Cambodge : le « développement » au détriment de l’environnement
L’industrialisation effrénée du pays s’accompagne de dérives environnementales que le régime autoritaire cambodgien tente de masquer, en réduisant au silence les défenseurs de la nature. Trois viennent d’être poursuivis pour « conspiration » et « insulte au roi ».
Il ne fait pas bon être un militant écologiste au Cambodge. Trois membres de Mother Nature Cambodia, un groupe de défense de l’environnement, ont été inculpés le 21 juin de « conspiration » et « insulte au roi » par la justice. Yim Leanghy, 32 ans, Ly Chandaravuth, 22 ans, et Sun Ratha, 26 ans, risquent entre cinq et dix années de prison. Cinq jours avant, les deux derniers étaient arrêtés par la police à Phnom Penh : près du palais royal, ils filmaient les égouts en train de se déverser dans la rivière Tonlé Sap.
« Le gouvernement cambodgien intensifie sa campagne dans le but de faire taire les militants qui œuvrent pacifiquement pour la protection de l’environnement », s’est indigné Human Rights Watch, qui déplore des « accusations sans fondement. » « Documenter la pollution est un service public, pas du terrorisme. Nous demandons instamment aux autorités d’être à l’écoute de leurs citoyens, et non de les réduire au silence », a réagi l’ambassadeur américain au Cambodge.
Sensibiliser l’opinion publique aux conséquences environnementales
Un peu plus tôt, les États-Unis mettaient fin à un programme d’aide qui visait à protéger la faune de Prey Lang, l’un de ses plus grands sanctuaires de vie sauvage du pays. En cause : l’aggravation de la déforestation, due aux exploitations illégales, et le harcèlement des lanceurs d’alerte qui dénoncent la destruction des ressources naturelles.
Dans ce pays de 16 millions d’habitants, les arrestations de défenseurs de l’environnement ne sont pas rares. Début mai, trois jeunes militants de Mother Nature Cambodia étaient condamnés à des peines de 18 à 20 mois d’emprisonnement pour « incitation à commettre un crime ou à semer le trouble dans l’ordre public. » Leur « tort » ? Avoir organisé la marche symbolique pour sensibiliser l’opinion publique aux conséquences du remblaiement du lac Boeng Tamok à Phnom Penh.
Des dirigeants prêts à tout pour acquérir de nouvelles ressources
Depuis sa création en 2013, ce groupe qui milite pour la protection de l’environnement est dans le viseur des autorités, qui lui ont retiré son statut d’ONG quatre ans plus tard.
« Le gouvernement ne protège ni ses forêts, ni son environnement », explique un docteur en sciences politiques cambodgien, basé à Phnom Penh et qui souhaite rester anonyme. « Beaucoup de citoyens sont attachés à la nature mais les autorités veulent étouffer les critiques sur les questions environnementales. C’est un sujet très sensiblecar bon nombre d’entreprises et de hauts fonctionnaires gagnent énormément d’argent via leurs investissements », à l’opposé des problématiques écologiques.
Pour Frédéric Durand, géographe à l’université Toulouse Jean-Jaurès, les dirigeants cambodgiens sont prêts à tout pour acquérir ou exploiter de nouvelles ressources, qu’elles soient financières ou naturelles.
« Ressources locales pillées »
« Le Cambodge a l’un des produit intérieur brut (PIB) les plus faibles de la région mais veut se rapprocher d’un mode de consommation occidental », explique le spécialiste des questions environnementales en Asie du Sud-est. Pour atteindre ce modèle, les autorités se lancent dans des projets parfois faramineux : usines, immeubles et hôtels destinés à accueillir un public de plus en plus aisé, sortent de terre aveuglément.
Des projets qui ne sont pas sans conséquence puisqu’ils sont réalisés au détriment des populations les plus modestes. Parallèlement à ces logiques de « développement », « les ressources locales sont pillées, polluées et les habitants, souvent précaires, sont méprisées. Leur avis n’est pas pris en compte », explique Frédéric Durand.
« Tolérance zéro du régime autoritaire »
D’autant que les investisseurs n’hésitent pas à corrompre une partie des dirigeants ou des fonctionnaires, affirme-t-il. « Beaucoup de projets de développement ont vu le jour sans que l’impact et les avantages pour les populations locales aient été véritablement étudiés », assure l’analyste politique qui souhaite préserver son identité. « Certains hommes d’affaires ont de l’influence et persuadent les autorités de signer des contrats d’exploitation. »
Pas étonnant, donc, qu’un régime autoritaire tel que celui de Hun Sen, au pouvoir depuis 36 ans, tente de masquer « l’un des pires bilans au monde en matière d’environnement », estime l’exilée aux États-Unis, Monovithya Kem, du Parti du sauvetage national du Cambodge, banni du royaume en 2017. Pour elle, ces nouvelles arrestations montrent « la tolérance zéro du régime autoritaire de Hun Sen pour toute voix dissidente ».
Par Valentin Cebron – La Croix – 24 juin 2021
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