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Birmanie : qui sont les quatre hommes exécutés par la junte militaire ?

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La junte birmane a exécuté lundi 25 juillet quatre prisonniers, dont un ancien député pro-démocratie du parti d’Aung San Suu Kyi et un célèbre opposant.

Une première dans le pays depuis plus de trois décennies qui “symbolise la brutalité totale du régime militaire“, selon le chercheur honoraire au CERI Sciences Po et professeur invité à l’Université nationale du Vietnam de Hanoï, David Camroux.

David Camroux est chercheur honoraire au Centre de recherches internationales de Sciences Po et professeur invité à l’Université nationale du Vietnam de Hanoï. Spécialiste de l’Asie du Sud-Est, il analyse l’état du régime birman, quelques heures après l’annonce de l’exécution de quatre prisonniers, dont deux opposants politiques.

TV5MONDE : Qui sont les quatre hommes exécutés par la junte militaire ?

David Camroux : Le régime, dans sa brutalité totale, a réalisé une forme de “casting” impeccable. D’une part, vous avez Phyo Zeya Thaw, jeune député (41 ans) de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), un ancien rappeur, qui représente un symbole de la jeune génération, celle qui a repris le flambeau avec l’arrivée d’Aung San Suu Kyi au pouvoir à partir de 2012. D’autre part, vous avez Kyaw Min Yu, connu sous le nom de Jimmy, écrivain mais surtout figure de la génération du soulèvement étudiant de 1988.

Leur exécution incarne la guerre menée par la junte militaire contre la population civile. Les deux autres individus viennent d’États ethniques. Leur mort marque plutôt la poursuite de la guerre, qui se déroule depuis 1945, contre les groupes rebelles locaux. Ils étaient d’ailleurs accusés d’avoir assassiné des collaborateurs du régime militaire.

TV5MONDE : Quelles peuvent-être les effets de ces exécutions, les premières depuis 1988 ?

David Camroux : Le régime montre qu’il ne connaît qu’une seule arme : la répression. Son objectif est de semer la peur parmi la population civile, les urbains comme les groupes ethniques. 
La junte se distingue aussi par sa bêtise. Le Premier ministre cambodgien, Hun Sen, qui préside l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) cette année, avait demandé la clémence pour les quatre condamnés à mort. Cela n’aurait pas coûté grand chose de satisfaire sa demande. Les militaires se sont pourtant refugiés dans une tactique délibérée de provocation et de transmission de la peur à leur population.

TV5MONDE : La Birmanie n’est donc pas près de sortir de son isolement actuel…

David Camroux : Il est très intéressant de noter que ces quatre exécutions interviennent après le retour de Russie du général Min Aung Hlaing, le chef de la junte. Moscou demeure ainsi le seul véritable allié du régime. La Chine jouant un double jeu, comme l’Inde. La Birmanie est aussi exclue des réunions de l’ASEAN, une première dans l’histoire de l’association.

De plus en plus d’États étrangers reconnaissent le gouvernement en exil comme légitime. Son ministre des Affaires étrangères a été reçu à un niveau assez élevé aux États-Unis. Il devrait s’exprimer prochainement devant le Parlement australien.

Cela fonctionne comme un gouvernement parallèle, avec une partie de ses membres installés dans les États frontaliers et une autre à Washington ou à Stockholm par exemple. Le régime semble donc de plus en plus isolé sur la scène internationale.

Il s’agit véritablement d’une guerre civile. David Camroux, chercheur honoraire au CERI Sciences Po

TV5MONDE : Décrivez-nous la situation en Birmanie, un an et demi après le coup d’État du 1er février 2021 mené par les militaires, dont le genéral Min Aung Hlaing…

David Camroux : Il s’agit véritablement d’une guerre civile. Des milices pro-armée s’opposent aux Forces de défense du peuple (PDF), estimées à 100 000 hommes, dont seulement 40% sont armés. Et les militaires ne contrôlent qu’une moitié des districts du pays, le reste étant actuellement aux mains des groupes armés ethniques et des PDF. D’une certaine manière, la junte a presque réussi à faire l’unité nationale contre elle…

Plusieurs milliers de personnes sont en prison tandis que le nombre de victimes est assez difficile à évaluer. Il y a aussi beaucoup de morts parmi les militaires, qui sont nombreux à déserter et à être accueillis dans les régions frontalières du pays.

La Birmanie semble être dans une complète situation d’impasse. La junte a promis des élections pour août 2023 mais elles seront sûrement rejetées par l’opposition puisque le parti d’Aung San Suu Kyi ne devrait pas pouvoir y participer. Se pose désormais la question des livraisons d’armes. Selon plusieurs spécialistes, avec le centième de ce qui est donné à l’Ukraine, il serait possible de renverser la donne. Le seul véritable avantage dont disposent les militaires réside dans le contrôle de l’espace aérien.

TV5MONDE : Quel rôle peut encore jouer Aung San Suu Kyi ?

David Camroux : En la gardant en prison, les militaires rendent véritablement un grand service au mouvement démocratique. Le symbole perdure mais l’action évolue. Une nouvelle génération, plus jeune, a complètement pris les affaires en main.

Il n’est plus question de faire libérer Aung San Suu Kyi pour remettre en place le précédent gouvernement et revenir à la Constitution de 2008 qui donnait un quart des sièges au Parlement et les trois ministères les plus importants aux militaires.

Nous sommes désormais dans une situation révolutionnaire. Un travail, certes invisible, est néanmoins en train d’être effectué par l’opposition afin d’écrire une nouvelle Constitution. Celle-ci mettrait en place une Birmanie fédérale où chaque groupe ethnique aurait sa place, y compris les Rohingyas [minorité musulmane persécutée depuis plusieurs décennies], rejetant la société machiste et paternaliste d’aujourd’hui.

Par Arthur Bijota – TV5monde – 25 juillet 2022

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