennes à titre de représailles pour leurs activités de protection de l’environnement.
Ce mois-ci, des agents du ministère de l’Environnement ont arrêté et placé en détention arbitrairement cinq écologistes, dont le célèbre militant Ouch Leng, alors que ces personnes enquêtaient sur l’exploitation forestière illégale à Prey Lang. Elles n’ont été relâchées que trois jours plus tard, après avoir signé un document dans lequel elles s’engageaient à ne pas entrer dans la forêt de Prey Lang sans l’autorisation du ministère de l’Environnement.
Plusieurs organisations écologistes locales, dont le Réseau communautaire de Prey Lang, ont été menacées sur la base d’accusations selon lesquelles elles menaient leurs activités illégalement parce qu’elles n’étaient pas enregistrées en application de la Loi sur les associations et les organisations non gouvernementales, très critiquée. Depuis son entrée en vigueur en 2015, cette loi a été essentiellement utilisée pour limiter et punir les activités des acteurs indépendants de la société civile qui s’expriment librement. L’enregistrement obligatoire que cette loi impose à toutes les associations est contraire aux obligations qui incombent au Cambodge en vertu du droit international relatif aux droits humains.
Ces derniers mois, les autorités cambodgiennes ont aussi pris pour cible de jeunes écologistes en les soumettant à des arrestations et des détentions arbitraires. Le 4 septembre 2020, trois défenseur.es de l’environnement liés au groupe militant Mother Nature Cambodia – Thun Ratha, Long Kunthea et Phuong Keorasmey – ont été appréhendés ; ils ont ensuite été inculpés d’ « incitation ». Ces trois personnes ont été reconnues comme des prisonniers d’opinion par Amnesty International. Elles sont maintenues en détention provisoire.
La législation cambodgienne et le droit international relatif aux droits humains garantissent le droit des communautés locales et des peuples indigènes de participer à la gestion durable et à la conservation des zones protégées. Ces textes juridiques protègent également leur accès aux usages traditionnels, aux coutumes locales, aux croyances et aux religions.
« Les autorités cambodgiennes doivent mettre fin à leur harcèlement incessant à l’égard des militant.es et organisations écologistes et indigènes », a déclaré Emerlynne Gil, directrice adjointe de la recherche pour la région Asie-Pacifique à Amnesty International.
« Elles doivent aussi annuler immédiatement l’interdiction de patrouiller dans la réserve naturelle de Prey Lang qui pèse sur le Réseau communautaire de Prey Lang, et permettre aux organisations locales de poursuivre leurs activités sans se heurter à des ingérences. Le respect des droits des défenseur.es indigènes et locaux de la forêt est indispensable pour la protection de Prey Lang. »
Un nouveau projet énergétique
En décembre 2020, le ministère cambodgien des Mines et de l’Énergie a signé un accord prévoyant la construction d’une ligne électrique de 299 km de long reliant Phnom Penh à la frontière avec le Laos. De nouveaux déboisements risquent d’être pratiqués, car le parcours de la ligne électrique couperait Prey Lang en deux.
« Les autorités doivent annuler ce projet de ligne électrique passant au coeur de Prey Lang, et opter pour un parcours de substitution qui n’entraînera pas de dommages supplémentaires pour la forêt. Des solutions viables, qui protègent Prey Lang ainsi que les droits fondamentaux des peuples indigènes et des populations locales, sont manifestement disponibles », a déclaré Richard Pearshouse.
« Si les autorités cambodgiennes ne prennent pas des mesures immédiatement pour protéger Prey Lang de façon adéquate, les conséquences seront dramatiques pour la forêt et les populations indigènes kuys locales ».
Amnesty International – 25 février 2021
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