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Pour la première fois, les partis politiques thaïlandais s’expriment sur le délit de lèse majesté

Un rare débat s’est ouvert en Thaïlande sur l’article 112 du Code pénal parmi les principales formations politiques thaïlandaises.

Tout a commencé le dimanche 31 octobre quand Chaikasem Nitisiri, chef du comité politico-stratégique du Pheu Thai, a publié sur les réseaux sociaux une annonce selon laquelle le principal parti d’opposition a ouvertement déclaré son soutien à la modification de la loi de lèse-majesté stricte du pays, proposant de soumettre cet amendement au Parlement pour examen. Notre chroniqueur Philippe Bergues nous donne les clés de cette prise de position.

Cette déclaration coïncidait avec un rassemblement organisé dans le quartier commerçant de Ratchaprasong à Bangkok par des groupes pro-démocratie et anti-establishment pour exiger l’abrogation de la loi de lèse-majesté et la libération de plusieurs meneurs de protestation. C’était la première fois que le parti thaksinien prenait une telle position, obligeant ainsi les autres partis à réagir, tout en provoquant un débat interne intense au sein même du Pheu Thai avec une prise de parole forte de l’aîné des Shinawatra. Examinons donc les différents points de vue des partis (petits et grands) et de leurs leaders qui se sont exprimés.

Neuf partis s’expriment sur le crime de lèse-majesté, du jamais vu

Move Forward Party (MFP) : amendement

Le MFP a clairement affirmé que la loi doit être amendée car il estime qu’elle est contraire à la liberté d’expression. Ses principaux dirigeants pensent également que l’article 112 est utilisé comme un outil politique pour faire taire les dissidents et l’opposition politique au gouvernement du Premier ministre général Prayut Chan-ocha. « Comme nous pouvons le voir, il est clair que de nombreuses personnes qui sont contre ce gouvernement sont maintenant en prison et que beaucoup attendent d’être emprisonnées et une personne qui en bénéficierait certainement est le général Prayut », a déclaré Rangsiman Rome, secrétaire adjoint du parti. Le chef du parti, Pita Limjaroenrat, a ajouté que la peine devait être réduite à moins d’un an d’emprisonnement et faire en sorte que le bureau du Palais soit celui qui dépose les accusations.

Seri Ruam Thai Party : amendement

Le chef du parti, l’ex officier de police Sereepisut Temiyavet, a déclaré que son parti souhaitait adopter une position « neutre » en soutenant l’amendement de la lèse-majesté afin de séparer clairement l’accusation de diffamation et l’accusation d’intention de nuire au monarque et à sa famille, les deux composantes dans la loi. Il a également déclaré que les peines de prison devraient être abaissées de 15 ans à 5 ans.

Palang Pracharath Party (PPRP) : contre tout changement

Le PPRP, parti au pouvoir, est très clairement opposé à la modification de la loi de lèse-majesté. Son chef, le vice-Premier ministre Prawit Wongsuwan, a déclaré que son parti est prêt à écouter tous les points de vue, tant que cela n’affecte pas la stabilité du pays, la religion et le roi qui sont les trois principaux piliers inébranlables du pays. Pour le Premier ministre Prayut Chan-ocha, cette loi « est une question de sécurité pour notre pays, nous ne voulons pas détruire quelque chose qui est vénéré par les Thaïlandais ».

Parti Démocrate : contre tout changement

Le chef du parti démocrate et ministre du Commerce, Jurin Laksanawisit, a déclaré dans la semaine que le parti s’en tiendrait strictement au système de monarchie constitutionnelle qui a le roi comme chef de l’État. Par conséquent, ils n’ont « jamais pensé » à modifier la loi de lèse-majesté.

Bhumjaithai  Party : contre tout changement

Le chef du parti Bhumjaithai et ministre de la Santé Publique, Anutin Charnvirakul, a déclaré mercredi que la loi de lèse-majesté « ne peut pas être touchée ». En ajoutant que son parti ne soutiendrait pas l’amendement de la loi et qu’ils voudront seulement la rendre « plus forte » et que le parti ne peut rien voir qui rend la loi « plus faible ».

