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Quand les nantis de Birmanie spéculent sur les médicaments

« Une boîte de paracétamol Biogesic coûte désormais 6 000 kyats (environ 3 euros) alors que voici à peine trois mois, je trouvais la même boîte dans mon quartier pour 3 000 kyats », constate une Birmane devant une pharmacie. Et si ce n’etais que le Biogesic !

Le Decolgen, médicament contre la grippe, est quasiment introuvable aujourd’hui, et tous les marchands de vitamines de marques connues comme Vitamin, Zinc 3, Enervon-C ou Becozinc s’enrichissent à toute vitesse. Des produits comme bird’s nest et Imunactiv, des alicaments censés renforcer le système immunitaire, sont en rupture de stock. Même sur le marché des médicaments traditionnels – peu chers mais en général totalement inefficaces -, les produits se raréfient. Les prix des masques faciaux ont aussi grimpé en flèche : la boîte de 50 masques à Yangon est passée de 900 à 3 000 kyats (de l’ordre de 50 centimes à 1,6 euros), une grosse somme dans un pays où le salaire minimum légal journalier de 4 800 kyats est considéré par beaucoup comme « pas si mauvais ».

L’oxygène aussi donne lieu à des pénuries « organisées ». Le prix d’un concentrateur d’oxygène de 10 litres est passé de 1,5 à 2 millions de kyats (environ 750 à 1 000 euros) et des bouteilles d’oxygène de 40 litres peuvent coûter jusqu’à 500 000 kyats. Quant aux oxymètres – des appareils portables qui mesurent la saturation en oxygène – leur prix a plus que doublé, passant de 9 000 à 19 000 kyats (de l’ordre de 5 à 10 euros). Conséquence : « La plupart des pharmacies sont à court d’oxymètres et de concentrateurs d’oxygène. Nous devons les commander à l’étranger mais c’est très, très compliqué », explique un pharmacien.

Des médicaments vendus entre 13 000 et 26 000 euros la fiole !

Les médicaments popularisés par les réseaux sociaux comme miraculeux contre la Covid-19 sont juste devenus introuvables, même si les études scientifiques mettent en garde contre un mauvais usage ou une efficacité douteuse, ou que le protocole de soin birman ne les utilise pas. L’immunosuppresseur Tocilizumab comme l’antiviral Remdesivir ont disparu des rayons à grande vitesse. Le Tocilizumab notamment, que quelques études annoncent comme ayant un effet bénéfique pour certains patients, coûtait normalement autour de 750 000 kyats (de l’ordre de 400 euros) la fiole mais il s’arrache aujourd’hui à des prix insensés de 25 à 50 millions de kyats (13 000 à 26 000 euros) ! Les très riches peuvent en acheter en ligne auprès de marchands qui vendent sans contrôle.

Les médecins s’inquiètent car ces molécules ne sont anodines du tout. « Pour la Covid-19, ces médicaments sont utilisés pour des patients en soins intensifs avec des problèmes très spécifiques. Je n’en ai jamais eu besoin, par exemple », souligne un praticien. D’après The Lancet, revue médicale de référence, le Tocilizumab peut provoquer des thromboses. Comme c’est un immunosuppresseur, il aggrave parfois les maladies préexistantes et peut même en réactiver certaines présentent dans l’organisme, comme la tuberculose, maladie qui n’est pas rare en Birmanie. Le Remdesivir aurait lui des effets secondaires parfois très graves chez les diabétiques – le diabètes ou au moins l’hyperglycémie sont courants en Birmanie – et peut provoquer une insuffisance rénale. En outre, son efficacité sur la Covid-19 est plus que douteuse.

Ecroulement du kyat birman contre le dollar et l’euro

« Le problème, affirme un pharmacien, c’est que nous importons près de 90% de nos médicaments, et près de 40% proviennent d’Inde. Là-bas, ils ont besoin de leurs produits actuellement car ils ont aussi la Covid, alors ils vendent beaucoup moins. Et puis tous les combats dans cette zone rendent la logistique plus difficile et plus chère ». Les autres importations viennent pour beaucoup de Chine, dont la frontière avec la Birmanie est aujourd’hui fermée par précaution sanitaire, et de Thaïlande, dans une situation similaire même si elle est moins radicale. « Si vous ajoutez la situation du pays au plan international et la dégringolade du kyat [passé en quelques mois de 1 300 kyats pour un dollar à environ 1 700 ces derniers jours] tout est là pour une crise du médicament ». Au final, la plupart des médicaments ont augmenté de 10 à 20% et les malades chroniques cherchent à stocker le plus possible leur traitement « car j’ai peur que cela augmente encore », comme l’explique un diabétique obèse qui a certainement tout à redouter de la Covid-19. Et tous ceux qui le peuvent font des réserves comme lui…

Conséquence, de nombreuses pharmacies ont dû fermer, faute de marchandises à vendre. Comme l’explique un observateur du secteur, « il y a eu des rumeurs disant que l’armée fermait les pharmacies. C’est faux. Les pharmacies ferment tout bêtement parce qu’elles n’ont plus rien à vendre, ou trop peu pour que ce soit rentable, surtout avec le risque d’attraper la Covid-19 au contact des clients ». Le commerce s’est déplacé vers Facebook, mais sans autorisation de vente et sans aucune garantie sur la nature des produits achetés.

La troisième vague de Covid-19 est désormais déclinante en Birmanie

Les autorités essaient bien de réagir, rappelant la loi sur les biens et services importants interdit la constitution de stocks à des fins lucratives, sous peine de de trois ans maximums d’emprisonnement et d’une amende de 500 000 kyats mais tout le monde sait que la police est aujourd’hui bien trop occupée à lutter contre les milices résistantes pour pouvoir sérieusement faire respecter les lois du pays. En outre, de nombreux spéculateurs sont proches du pouvoir et donc intouchables.

Lueur d’espoir, la troisième vague de Covid-19 est désormais déclinante en Birmanie, même si elle continue à générer son triste lot de drames et de décès, et les soignants s’attendent à ce que la demande de médicaments baisse peu à peu, tout en ayant des importations qui vont pouvoir reprendre. Un médecin birman estime que « le retour à la normal est pour début septembre ». Mais dans le même temps, il déplore que des malades doivent consacrer aux achats de leurs médicaments l’argent qui devrait normalement aller à leur nourriture. « Nous allons vers des problèmes de malnutrition que nous pensions derrière nous ».

Hier lundi 16 au soir, 13 363 personnes étaient officiellement mortes de la Covid-19, un nombre sous-évalué car bien des morts récents ne sont même pas testés et donc la cause exacte de leur décès n’est pas spécifiée. Il n’existe pas de données claires sur le nombre de morts dû à la difficulté de se procurer des médicaments de base nécessaires mais il ne fait aucun doute qu’ils sont aussi pléthores.

Lepetitjournal.com – 17 août 2021

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