Birmanie : six mois après le putsch, la population lutte désormais pour sa survie
Cela fait six mois, ce dimanche 1er août, que la junte s’est emparée du pouvoir en Birmanie. Depuis, le pays s’enfonce dans une des crises les plus graves de son histoire. Alors que certaines zones ont complètement glissé dans la guerre civile, des millions de Birmans luttent désormais pour leur survie.
Il y a tout juste six mois, la Birmanie a replongé dans la dictature après une parenthèse démocratique de dix ans. Le 1er février, le général Min Aung Hlaing décide de renverser le pouvoir démocratiquement élu aux élections de novembre 2020, ordonne l’arrestation de la cheffe du gouvernement civil Aung San Suu Kyi et proclame l’état d’urgence pour une durée d’un an.
S’est ensuivi un mouvement pour la démocratie sans précédent touché de plein fouet par une catastrophe sanitaire que les militaires au pouvoir sont incapables de maîtriser. Après avoir lutté pendant des mois contre la dictature des militaires, les Birmans doivent désormais faire face à une troisième vague meurtrière de Covid-19. Le pays rapporte au moins 300 morts par jour mais l’administration dépassée a cessé de tenir le décompte des morts.
La Birmanie est exsangue et la population épuisée. La situation économique est catastrophique : après six mois d’une économie à l’arrêt, de la fermeture des frontières à cause de la pandémie, une interruption des vols commerciaux et du transport de marchandises, des millions de Birmans n’ont plus d’emploi – beaucoup ont perdu leur travail, en particulier dans le tourisme – n’ont plus de revenus et des difficultés à se nourrir, la pauvreté explose. Les Nations unies tirent la sonnette d’alarme et redoutent des conséquences dramatiques pour la population civile.
« Impératif humanitaire »
Pour Min Zin, politologue exilé à Chiang Mai, en Thaïlande, interrogé par notre correspondante à Bangkok Carol Isoux, le désastre humanitaire est total et doit appeler à la solidarité internationale.
« Nous avons atteint un niveau d’impératif humanitaire, tant la crise est grave, affirme-t-il. Ces derniers jours j’ai perdu deux cousines très proches et 14 de mes collègues sont malades. L’économie s’étouffe, même si vous avez de l’argent sur votre compte en banque, vous ne pouvez pas le retirer, à cause de la crise du secteur bancaire et maintenant pour beaucoup de Birmans la nourriture se met à manquer, il y a des pénuries de nourriture. C’est pour ça que je pense qu’on peut parler d’impératif humanitaire. »
L’urgence de la situation impose une action forte et efficace de la communauté internationale, sans quoi le pays pourrait basculer dans une crise humanitaire sans précédent, estime également Manny Maung, chercheure à Human Rights Watch (HRW). Elle parle de situation dramatique car l’un des problèmes dont on parle peu, selon elle, est le manque de nourriture.
« Concernant la pénurie alimentaire, on en est arrivé au point où les prix ont tellement explosé que certaines familles n’ont même pas les moyens de s’acheter des œufs, indique la spécialiste. Et dans une société en grande partie rurale, si les gens sont malades, ils ne pourront plus aller travailler. D’autres vont combattre la junte ou sont en fuite car des mandats d’arrêts ont été émis contre eux. La situation est telle qu’il faut absolument dans les six prochains mois acheminer une aide humanitaire d’urgence à la population avant qu’elle n’empire davantage. »
« Crimes contre l’humanité »
Le bilan de la répression sanglante de l’armée birmane qui a suivi le renversement du gouvernement d’Aung San Suu Kyi est lourd : plus de 900 morts dont 75 enfants, près de 7 000 arrestations, des mandats d’arrêts par centaines. Usage disproportionné de la force, actes de tortures, disparitions forcées, la répression des civils est telle que ces violations pourraient être qualifiées de crimes contre l’humanité selon Manny Maung.
« Nous sommes très inquiets de l’ampleur de ces crimes, dit-elle. Des détentions arbitraires, le recours à la torture, des prises d’otages aussi au cours desquelles des membres d’une famille sont arrêtés à la place de la personne recherchée par les militaires. La junte a émis près de 2 000 mandats d’arrêts, dont 600 contre des médecins et soignants. Comment dans ces conditions la population peut-elle surmonter cette crise du Covid qui est en train de faire des ravages dans le pays ? »
Human Rights Watch a également répertorié des cas de torture et de viol sur des victimes incarcérées par les militaires. Des cas qui ne sont pas isolés à une région, un quartier ou une prison, selon l’organisation. « Nous avons aussi des témoignages de violences sexuelles ou de viol sur des femmes mais aussi sur des hommes dans les maisons d’arrêt. Cette violence de masse contre la population ne peut être tolérée. C’est une situation vraiment tragique à laquelle nous devons mettre un terme le plus rapidement possible. »
« Le nombre et l’étendu des crimes peuvent constituer des crimes contre l’humanité, ce qui justifie certainement une enquête internationale sans entraves », ajoute la chercheure.
Le mouvement pro-démocratie dans l’impasse, pourtant la résistance ne faiblit pas
Le mouvement pro-démocratie, ses instances politiques, critiquées par les leaders ethniques du pays, et qui n’ont pas encore obtenu de vraie reconnaissance internationale, semble pour l’instant dans l’impasse.
Mais la population continue son mouvement de désobéissance civile après des mois de mobilisation, de grèves qui ont paralysé des pans entiers de l’économie, des campagnes de boycott de produits dont les profits alimentent les caisses de la junte.
En pleine crise sanitaire, la société civile résiste et s’organise pour faire face au manque de matériel et de médicaments, aux hôpitaux littéralement pillés par la junte qui confisque les bouteilles d’oxygènes et aux mandats d’arrêts émis par la junte contre les médecins pour décourager la population et l’écarter du mouvement de désobéissance civile.
Un système parallèle a été mis en place pour venir en aide aux familles de malades du Covid, des opérations de collecte de dons viennent palier les besoins des plus pauvres.
« Nous distribuons des médicaments, des bouteilles d’oxygène et de la nourriture, y compris dans les villes, explique une membre de la Ligue nationale pour la démocratie, qui a souhaité garder l’anonymat. Nous apportons aux civils des soins d’urgence grâce à nos membres, à la société civile et aux organisations. C’est notre mission prioritaire. »
Et dans les nombreux États en proie à la rébellion depuis des décennies contre la junte, des bataillons se forment pour constituer des forces capables de s’opposer à une armée toute puissante.
« L’armée ne peut pas contrôler tout le pays. Grâce à notre résistance nous réussirons à affronter les militaires, ajoute-t-elle. Même pendant la pandémie, l’armée continue à sauvagement torturer les citoyens. Mais l’armée ne peut pas nous contrôler et nous gouverner. Nous avons constitué les forces de défense du peuple pour protéger notre pays. Ce n’est pas l’unique moyen pour obtenir la démocratie, nous cherchons d’autres moyens pour y parvenir. »
Le gouvernement d’unité nationale en exil, qui bénéficie d’un énorme soutien populaire, a quant à lui de nouveau lancé un appel à la communauté internationale pour faire « cesser le règne de la terreur ». Quant à la cheffe du gouvernement civil Aung San Suu Kyi, arrêtée lors du putsch, elle est toujours en détention. Lundi dernier, la junte a annulé les résultats des élections de 2020, remportées à une écrasante majorité par la Ligue nationale pour la démocratie (LND).
Radio France Internationale – 1er Août 2021
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