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Ce qu’il faut savoir pour comprendre les exécutions d’opposants par les généraux birmans

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La junte de Birmanie s’est insurgée mardi contre la condamnation internationale du premier recours à la peine capitale dans le pays depuis des décennies, affirmant que les quatre prisonniers exécutés – dont deux éminents défenseurs de la démocratie – “méritaient de nombreuses condamnations à mort”.

Les exécutions annoncées lundi ont suscité des condamnations dans le monde entier, accru les craintes que d’autres ne suivent et suscité des appels à des mesures internationales plus sévères contre la junte déjà isolée.

Mais les autorités militaires se sont montrées défiantes, le porte-parole Zaw Min Tun insistant sur le fait que les hommes “ont eu le droit de se défendre conformément à la procédure judiciaire”.

Que penser de ces tragiques événements ? Notre collaborateur François Guilbert en dresse un portrait glaçant. A lire pour comprendre.

C’est par la presse que les familles des quatre premiers dissidents politiques condamnés à mort (Ko Phyo Zeya Thaw, Ko Jimmy, Ko Hla Myo Aung, Ko Aung Thura Zaw), depuis la pendaison en 1976 du leader étudiant Chin Salai Tin Maung Oo, ont appris le décès de leurs proches. Personne n’avait officiellement pris soin de les avertir, juste avant et/ou juste après, le moment fatidique. L’information dramatique parvenue à leurs oreilles a émané d’une simple dépêche de l’Agence de presse du Myanmar (MNA), publiée dans les pages intérieures des quotidiens nationaux du lundi 25 juillet. Celle-ci ne citait aucune source administrative de l’ordre donné. Elle se contentait d’affirmer que les hommes poursuivis qui avaient « donné des directives, pris des dispositions et commis des complots s’étant traduit par des actes de terreur, brutaux et inhumains, des meurtres ayant entraînés les décès de nombreux innocents » avaient subis un châtiment. Quand et où celui est-il intervenu ? Aucun document officiel public ne l’a dit jusqu’ici. Le régime en place s’est contenté d’affirmer que « selon le département compétent, la peine a été exécutée selon les procédures de la prison ». Toutefois, ce très vague langage administratif laisse à penser que les hommes ont été pendus, en un même lieu, la prison d’Insein ; probablement le dimanche 24 juillet mais rien de moins sûr. Interpellé par la presse locale, le porte-parole de la junte, le général Zaw Min Tun, n’a d’ailleurs pas apporté le moindre éclairage nouveau. Sur les faits, il s’est contenté de dire que « c’est écrit dans le journal. C’est conforme à la loi. Il n’y a pas besoin d’explication ». Circulez, il n’y a rien à savoir !

Devant tant d’éléments inconnus et avec encore un mince soupçon d’espoir, des représentants des familles ont pris l’attache de l’administration pénitentiaire de Rangoun le 25 juillet en tout début de matinée. Après plusieurs heures d’attentes à l’extérieur de la maison d’arrêt d’Insein, elles ont finalement été reçues. On leur a alors signifié les décès mais aussi la non-remise des corps des suppliciés. Personne ne sait où sont les dépouilles et si elles ont déjà été incinérées, comme le veut la tradition bouddhiste du pays.

En attendant de plus amples informations, une chose est sûre le régime militaire mis en place par le coup d’État du 1er février 2021 est entré dans une nouvelle phase d’escalade de la répression.

Depuis l’ère du général Ne Win, aucun détenu politique ou de droit commun n’avait été exécuté. Il est donc à craindre que d’autres suivent les martyrs de ce week-end. Ils sont plus d’une centaine d’incriminés à avoir été condamnés à la peine capitale par des tribunaux militaires d’exception au cours des 18 derniers mois, dont plusieurs mineurs. Les deux-tiers d’entre eux attendent dans les geôles du pays et dans des conditions carcérales très difficiles. Leurs familles, tout comme le Comité international de la Croix Rouge ne peuvent les visiter. Leur ordinaire (médicaments, nourritures, vêtements) quand il leur parvient, est souvent amputé de nombreux biens, du fait de la corruption des gardiens.

La politique répressive s’exprime avec le plus grand des cynismes, voire au travers de mensonges d’État.

