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Alexandre Friederich part pour Naypyidaw

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L’écrivain suisse raconte la nouvelle capitale birmane. Une cité de 7000 kilomètres carrés vide voulue par la junte militaire au pouvoir.

«C’est un petit livre qui se glisse partout», m’avait dit Alexandre Friederich en me remettant «Naypyidaw, Cité de l’espace», dont le titre se lit en birman sur la couverture. Mon ami ne croyait pas si bien dire! Epais de huit millimètres à peine, léger comme une plume, le bouquin s’est rapidement logé chez moi derrière un meuble sans que je le remarque. Je viens de le retrouver par hasard. Cette aventure correspond finalement à l’auteur, qui publie cette fois chez B2 à Paris. Depuis que je le connais, Alexandre apparaît et disparaît. Un fantôme. On ne sait jamais où il est et ce qu’il fait. La dernière fois que je l’ai croisé, c’est par hasard un soir sur un quai de gare à Lausanne. Tout ce que je peux dire est que l’homme bouge énormément. La preuve! Naypyidaw se situe en Birmanie. C’en est même officiellement la capitale politique depuis novembre 2005.

Tout à la puissance dix

Fasciné par l’étrange, l’absurde et tout ce qui cherche à vous aliéner, l’auteur d’«Easyjet» (Allia, 2014) ne pouvait que s’intéresser à la construction d’une ville colossale élevée à la place d’anciennes forêts de tecks, abattus pour l’occasion au centre du pays. Il s’agit d’un projet démentiel de la junte militaire au pouvoir, dirigée par Than Shwe de 1992 à 2011. Un exercice d’urbanisme où tout se verrait calculé à la puissance dix. Naypyidaw (1) ne couvre pas moins de 7054 kilomètres carrés, soit trois fois la surface de la région parisienne. Ou le sixième de la Suisse, si vous préférez. Mais la population n’a jamais suivi. A part les fonctionnaires et les militaires, transplantés de force en novembre 2005, il ne vit ici presque personne. Officiellement, les habitants étaient un million en 2014. Les Américains pensent qu’ils restaient alors dix fois moins nombreux. Les autoroutes à vingt voies (dix de chaque côté), transformables en piste d’aviation en cas d’attaque, demeurent donc vides (2). Il faut pourtant une voiture pour réaliser, après un bon bout de chemin, le moindre achat…

Pourquoi cette capitale mégalomane, alors que Rangoun suffisait largement? Pour quelle raison un urbanisme offrant, mais de temps en temps seulement, des constructions, des ministères, des supermarchés, des hôtels (ruineux) ou une pagode entièrement dorée? Alexandre Friederich explique à son lecteur la paranoïa d’État, qui a grandi avec les décennies passées au sommet de l’État par la junte depuis 1962. La Birmanie se croit en permanence sur le point d’être envahie. Elle agit par rapport à ce fantasme. Une riposte. La petite nation n’est d’ailleurs pas la seule à subir ce phénomène, assez asiatique. Pensez à la Corée du Nord, dont les ressources financières passent dans l’armement. Songez aussi à la Russie, nation finalement fort peu occidentale. L’Empire, puis l’URSS et maintenant Poutine ont interverti les rôles de coupable et de victime (3).

Une seconde cité, souterraine

Au fil des pages de son court volume, Alexandre Friedrich nous promène dans une ville fantôme, sous laquelle s’en trouverait une seconde, «réservée aux militaires et dont personne ne doit entendre parler». Cette dernière serait faite de tunnels et d’espaces souterrains. L’autre, l’officielle, demeure en principe accessible. Il s’agit d’une cité «que l’on peut visiter, mais qu’il est impossible de voir», à cause de sa taille. Un vide colossal qu’il devient vite décourageant d’arpenter. L’écrivain en dit cependant les dessous intellectuels. Comme si l’entreprise n’était déjà pas assez folle comme cela, il faut encore qu’elle se soit en tout point basée sur l’astrologie et la numérologie. Than Shwe était superstitieux. Il voyait des signes partout. Les charlatans partageaient par conséquent le pouvoir avec les militaires. Ils ont aussi bien décidé à la minute près le moment du transfert des activités gouvernementales à Naypyidaw que dicté son urbanisme.

Un peu inquiétant (mais qu’est-ce qui ne l’est pas de nos jours?), le petit livre se révèle passionnant. Bien écrit, d’un ton sec et détaché. Factuel. Aucun pathos. L’opuscule se lit comme un roman. Le seul ennui, c’est qu’il ne s’agit pas d’une fiction. Alexandre Friederich nous décrit une réalité. Les fous sont au pouvoir. Notez qu’il ne s’agit hélas guère là d’une nouveauté…

(1) Le nom signifie «la ville royale» ou «la demeure du roi».
(2) Il y a aussi un aéroport à Naypyidaw. Le plus grand du monde, évidemment. Mais il n’y atterrissait, lors du passage de l’auteur, que deux avions par jour.
(3) D’une certaine manière, le Zéro Covid à la chinoise actuel découle à mon humble avis du même genre de paranoïa étatique. Tout doit être contrôlé contre un ennemi extérieur…

Pratique : «Naypyidaw, Cité de l’espace», d’Alexandre Friederich, aux Editions B2, 72 pages.

Par Etienne Dumont – Bilan.ch – 9 mai 2022

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