Les femmes birmanes, premières victimes de la répression de la junte militaire
Certains documents sont plus glaçants que d’autres. Celui publié le 16 février (Women Power in Spring Revolution ), l’ONG a recensé de manière aussi détaillée que possible les parcours de 104 femmes dont la vie s’est interrompue du fait des violences perpétrées par les forces de sécurité au service de la junte.
Notre collaborateur François Guilbert l’a évidemment consulté et nous en résume le contenu révoltant.
Le 19 février 2021, les manifestants pacifiques s’opposant au pronunciamiento conduit par le général Min Aung Hlaing déplorait pour la première fois le décès de l’un des leurs. Depuis cette date, l’Association d’assistance aux prisonniers politiques (AAPP), une organisation de la société civile birmane aujourd’hui déclarée illégale par la junte, s’emploie à mettre des noms et des visages sur toutes les victimes, quelles que soient leurs âges, les conditions et les lieux de leurs disparitions.
Dans un document publié le 16 février (Women Power in Spring Revolution ()), l’ONG a recensé de manière aussi détaillée que possible les parcours de 104 femmes dont la vie s’est interrompue du fait des violences perpétrées par les forces de sécurité au service de la junte. Elles avaient entre 18 mois et plus de 80 ans. Elles étaient engagées ou non dans les rangs de la Ligue nationale pour la démocratie de Daw Aung San Suu Kyi. Elles étaient Bamar, Chin, Chinoise, Kayah, Lahu, Zomi,… ; bouddhistes, chrétiennes ou musulmanes ; activistes, enseignantes, poétesses, soignantes,… Cette diversité des identités et des profils des personnes montre que la répression conduite au nom du Conseil pour l’administration de l’Etat (SAC) s’exerce aux quatre points cardinaux de la Birmanie et menace la sécurité de tous.
Parmi les martyrs de l’opposition démocratique figurent un grand nombre de femmes. Le premier mort de la Révolution du Printemps fut d’ailleurs une jeune manifestante de 21 ans : Mya Thwet Thwet Khaing.
Contestataire pacifique dans la capitale, elle fut abattue d’une balle dans la tête tirée par un représentant des forces de l’ordre. Bien qu’immédiatement identifié sur les réseaux sociaux, l’officier responsable ne semble pas avoir eu à répondre de son geste de quelque manière que ce soit alors qu’il était à bonne distance des protestataires et nullement menacé, lui et ses hommes. Une immunité des assassins qui est une des formes d’expression commune de l’exercice du pouvoir par l’armée birmane depuis un peu plus d’un an. Dans ce sombre contexte, Ma Kyal Sin est avec Mya Thwet Thwet Khaing un des autres visages des disparues les plus connus dans la société. Elles n’ont, à la vérité, aucun pendant masculin ce qui démontre l’importance prise par les femmes de toute génération dans la révolte et qui a fait de leurs hta-mein (jupes) une arme pour s’opposer manœuvres urbaines des soldats. Surnommée L’Ange et portant le jour de sa mort à Mandalay un tee-shirt floqué avec le slogan « Evering Thing Will Be OK », la jeune fille de 19 ans est devenue post-mortem une égérie de la Génération Z et au fond des adultes ayant pu exprimer leurs points de vue de citoyens pour la première fois le 8 novembre 2020. La junte l’a compris très rapidement dans le cas de la mort de Ma Kyal Sin. Le lendemain de ses obsèques, elle fit déterrée sa dépouille pour un examen légiste visant à proclamer que son décès ne pouvait être la conséquence d’un tir des forces de l’ordre mais de manifestants détenteurs d’armes. Une mascarade qui n’eut d’autre conséquence que de convaincre un peu plus encore l’opinion publique de l’ampleur des mensonges véhiculés par les représentants de l’armée.
A la lecture des biographies rassemblées par l’AAPP, on est frappé par l’étendue des tentatives de mystifications par les services de la junte.
Ainsi, une quadragénaire en bonne santé a été déclarée décédée de la COVID le surlendemain de son arrestation puis sa détention dans un centre d’interrogatoires. Le nombre des décès lors des questionnements de police est impressionnant, justifiant parfois que les corps des suppliciées ne soient pas rendus à leurs familles. Le déchainement de violence dans ses lieux clos est ahurissant, à l’image de cette épouse exécutée devant son époux pour le faire parler avant qu’il ne reçoive lui-même une balle dans la tête. On est aussi horrifié par le nombre des victimes civiles tuées chez elles, au cours des décentes des hommes en armes, lors des bombardements de l’artillerie de la Tatmadaw ou de contrôles routiers. Une politique de terreur qui tue également de très jeunes enfants ou des adultes à la santé mentale déjà malmenée. Si les tranches de vie racontées par l’AAPP rendent compte de la détermination des opposant(e)s le plus politisé(e)s, la routine des exactions des bataillons de l’armée de terre en zones rurales et des unités de la police en villes, elles soulignent ô combien la Birmanie est (re)devenue un État de non-droit ou l’armée a un permis de tuer sans limite. Elles « humanisent » les statistiques de l’horreur : 1557 morts au 17 février 2022. Ce n’est pas aussi le moindre des paradoxes que les visages, les noms, les histoires mis à notre vue par la compilation méticuleuse de l’AAPP fasse également apparaître beaucoup d’autres victimes « invisibles », en évoquant les familles des défunts et plus encore le nombre, le très jeune âge de beaucoup d’orphelins de toutes ces femmes exécutées.
Par François Guilbert – Gavroche-thailande.com – 3 mars 2022
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