Vendredi, les familles des 4 détenus ont été invitées à rencontrer virtuellement les condamnés. Via internet, ils ont pu parler à leurs proches. L’administration avait bien rappelé en début de réunions la gravité des faits reprochés mais pourquoi s’inquiéter puisque le porte-parole de l’armée proclamait de son côté que ce n’était pas des échanges ultimes ? Ce langage éloigné de la vérité est également celui qui a été partagé avec la communauté internationale. En privé, de hauts dirigeants de la junte disaient à leurs interlocuteurs que les peines pourraient être commuées en des détentions à perpétuité. Que nenni ! Mais, ces grossiers mensonges se retournent contre leurs auteurs. Comment le Japon qui a invité la junte à se joindre aux obsèques de l’ex-premier ministre S. Abe, peut-il poursuivre sur cette voie ? Il en est de même du côté du Cambodge et de l’ASEAN. Le 1er août les ministres des Affaires étrangères des Nations d’Asie du Sud-Est doivent se retrouver à l’occasion de leur réunion annuelle. Certes, la junte n’a été invitée qu’à dépêcher un représentant non-politique, ce qu’elle s’est refusée à faire, mais comment ne pas voir dans l’exécution des 4 condamnés à mort autre chose qu’un grand bras d’honneur à la présidence tournante ? Non seulement, le premier ministre Hun Sen avait appelé à la clémence le commandant-en-chef de l’armée birmane mais il l’avait fait savoir publiquement ; un message relayé au fil des semaines par son Secrétaire d’État aux Affaires étrangères et le vice-Premier Prak Sokhonn, tous deux venus à Nay Pyi Taw pour tenter de faire avancer le processus de médiation dit en 5 points de consensus, décidé par les leaders de l’ASEAN en avril 2021.

Le général Min Aung Hlaing en ayant endossé l’exécution des 4 suppliciés affirme, urbi et orbi, qu’il n’a cure des réactions internationales et intérieures.

Reste à savoir les raisons profondes qui ont sous-tendues sa décision de ne pas accorder la moindre grâce ! Il teste les réactions des uns et des autres, au risque de déclencher de nouveaux bains de sang. Position de matamore ou expression de faiblesse ? Le message n’en est pas moins clair. Que les détenus disposent ou non d’une certaine notoriété, cela ne change(ra) rien à leur sort. C’est le message qu’entend passer la junte. Les trois affaires qui ont menées à la potence 4 hommes étaient pourtant de natures bien différentes. En les amalgamant dans sa propagande, la junte fait savoir que l’on s’oppose à elle par l’organisation de la lutte armée, des exécutions ciblées d’informateurs (dalan) ou que l’on appelle à des protestations civiques, on est susceptible d’encourir le châtiment suprême. Le Conseil d’administration de l’État (SAC) dans ce cas de figure, comme dans ses opérations en cours dans la région du Sagaing, les États Chin et Kayah, sème la terreur. Et, il entend que cette détermination se sache. C’est pourquoi, beaucoup de Birmans voient dans les pendaisons une expression de vengeance du SAC sur une société qui a l’outrecuidance de lui résister. Dans la même logique, certains estiment que le passage à l’acte serait le fruit des échecs sur le terrain militaire mais également diplomatique. Le dernier en date a été acté en fin de semaine dernière à La Haye. La Cour internationale de justice a rendu un arrêt la rendant à même de juger l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide par la Birmanie à la demande de la Gambie, ce qui ouvre la voie à de nouvelles mises en cause de l’armée. Bien que cette décision n’ait pas été du goût de la junte, elle n’a pas à elle seule à induire le drame d’Insein ce week-end. Pour trouver les raisons les plus profondes, il faut chercher du côté d’un régime qui doit satisfaire ses radicaux. Ceux-ci, civils et militaires, s’inquiètent de l’embourbement militaro-économique du pays. Aucune victoire militaire de premier plan. Une économie en récession. Le régime tout en satisfaisant ceux qui dans ses rangs exigent plus de fermeté voit dans les exécutions un moyen d’expliquer à l’opinion que les difficultés rencontrées sont la conséquence de groupes terroristes, manipulés par l’étranger. Il y a quelques heures : 4 hommes ont payé de leur vie un récit politique qui ne convaincra ni l’opinion publique birmane, ni la communauté internationale.

Par François Guilbert – Gavroche-thailande.com – 27 juillet 2022

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