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L’institut Pasteur du Cambodge lutte déjà contre les virus de demain

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L’Institut Pasteur du Cambodge cherche déjà les virus de demain et les moyens de les combattre. Nous avons rencontré le Dr. Sébastien Boyer, entomologiste qui en nous explique les enjeux.

La lutte contre les virus pathogènes pour l’homme est une priorité internationale. Au moment où le monde entier se débat contre la Covid 19, l’Institut Pasteur recherche également quels pourraient être les virus de demain et les moyens de lutter contre ceux-ci.

Le Dr. Boyer est entomologiste. Au Cambodge depuis quatre ans, il travaille sur les espèces de moustiques du pays. Ces moustiques sont vecteurs de nombreux virus dont ceux de la dengue, du chikungunya, de Zika ou de l’encéphalite japonaise, mais aussi d’autres virus qui restent à découvrir.

lepetitjournal.com l’a rencontré, il nous parle de l’avancée des recherches à ce sujet.

lepetitjournal.com : Bonjour Docteur, quel est votre travail au sein de l’Institut Pasteur du Cambodge ?

Dr Sébastien Boyer : Mon travail, comme ma discipline, est souvent multidisciplinaire. En effet, travailler en entomologie médicale (discipline qui étudie les arthropodes/insectes vecteurs de pathogènes entraînants des maladies chez l’homme), est un voyage à la découverte des insectes, des agents pathogènes qui sont transmis, de l’homme qui sera la victime des maladies et également des facteurs influençant cette transmission, à savoir le climat, l’environnement ou encore l’anthropisation.

Plus spécifiquement au Cambodge, nous travaillons sur la description des différentes espèces de moustiques présentes dans les pays dans différents environnements. A ce jour, nous avons décrit 294 espèces de moustiques et ce chiffre ne cesse d’augmenter avec notre travail de terrain, ce qui prouve l’importante biodiversité qui existe au Cambodge en termes d’espèces de moustiques, mais certainement également pour les autres espèces d’insectes.

Cet inventaire est couplé à un inventaire très exhaustif de virus présents dans certaines espèces de moustiques. Aujourd’hui, de nouveaux outils nous permettent aujourd’hui de décrire le virome (l’ensemble des virus) au sein d’un même individu. Cette méthode nous a permis de découvrir de nouveaux virus en cours de description par ailleurs.

Enfin, nous couplons ce double savoir de présence d’espèces de moustiques et de virus à l’occupation des sols. En effet, nous travaillons sur un gradient écologique qui comprend plusieurs sites allant d’une forêt à une ville pour observer la présence des virus sur ce gradient afin d’estimer quelles pourraient être les espèces de moustiques capables de les faire sortir de leur milieu naturel et de les transmettre à l’homme. Nous appelons ces espèces des espèces bridge vector.

LPJ : Quelle est l’utilité d’un tel travail ?

Dr SB : Un tel travail est primordial pour l’anticipation des réponses possibles à des émergences de nouveaux virus. Nous savons d’ores et déjà l’importance sanitaire forte de la dengue et de l’encéphalite japonaise quotidiennement au Cambodge, sans parler des pics épidémiques comme la dengue et le chikungunya en 2019 pour ne mentionner que les plus récentes épidémies.

L’objectif de notre travail est donc de trouver puis de caractériser ces nouveaux virus afin de savoir s’ils pourront être transmis par les moustiques à l’homme. Dans un second temps, après cette caractérisation, nous espérons être capables de tester certains inhibiteurs pour en arrêter/stopper le développement.

Encore une fois, l’objectif est d’essayer d’avoir un temps d’avance sur les futures épidémies, pandémies qui pourraient survenir. C’est un travail de longue haleine, de découverte et d’anticipation.

LPJ : Quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confronté ?

Dr SB :La capacité que nous aurons à tester ces molécules, ces principes actifs contre ces nouveaux/futurs virus est fortement liée au budget et aux financements que nous sommes en mesure d’obtenir. En effet, tester des inhibiteurs de virus sur des virus demande des mesures de précaution et de sécurité importantes que nous avons à l’Institut Pasteur du Cambodge. L’utilisation de ce laboratoire de sécurité biologique 3 peut nous permettre de faire ces expériences en toute sureté biologique. L’obtention de financements alloués à ces expériences, suffisamment rares, est compliquée à obtenir.

Par ailleurs, selon moi, il serait temps de développer une entomologie médicale plus moderne, plus urbaine. Les études sur les moustiques dans les villes sont rares. Les nouvelles typologies urbaines, avec une verticalisation des habitations et des gîtes habitées par les moustiques sur les toits de buildings ou dans les sols, sont très peu étudiées en relation avec les risques de transmission de maladies vectorielles. L’urbanisation récente et rapide de Phnom Penh avec une disparition des lacs, des parcs et des forêts entraînent indubitablement la question de la « relocalisation » des espèces de moustiques autrefois présentes : ont-elles disparu ou se sont-elles adaptées à ces nouveaux environnements ?

Heureusement, pour développer et mettre en place ces travaux, je peux compter sur la motivation d’une équipe formidable, travailleuse, appliquée et minutieuse, ainsi que sur l’envie de jeunes étudiants qui deviendront, je l’espère, de futurs brillants chercheurs. J’en profite également pour remercier l’Ambassade de France au Cambodge, via son programme FSPI – Fonds de solidarité pour les projets innovants- ainsi que l’lnstitut Pasteur à Paris et le NIH (National Institutes for Health, projet PICREID) pour leur soutien à mes recherches.

LPJ : Quels sont les axes de recherches que vous envisagez pour l’avenir ?

Dr SB : Nous avons actuellement plusieurs axes de recherche centrés sur la découverte de nouveaux virus pour anticiper les risques. Vous aurez également compris que j’aimerais être dans la capacité de pouvoir tester certaines molécules, certains inhibiteurs sur ces virus pour participer, par anticipation, à la lutte contre ces futures potentielles pandémies.

Les autres axes de recherche que j’aimerais développer sont en lien direct avec les activités humaines : comment nos comportements quotidiens, nos constructions favorisent telle ou telle espèce, quel impact avons-nous sur l’émergence d’agents pathogènes transmissibles par les moustiques ou encore comment notre aménagement du territoire fragmente, augmente ou diminue ces risques.

Docteur, lepetitjournal.com vous remercie du temps que vous nous avez consacré, et vous souhaite bonne chance dans vos recherches.

Par Raphaël Ferry – Lepetitjournal.com – 3 avril 2021

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