« Ma célébrité est devenue ma malédiction » : icône de la chanson en Birmanie, elle a dû fuir son pays pour se réfugier en Auvergne
Elle était l’une des vedettes de la scène musicale en Birmanie. Forcée à l’exil après avoir dénoncé le coup d’État militaire, Phyu Phyu Kyaw Thein est réfugiée depuis quelques mois à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Où elle espère, secrètement, retrouver un jour la scène.
Elle incarnait, aux côtés d’une poignée d’artistes, la renaissance de la scène musicale birmane, après des décennies d’isolement. L’une des rares vedettes d’un pays en plein renouveau. Elle était même, racontait en 2012 un journaliste de l’AFP, surnommée la « Lady Gaga de Birmanie », avec « ses tenues délirantes et sa voix de diva ».
À l’aune de vingt ans de carrière, Phyu Phyu Kyaw Thein était ces dernières années une icône de la chanson, avec près de quatre millions de fans sur les réseaux sociaux, une présence régulière à la télévision, ou de grands concerts, parfois devant 70.000 personnes, parfois au-delà des frontières birmanes, dans tout le sud-est de l’Asie mais aussi en Australie et aux États-Unis.
Un mandat d’arrêt pour « diffamation »
Son destin a basculé un jour de février 2021, avec le coup d’État militaire en Birmanie. À l’instar de nombreux artistes dans le pays, Phyu Phyu Kyaw Thein n’hésite pas à dénoncer, à travers des messages sur les réseaux sociaux, ce coup d’État et les violences qui suivent cette mainmise militaire.
Elle chante une chanson, Tears (« Larmes », en français), le 26 mars, pour affirmer son soutien et rendre hommage aux manifestants tués ou blessés par l’armée lors des manifestations. La vidéo devient virale sur internet, reprise comme un symbole de la lutte du peuple birman.
Mais ce tour de force, en la plaçant encore un peu plus sous les projecteurs, fait passer Phyu Phyu de la lumière à l’ombre. Car du jour au lendemain, elle devient la cible de l’armée birmane, qui annonce un mandat d’arrêt à son encontre, pour « diffamation », lors d’un journal télévisé du 13 avril.
« Le régime nous a ciblés, nous les artistes, car nous sommes influents sur les réseaux sociaux, où beaucoup de gens nous suivent, raconte-t-elle. Je n’avais plus le choix, je me suis enfuie avec un sac et ma guitare.
Huit mois pour fuir le régime
Durant quatre mois, elle arpente le pays, de cachette en cachette, ne restant pas plus de quelques jours au même endroit. Car son statut d’icône lui vaut d’être identifiée par tous.
« C’était très dur, tout le monde me reconnaissait, et même si je changeais d’apparence, ma voix leur semblait très vite familière. J’ai passé des années, avec mon équipe, à tout faire pour être connue, et là, il fallait que j’inverse le processus, que je passe inaperçue, et croyez-moi, c’est encore plus difficile. Ma célébrité est devenue ma malédiction. Je souhaitais désespérément disparaître de la mémoire de millions de mes fans, et de tous les panneaux publicitaires qui exposaient mon image » PHYU PHYU KYAW THEIN
Elle ne sort jamais, vit recluse porte et rideaux fermés, guette chaque nuit, à l’heure du couvre-feu, le bruit des patrouilles militaires et des coups de feu. Elle parvient à franchir clandestinement la frontière vers la Thaïlande, où elle se cache à nouveau durant quatre longs mois.
Le 18 novembre, elle s’envole finalement pour la France, avec un statut de demandeur d’asile, toujours en cours d’examen. Elle atterrit à Clermont-Ferrand où sa sœur, mariée à un Français, s’est installée il y a quelques années. Quelques mois plus tard, malgré le récit de ses mésaventures, le sourire est de retour sur son visage.
Un retour sur scène ?
« Ça a été très dur pendant des mois mais je suis toujours en vie, je n’ai pas été arrêtée, je n’ai pas été torturée, je peux m’estimer chanceuse, veut-elle relativiser. Dans mon pays, beaucoup luttent encore contre le régime et j’ai des amis sur place qui sont encore en prison. Le compositeur de la chanson Tears l’est aussi, et je ne sais pas où il est détenu… On parle beaucoup moins, dans le monde, du coup d’État en Birmanie mais mon pays souffre encore énormément. »
Si elle a appris à apprécier chaque jour qui passe, elle ne se projette pour l’heure pas plus loin.
« Bien sûr que j’aimerais chanter à nouveau, j’ai déjà eu l’occasion de faire deux petits concerts à Clermont-Ferrand et j’ai écrit plusieurs chansons pendant ma fuite de Birmanie. Ces chansons m’ont donné la force de vivre un autre jour et ont renforcé mon envie de m’évader. Avec l’espoir de pouvoir les interpréter un jour sur scène… » PHYU PHYU KYAW THEIN
Par Arthur Cesbron – La Montagne – 5 juin 2022
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