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« Goodbye Mister Wong » : Le son du lac

Au bord du Lac Nam Ngum, situé dans le nord du Laos, Goodbye Mister Wong fait s’entrecroiser deux histoires d’amour : celle de Hugo (Marc Barbé), parti à la recherche de la femme dont il s’est séparé un an auparavant (Nathalie Richard), et celle de France (Nini Phonesavanh Vilivong), convoitée par le promoteur chinois (Soulasath Saul, « mister Wong » du titre) venu racheter la barque-restaurant familiale, mais qui en aime un autre.

D’un côté comme de l’autre, il est question d’intrusion (Hugo en touriste brusque, Wong en arriviste nouveau riche) et de deux disparitions (Toui, le jeune amant de France, parti chercher du travail de l’autre côté de la frontière, et Nadine en fuite dans un lieu secret). Si ce tissu narratif complexe assume pleinement son caractère romanesque, évoquant des motifs durassiens (le personnage joué par Nathalie Richard, complètement acculturée, rappelle la mère dans Un barrage contre le Pacifique), l’intérêt se trouve ailleurs : l’intrigue est diluée jusqu’à presque disparaître dans une recherche visuelle, sensorielle et picturale.

Le bain de sensations que propose la mise en scène de Goodbye Mister Wong renvoie immédiatement au motif central du film : le lac, si grand que l’on a du mal à apercevoir la rive opposée, évidente métaphore de ce qui sépare les amants. Les longs travellings latéraux récurrents épousent ainsi le mouvement des barques à la surface de l’eau et instillent un rythme gracieux à l’ensemble du film, tout en douceur et en silences. Ils redisent surtout les distances à combler et les glissements discrets des sentiments. Sur la terre ferme, la fixité des cadres se substitue aux mouvements linéaires de la lagune : le goût de Luang pour les longs plans-séquence en scope donne au film un supplément d’envergure, réinscrivant les personnages dans le paysage qui les entoure. On pense, sans que la référence devienne écrasante, aux premiers films autobiographiques de Hou Hsiao-hsien (Les Garçons de FengkueiUn été chez grand-pèreUn temps pour vivre, un temps pour mourir et Poussières dans le vent) réalisés au cours des années 1980 et qui invitaient moins à regarder ses plans qu’à les visiter, à y promener son regard sans que celui-ci soit dirigé. Le cinéma est alors ramené à son essence réaliste, à l’enregistrement et à la description de ce qui vit dans le cadre et qui devient une matière ductile dans laquelle la structure narrative propre ne se discerne qu’en transparence.

Un cinéma de bribes

De cette forme englobante, on ne peut appréhender que des bribes et des éclats. Les images de Luang relèvent d’un amalgame d’émotions simples et immédiates qui, corrélées les unes aux autres, tendent vers une forme d’impressionnisme. Ce ne sont pas les couleurs de Goodbye Mister Wong qui démentiront ce rapprochement : tourné en 16mm, le film resplendit de teintes vives, du rouge des ombrelles et des robes au bleu du ciel et de l’eau, en passant par le vert de la végétation. Mais c’est aussi et surtout à travers la bande sonore que le film se fait organique. Comme Hou, Luang travaille le son direct pour créer une captation polyphonique : les discussions se dissipent dans le bruit du monde et de la nature, tandis que les échanges entre les acteurs principaux s’enchevêtrent avec la paroles des figurants, aplanissant de la sorte les différences de statuts au sein même du récit et renforçant l’effet de réalisme.

Enveloppé dans ce tissu sonore envoûtant, la mise en scène accueille les temps faibles, les accidents, les hésitations et conditionne le récit à un environnement languissant qui déteint sur les personnages. L’empressement de Hugo, dès son arrivée, pour retrouver Nadine, va peu à peu à peu se diluer dans le rythme caractéristique du lieu. De même, les ambitions de Tony Wong s’émoussent à mesure que France et le paysage ne font plus qu’un, le désir amoureux prenant le pas sur le désir vénal. Dans les deux cas, le film met à jour la vulnérabilité des silhouettes masculines. Il n’est pas seulement question d’immersion culturelle et de relativisation du regard dominant, qu’il soit occidental ou chinois : Goodbye Mister Wong dessine un espace-temps suspendu dans l’Histoire, un moment où coexistent les résidus du colonialisme français – le Laos était l’un des protectorats composant l’Indochine – et la présence de plus en plus pressante d’un nouvel impérialisme venu du grand pays voisin. C’est aussi un espace-temps retrouvé : l’apaisement apparent et le syncrétisme qui se crée (les chansons populaires laotiennes succèdent, malicieusement, à une partie de pétanque improvisée) conservent une grande part d’amertume et de regrets. « Nous savons tout de votre histoire » assène tristement France à Hugo, lorsque celui-ci s’épanche trop sur son amour perdu. La petite histoire devient le révélateur de la grande.

Par Thomas Choury – Critikat.com – 28 décembre 2021

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