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Birmanie : face à la répression, quel avenir pour les femmes ?

Traditionnellement rabaissées par la société birmane, les femmes sont pourtant en première ligne de la fronde contre le putsch du 1er février dernier. 

Le récent Gouvernement d’unité nationale (NUG) formé à l’initiative de parlementaires ayant échappé aux arrestations accorde plus de place aux femmes que les gouvernements antérieurs. Durant ce mois de septembre, l’Assemblée générale de l’ONU doit voter la reconnaissance ou non du NUG comme institution légitime pour représenter la Birmanie. Dans cette tribune, Frédéric Debomy appelle à le reconnaître pour espérer un avenir meilleur pour les Birmanes.

« Mon ex est mauvais mais l’armée birmane est pire. » Avec ce slogan affiché lors d’une manifestation, une jeune Birmane disait tout le mal qu’elle pensait de l’institution militaire, qui venait de mettre fin à la parenthèse semi-démocratique des années 2010. Mais il y avait davantage : cet humour décontracté, émanant d’une jeune femme, contrastait avec le traditionalisme de la société birmane. On vit également des manifestantes défiler en bikinis, autre expression d’une évolution des mœurs – certes partielle, et sans doute urbaine avant tout. Les Birmanes, censées se désintéresser de la chose publique au profit des hommes, ont grandement participé à la fronde contre le putsch du 1er février.

DES BIRMANES QUI NE MANQUENT PAS DE PHON

« Les femmes et la politique ne vont pas ensemble aux yeux de la population. Ce sont là des normes culturelles, celles-là même qui déterminent qui a le pouvoir de décision dans la maison. Depuis l’enfance, on ne nous donne pas de chances égales, parce qu’on est déjà perçues comme faibles et indécises. Or, quand on touche à la politique et au leadership, on doit savoir prendre des décisions. Alors si les femmes sont perçues comme faibles et indécises, selon les normes, elles ne peuvent accéder au pouvoir politique. »* L’activiste exilée Khin Ohmar expliquait ainsi, il y a quelques années, les difficultés auxquelles étaient confrontées les femmes birmanes pour exercer une autorité, ce jusqu’au sein du mouvement prodémocratie. Aung San Suu Kyi, fondatrice de la Ligue nationale pour la démocratie et Première ministre de facto jusqu’au putsch, faisait partie d’un ensemble d’exceptions. Mais à l’instar d’autres militantes, elle devait son entrée en politique – ou dans l’activisme – à son héritage : elle était la fille du héros de la nation.

Traditionnelle, la société birmane évolue cependant et l’on aurait du mal à qualifier de « faibles et indécises » les femmes nombreuses qui, à la suite par exemple de celles qui avaient pris part à la mobilisation de 1988, s’investirent dans le refus du putsch du 1er février. Il y avait là des jeunes femmes et jeunes filles, telle Mya Thwate Thwate Khaing qui fut la première victime identifiée de la répression du Conseil d’administration de l’État (State Administrative Council) mis en place par l’armée avec des complices civils. Mais ce furent des femmes de tous âges qui étendirent au travers des rues, sur des fils à linge, les pièces de tissu qu’elles se nouent habituellement autour des hanches. On vit alors des soldats s’employer à démonter ces installations pour pouvoir poursuivre leur progression : en Birmanie existe la croyance que passer sous des vêtements féminins destinés au bas du corps mettra en péril le « phon » des hommes, autrement dit leur virilité. Le phon, explique Claude Delachet-Guillon, « contient à la fois l’idée d’honneur, de renommée, de pouvoir sur les autres, donc de puissance temporelle, et la disposition à exercer les grandes vertus bouddhiques qui donnent la puissance spirituelle : droiture et honnêteté, renoncement ou modération dans le désir de posséder, capacité à contrôler tous ses désirs »*. Les femmes en seraient dépourvues.

UNE IMPLICATION IMPORTANTE DANS LA RÉSISTANCE AU PUTSCH

La « révolution de printemps » démarrée en février dernier raconte une autre histoire, comme le montre la détermination de Ei Thinzar Maung, précédemment engagée dans le mouvement étudiant pour une réforme de l’éducation de 2015, qui fut la première expérience militante d’une partie de la jeunesse*. La Ligue des femmes de Birmanie (Women’s League of Burma, WLB) a estimé que 60 % des participants à la contestation étaient des femmes tandis qu’une jeune Kachin, Soi Ling**, remarquait que les manifestantes s’exprimaient plus franchement que les manifestants.

