Birmanie : «On est prêt à tout pour reprendre le contrôle de nos vies»
Nyi Thuta est un ancien officier de l’armée birmane, le premier à faire défection après le coup d’État militaire de février dernier et à dénoncer publiquement la sanglante répression contre les civils. Il s’est rangé du côté des forces armées anti-junte et espère montrer l’exemple. Témoignage exclusif.
Nous sommes le 9 février 2021 à Naypidyaw, la capitale birmane. Pour la première fois, des policiers tirent à balles réelles sur des manifestants. Une jeune femme, touchée en pleine tête, décède quelques jours plus tard à l’hôpital. Le choc est immense. À 19 ans, Mya Thwe Thwe Khine devient le symbole de la révolution. Elle sera la première des 1 186 personnes tuées à ce jour par la junte.
« Dès le coup d’État militaire, j’ai su que je ne voulais plus servir dans l’armée. Mais tout a basculé le jour où cette jeune femme a été tuée. Ça a brisé mon cœur, raconte Nyi Thuta, 30 ans. J’ai voulu apporter mon soutien aux forces anti-junte, afin que sa mort et celle d’autres enfants ne soient pas vaines. Le 28 février, j’ai donc décidé de faire défection. »
2 000 défections
Malgré les risques et après 14 ans de service, cet officier de la Tatmadaw, l’armée birmane, ose franchir le pas. « La plupart des soldats ne veulent pas tuer des gens, mais ils ne peuvent pas quitter l’armée, car ils sont soumis à la loi martiale. Ils n’ont pas le droit de démissionner et doivent obéir aux ordres des généraux. Les familles des militaires vivent dans des casernes de l’armée. Si un soldat désobéit, il risque la prison et sa famille ne sera plus protégée. »
À ce jour, selon le gouvernement d’unité nationale, 2 000 militaires ont fait défection, un nombre jamais atteint dans l’histoire de la Birmanie. Nyi Thuta espère voir ce chiffre doubler. Le capitaine garde le contact avec certains de ses anciens collègues via des messageries cryptées.
« Ils me racontent comment ils se sentent, ce qui se passe à l’intérieur de l’armée, l’endoctrinement idéologique de certains soldats. Nous avons vécu des décennies sous la dictature. Le niveau d’éducation est très bas, ce qui entraîne un faible esprit critique. La majorité des troupes est moralement abattue, désabusée. Ils ont peur de déserter. C’est pourquoi nous devons les aider à s’extraire des griffes des généraux. »
Un moral au plus bas
Le putsch a ravivé de nombreux anciens conflits. Les groupes rebelles Kachin, Karen, Shan, Kayah ou Chin ont uni leurs forces pour affronter la junte. Les combats se multiplient aux quatre coins du pays. Mais face à une armée de 400 000 hommes, la force de défense populaire peut-elle faire le poids ?
« Le moral des troupes est au plus bas. Aujourd’hui plus de 100 000 personnes ont rejoint la résistance. Ils combattent dans tous les États en Birmanie, actuellement les affrontements les plus violents ont lieu dans l’État Chin et la région de Sagaing au nord-ouest. L’armée y a subi de lourdes pertes. Il faut savoir que dans le passé l’armée n’avait même pas réussi à vaincre des groupes ethniques armés de 10 000 hommes. »
« La population n’a pas eu d’autre choix que de proclamer cette guerre révolutionnaire. La guerre, c’était notre ultime recours, mais on est prêt à tout pour reprendre le contrôle de nos vies. Et nous voulons vaincre avec le moins de victimes possibles. » Le capitaine Nyi Thuta en est convaincu : une défection massive des soldats ne sera possible que si la communauté internationale accepte de reconnaître le gouvernement d’unité nationale.
Par Jelena Tomic – Radio France Internationale – 24 octobre 2021
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