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Un ancien colonisé qui aime la France ? Un peu de discrétion quand même…

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Saviez-vous que le Premier ministre vietnamien était en France la semaine dernière ? Non ? Normal, aucun journal n’en a parlé.

Le Premier ministre vietnamien était en visite officielle en France du 3 au 5 novembre 2021. Une belle visite. Vous n’en avez pas entendu parler ? Rien de plus normal. Il était impossible de le savoir. La presse nationale n’a quasiment pas tiré une ligne sur cette visite.  Seule la Tribune de l’Economie et quelques titres spécialisés ont rédigé des articles traitant des accords de coopération et contrats signés à cette occasion. Et je ne vous parle même pas des chaînes de télé et de radios. Nous n’avons pas même eu droit aux autrefois habituels – et légitimes – articles sur les journalistes indépendants condamnés pour leur critique ouverte du parti communiste au pouvoir. Rien, vous dis-je !

Une vision équilibrée de la colonisation

Mais, mon brave monsieur, pourquoi diable nos journalistes auraient-ils parlé de ce pays de près de cent millions d’habitants qui connait l’une des croissances les plus fortes du monde depuis trente ans ? Pourquoi parler d’un chef du gouvernement qui décide d’effectuer en France sa première visite bilatérale depuis (le début de) la fin du Covid-19, plutôt que de se rendre en Corée, au Japon ou en Chine, ses principaux partenaires économiques ? Non, aucune raison. 

Les entreprises françaises se démènent pour accroître leur présence dans ce pays et elles ont raison. Le gouvernement français s’est mis en quatre pour cette visite et il a bien fait…

Pourquoi irait-on, en 2021, parler d’un ancien pays colonisé qui apprécie la France, a une vision équilibrée, et finalement plutôt positive, du legs colonial ? Les Vietnamiens sont admiratifs de ce que nous avons laissé chez eux : des infrastructures solides qui fonctionnent toujours aujourd’hui, des bâtiments magnifiques devenus patrimoine national dont ils sont fiers, une conception moderne de l’État et de l’administration. Pire encore, aucun procès en acculturation. Les anciens parlent avec admiration et reconnaissance de l’instruction qu’ils ont reçue dans les écoles françaises jusqu’en 1954 dans le nord, jusqu’en 1975 dans le sud. Aujourd’hui encore, les deux lycées français et les écoles privées françaises continuent d’accueillir chaque année les enfants des grandes familles vietnamiennes.

En Asie, pas de posture victimaire !

Le cas de ce peuple est décidément bien grave. Comment voulez-vous intéresser les médias français, si vous faites des sourires à la France, dites du bien de son action passée et de sa culture ? Si au moins, ils pouvaient nous traiter de criminels contre l’humanité et prendre une posture victimaire !

Même ce qui pourrait jouer en leur faveur tourne mal. Le Vietnam, contrairement à l’Algérie, nous a vaincu les armes à la main, à Dien Bien Phu, dans une bataille où le courage et l’esprit de sacrifice furent dans les deux camps durant près de deux mois. Une bonne occasion pour nous, Français, de dénoncer notre militarisme colonial, de célébrer notre défaite à la fois morale et militaire, me direz-vous ? Encore raté. Il faudrait pour cela que le Vietnam nous fasse une demande de réparation, un acte de repentance, même symbolique, pour intéresser les foules. Mais même pas ! Ces Vietnamiens se contentent de nous avoir battu « à la loyale », ne voient aucune raison d’en remettre une couche, ont très tôt pris la main que la France leur a tendue après la défaite de 1954 et continuent d’aimer la France. Jamais le pouvoir vietnamien n’a imaginé faire de la haine de notre pays son fonds de commerce et sa légitimité politique. Décidément pas comme les autres, ces Asiatiques.

Allons voir du côté de l’immigration, peut-être y a-t-il un os à ronger ? Un peu de discrimination, voire des traces de racisme anti-nha-quê, comme on disait de manière condescendante au temps de la coloniale ? Hélas, trois fois hélas. La diaspora vietnamienne s’assimile parfaitement bien, ses enfants sont brillants à l’école, trouvent facilement le chemin de l’ascenseur social et, indécrottables, n’émettent aucune revendication communautaire sur laquelle s’appuyer pour dénoncer l’oppression de la majorité française sur son propre territoire. (Ndr : je soumets une idée à tout hasard. Exiger du riz blanc et de la sauce de poisson dans les cantines à tous les repas. Sur les chaînes d’information, avec un peu de mauvaise foi et des larmes sur de beaux yeux bridés, ça pourrait peut-être marcher). 

Plus de 6% de croissance annuelle

Bon, il n’y a donc rien à gratter de ce côté-là non plus. Ce peuple se sent désespérément bien chez nous. Le Vietnam n’est pas un pays à problème. Vraiment pas un bon client…

Mais cessons de railler. À l’écart des colonnes des journaux, les spécialistes, chercheurs, hommes d’affaires et administrateurs qui travaillent à la coopération entre nos deux pays étaient tous sur le pont pour faire avancer les dossiers et les intérêts de la France dans cette région. Car le Vietnam est devenu un poids lourd en Asie du Sud-Est auquel nous avons tout intérêt à nous intéresser. Il est, avec la Chine et la Corée du sud, le pays qui a connu le plus spectaculaire développement économique depuis trente ans. À plus de 6% de croissance annuelle de moyenne, le PIB par habitant est passé de 95$ en 1990 à 2 785 $ en 2020 (PIB/hab en $ courants). Il a encore cru de +2,9% en 2021 quand la France connaissait un retentissant -7,9. Les entreprises françaises se démènent pour accroître leur présence dans ce pays et elles ont raison. Le gouvernement français s’est mis en quatre pour cette visite et il a bien fait. Le Premier ministre vietnamien a été reçu par l’Élysée, à Matignon et par les Présidents des deux assemblées. Les Vietnamiens sont repartis contents, à juste titre. Nos deux pays ont toujours un avenir à écrire ensemble. Et après tout, on vit très bien sans article dans le Monde ou le Figaro

Par Jean-Noël Poirier, ex-ambassadeur de France au Vietnam de 2012 à 2016 – Causeur.fr – 10 novembre 2021

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