Très impliquée, Soi Ling disait étudier avec d’autres femmes les mouvements d’Ukraine, de Thaïlande et de Hong Kong pour voir de quelle façon s’en inspirer. Elle redoutait, en cas d’arrestation, les violences sexuelles dont la Tatmadaw se rend perpétuellement coupable mais se mobilisait malgré tout.

LES VIOLENCES SEXUELLES COMMISES PAR LE SAC

Cette contribution des femmes à la mobilisation, assortie des provocations à caractère sexuel de certaines d’entre elles (« Militaires, le pouvoir se trouve sous mon bikini »), contribua certainement à convaincre les dirigeants du SAC que la société était en péril et qu’il leur fallait donc sévir. La participation de militants LGBTQ à la contestation dès le mois de février les désarçonna certainement aussi, dans un pays où l’homosexualité est encore l’objet de plaisanteries grossières.

La crainte de subir des violences sexuelles en cas d’arrestation était parfaitement fondée. Les femmes emprisonnées depuis le putsch évoquèrent la réalité de ces violences ainsi que la privation de serviettes hygiéniques qu’elles eurent à subir au moment de leurs règles. Il n’y avait là nulle surprise : comme le rappelait en 2018 l’Organisation des femmes karen (Karen Women’s Organisation, KWO), « l’usage du viol et du meurtre par l’armée birmane est bien documenté. […] Aucune femme de Birmanie, quelle que soit son origine, ne devrait être exposée à ces attaques, qu’elle soit rohingya, shan, kachin ou karen. » Depuis la parution du rapport License to Rape (Permis de violer) du Réseau d’action des femmes shan (Shan Women’s Action Network, SWAN) en 2002, les violences sexuelles infligées par les troupes de l’armée birmane aux femmes des minorités nationales ont fait l’objet de différents travaux.

La situation des prisonnières politiques est également connue. L’activiste Nilar Thein, notamment, a évoqué la façon dont les choses se passait lors de sa détention : « Lorsque U Win Myint était le responsable de la prison, les prisonniers condamnés pour viol étaient détenus à proximité du bâtiment des femmes. […] Ces prisonniers, comme le personnel de la prison, venaient se rincer l’œil lorsque nous faisions notre toilette. »*

Les organisations de femmes birmanes insistent toutefois sur le fait que les violences sexuelles ne sont pas en Birmanie le fruit de la seule armée gouvernementale. Elles évoquent plus largement la nécessité de faire évoluer les mœurs de l’ensemble d’une société. En cas de viol, on blâmera souvent la victime d’être sortie seule ou l’on s’intéressera à ce qu’elle portait ce jour-là.

SOUTENIR LES BIRMANES CONTRE LE PUTSCH

L’activiste Esther Wah évoque les femmes de différentes professions qui ont pris part à la contestation de ces derniers mois : « Nous n’avons pas le choix. Nous savons ce qu’implique ce règne militaire patriarcal et autoritaire pour les femmes du pays ; la tyrannie exercée sur les corps féminins est insupportable. » Le danger, précise-t-elle encore, est constant pour une femme se trouvant dans l’espace public*.

Esther Wah note cependant que le récent Gouvernement d’unité nationale (NUG) formé à l’initiative de parlementaires ayant échappé aux arrestations accorde plus de place aux femmes que les gouvernements antérieurs. Le NUG, qui dispute aux militaires putschistes leur droit à représenter le pays, compte parmi ses ministres une militante de la Ligue nationale pour la démocratie d’Aung San Suu Kyi, Zin Mar Aung, en charge des affaires étrangères. Un tiers de ce gouvernement alternatif est par ailleurs composé de femmes.

À cet égard comme à d’autres (les ministères et secrétariats d’État sont également partagés entre membres du groupe social dominant birman et membres des minorités nationales), le NUG constitue, malgré ses insuffisances, un espoir pour l’avenir de la Birmanie. Or ce mois de septembre 2021 est marqué par l’approche d’une échéance cruciale : la reconnaissance ou non du NUG comme institution légitime pour représenter la Birmanie par l’Assemblée générale des Nations unies.

La France, disons-le clairement, doit absolument soutenir cette reconnaissance. Elle constituerait pour les militaires putschistes de Birmanie un revers cuisant. Et signifierait, entre autres, la possibilité d’un avenir meilleur pour les femmes de ce pays.

Par Frédéric Debomy – AsiaLyst – 4 septembre 2021

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