UCK Party : contre tout changement

Transfuge du parti démocrate, Attawit Suwanpakdee, secrétaire général de l’UCK, a déclaré lundi qu’il n’était pas d’accord avec l’appel à modifier la loi sur la lèse-majesté. Il a ajouté que « cela conduirait à plus d’insultes envers l’institution royale, à des combats dans les rues et finalement à une nouvelle crise politique ».

Pheu Thai Party : amendement avant rétropédalage

Comme indiqué au début de cet article, Chaikasem Nitisiri du Pheu Thai a annoncé dimanche dernier dans un communiqué que l’utilisation d’accusations criminelles telles que la lèse-majesté, la sédition et la violation de la loi sur la criminalité informatique pour faire taire l’expression politique est « problématique ». En précisant que cela faisait perdre confiance aux gens dans l’état de droit et le système judiciaire du pays. Et en ajoutant que le Pheu Thai « était prêt à soutenir la pétition pour demander la modification de ces lois et la présenter au Parlement ».

Cependant, Thaksin Shinawatra, ancien Premier ministre et principal influenceur du parti, a écrit mardi sur sa page Facebook « qu’il n’y avait rien de mal avec la loi de lèse-majesté ». Il a dit que « ce sont les personnes au sein du système judiciaire qui l’appliquaient à tort et les personnes qui l’utilisent pour créer une fracture au sein de la société qui sont le problème ». Dès le lendemain, le nouveau chef du Pheu Thai, Cholanan Srikaew, a nié que le parti faisait pression pour un amendement controversé à la loi de lèse-majesté.

Ruam Thai United Party : référendum national

Voranai Vanijaka, co-fondateur de ce nouveau parti avec le tycoon de l’acier, Win Suteerachai, a déclaré que l’évolution de l’article 112 « devrait être décidé par le peuple thaïlandais lors d’un référendum national ».

Thai Srang Thai Party : aucune position dévoilée

Sudarat Keyuraphan, ancienne personnalité du Pheu Thai, qui a fondé le Thai Strang Thai Party fin décembre 2020, n’a pas souhaité faire de commentaires sur cette question.

Et au final ? Un débat sain et nécessaire pour la Thaïlande

Discuter et débattre du draconien article 112 dans un cadre parlementaire ne s’apparente pas à une tentative de renversement du système monarchique constitutionnel. La loi de lèse-majesté non seulement prévoit une peine très sévère de 3 à 15 ans de prison pour toute personne réputée avoir diffamé, insulté ou menacé le roi, la reine, l’héritier et le régent, mais permet également à quiconque de porter ces accusations.

En poussant le mouvement d’amendement ou en appelant à un référendum, les nouvelles formations politiques font respirer la démocratie thaïlandaise, souvent mise à mal pendant cette dernière décennie. Avec la majorité parlementaire actuelle, ces propositions d’amendements n’ont quasiment aucune chance d’aboutir mais le simple fait que l’opinion entende ce débat public est déjà une avancée en soi. On peut penser qu’en dégainant leur nouvelle position sur le sujet avant le demi-tour de Thaksin, le Pheu Thai a cherché à attirer les jeunes électeurs, a priori plutôt acquis au Move Forward Party. En pensant aux élections générales prévues en 2023.

Des pétitions en réaction

Les conséquences de ce débat ont vite atteint les réseaux sociaux. Thanathorn et Piyabutr, fondateurs du défunt parti de l’Avenir et leaders du mouvement progressiste soutiennent une pétition pour abolir l’article 112 qui compte à cet instant plus de 110 000 signatures. En réponse, les ultra-royalistes qui veulent le statu quo, menés par Suwit Thongprasert, plus connu sous son ancien nom de moine Buddha Issara, annoncent 200 000 pétitionnaires. Les passions de ce débat, une fois de plus, utile et nécessaire pour la Thaïlande doivent faire avancer objectivement le sort d’au moins 155 militants pro-démocratie, dont 12 mineurs, qui font l’objet d’accusations de lèse-majesté depuis 2019. Ces militants connaissent le prix de leur engagement politique.

Par Philippe Bergues – Gavroche-thailande.com – 8 novembre 2021

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