Un an après le coup d’Etat, la Birmanie s’enlise dans un long conflit
Le 1er février 2021, l’armée birmane renversait le gouvernement d’Aung San Suu Kyi, mettant fin à une décennie de transition démocratique. Mais la junte ne s’attendait pas à une telle résistance et, un an après, la rébellion se poursuit et la répression s’intensifie.
Près de 1500 civils ont été tués et 12’000 arrêtés durant la répression menée depuis une année par la junte militaire, d’après une ONG locale qui recense des cas de viols, de torture et d’exécutions extrajudiciaires. Plusieurs massacres de villageois ont récemment été imputés aux militaires.
Face à cela, le front anti-junte, qui est mené par des milices citoyennes soutenues par des factions ethniques, prend de l’ampleur dans la région de Sagaing (centre) et l’Etat de Kayah (est) où l’armée a mené des frappes aériennes.
Plus au sud, des opposants, déserteurs, médecins, enseignants ou fonctionnaires, ont trouvé refuge dans un territoire contrôlé par des insurgés karens et des affrontements sporadiques ont lieu. Au nord, une faction de l’ethnie Kachin s’est dite récemment prête à « coopérer avec d’autres groupes pour établir une démocratie fédérale ».
Un conflit qui pourrait durer
« Il y a un esprit d’unité fort contre l’armée. C’est nouveau en Birmanie », dominée depuis l’indépendance en 1948 par des conflits interethniques, souligne Françoise Nicolas, de l’Institut français des relations internationales.
Et le conflit va perdurer. « Aucune des parties n’est en mesure de porter un coup fatal à l’autre. Le décor est planté pour des mois, voire des années de violence », estime Richard Horsey de l’International Crisis Group. Selon lui, la junte pourrait à terme laisser aux insurgés le contrôle de certains territoires, comme ce fut souvent le cas depuis 1948.
Quant à la démocratie, elle a aussi volé en éclats. La junte a annulé les élections de 2020 remportées massivement par la Ligue nationale pour la démocratie (LND) d’Aung San Suu Kyi. Et si elle a promis un nouveau scrutin en 2023, cette perspective est jugée peu crédible au vu du chaos actuel.
Désaccords internationaux
Et ce conflit déborde dans les pays voisins. Plus de 300’000 civils ont été déplacés, certains fuyant en Inde et en Thaïlande. Et des observateurs notent une recrudescence des activités illicites dans la région, trafic de drogues de synthèse en tête.
Dans ce contexte, le manque de résultats de la communauté internationale, focalisée sur l’Afghanistan, le Yémen et l’Ukraine, est criant. Les résolutions non contraignantes du Conseil de sécurité, le plan de l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) pour renouer le dialogue et les sanctions ciblées de plusieurs puissances occidentales n’ont pas ébranlé le régime.
La Chine, qui a investi des milliards de dollars en Birmanie avant le putsch, joue sur deux tableaux: dialoguer avec la junte et maintenir le contact avec la LND.
Aung San Suu Kyi au coeur des tensions
Les tensions se cristallisent aussi autour d’Aung San Suu Kyi. L’ancienne dirigeante âgée de 76 ans incarne le destin tumultueux de la Birmanie: icône de la démocratie, puis paria à l’international avec le drame des Rohingyas, elle est redevenue une proie impuissante dans les griffes des généraux.
Renversée puis condamnée à six ans de prison, Aung San Suu Kyi risque plusieurs décennies de détention. La prix Nobel de la paix a passé près de 15 ans en résidence surveillée sous les précédentes dictatures militaires.
Confinée dans sa maison au bord d’un lac à Rangoun, elle s’adressait à des centaines de partisans réunis de l’autre côté de la clôture de son jardin. Aujourd’hui, sa situation est radicalement différente. Assignée à résidence dans la capitale Naypyidaw, ses contacts avec l’extérieur se limitent à ses avocats.
La junte, décidée à la faire définitivement taire, l’a inculpée d’une multitude d’infractions (violation d’une loi sur les secrets d’Etat, corruption, fraude électorale…); beaucoup de proches ont été arrêtés, condamnés parfois à de lourdes peines.
Une rébellion qui passe aussi par l’économie
La Birmanie est plongée dans la récession en raison de l’instabilité politique au régime militaire autoproclamé. Après une année 2020 déjà marquée par le Covid, le produit intérieur brut accuse un recul estimé à plus de 18% en 2021, selon les estimations de la Banque asiatique de développement.
La population civile participe aussi à immobiliser l’économie avec une forme très particulière de résistance. Soumise à une répression violente, elle mise sur la désobéissance civile. Ainsi, les fonctionnaires ont quitté leurs postes et renié le système. Le personnel médical ne se rend plus dans les hôpitaux. Des soins à domicile s’improvisent dans des ambulances itinérantes.
Factures impayées
La population civile refuse d’alimenter les caisses de l’Etat. Taxes et factures d’électricité ne sont plus payées. Cette résistance prend aussi la forme du « boycott des grandes entreprises qui sont entre les mains de l’armée », indique Françoise Nicolas, directrice du Centre Asie à l’Institut français des relations internationales. « Tout ce qui est produit par les conglomérats qui dépendent de l’armée sont boycottés. Cela peut être des cigarettes, de la bière, ça a été aussi l’opérateur téléphonique. »
La stratégie est d’éviter toute action qui pourrait aider la junte au pouvoir. Le combat est toutefois inégal, souligne Françoise Nicolas. « La junte a malgré tout entre les mains pas mal de cartes. Elle a ses propres entreprises, ses propres moyens de faire de l’argent, il y a le commerce du jade, du gaz. Il y a d’autres entrées de fonds dans les caisses de l’Etat. »
En face, la population est très largement démunie. D’autant plus que la junte est désormais prête à menacer de mort toute personne qui ne paierait pas ses factures.
Radio Télévision Suisse – 31 janvier 2022
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