Myanmar : Décès d’activistes lors de leur détention
Six cas examinés par Human Rights Watch mettent en lumière des allégations de torture et l’absence d’enquêtes de la part de la junte
L’armée et la police du Myanmar sont responsables de dizaines de décès en détention depuis le coup d’État militaire du 1er février 2021, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Human Rights Watch a documenté la mort de six activistes détenus, dont les décès étaient apparemment liés à des actes de torture ou au refus de leur fournir des soins médicaux adéquats. Les autorités de la junte n’ont pas enquêté sérieusement sur ces décès, ni pris de mesures contre les individus responsables.
« Les six décès documentés par Human Rights Watch ne sont que la partie émergée de l’iceberg de souffrance et de torture subies par les personnes détenues par l’armée et par la police du Myanmar », a déclaré Manny Maung, chercheuse sur le Myanmar auprès de la division Asie de Human Rights Watch. « Compte tenu de la cruauté de la junte dans tous les aspects de son régime, il n’est guère surprenant qu’aucune mesure n’ait été prise pour enquêter sur les décès en détention et traduire les responsables en justice. »
La junte devrait immédiatement mettre fin aux abus commis à l’encontre des opposants au régime militaire, notamment les arrestations et détentions arbitraires, la torture et autres mauvais traitements, ainsi que les procès inéquitables. Tout décès en détention devrait immédiatement être signalé à la famille de la personne décédée, en restituant son corps et en fournissant les documents appropriés ; les responsables d’abus devraient être amenés à rendre des comptes pour leurs actes.
L’Association d’assistance aux prisonniers politiques (Assistance Association for Political Prisoners, AAPP), basée en Thaïlande, estime qu’au moins 73 personnes sont mortes en détention dans des postes de police, des centres d’interrogatoire militaires et des prisons au Myanmar depuis le coup d’État qui a mis fin à la transition démocratique amorcée par la Ligue nationale pour la démocratie (LND) d’Aung San Suu Kyi. Ces décès ne représentent qu’un faible pourcentage des quelque 690 personnes tuées peu après avoir été appréhendées par les forces de sécurité, souvent lors d’opérations militaires dans des zones où vivent des minorités ethniques. La junte militaire n’a reconnu que quelques décès en garde à vue, qu’elle attribue à des maladies ou à des arrêts cardiaques. Cependant, plusieurs défenseurs des droits humains, des témoins et des sources proches des victimes ont déclaré que les preuves matérielles disponibles indiquaient que plusieurs de ces personnes étaient mortes des suites de torture ou d’autres mauvais traitements, ainsi que de mauvaises conditions de détention ou le manque d’accès à des soins médicaux adaptés.
Entre mai et juillet 2022, Human Rights Watch a mené des recherches sur six de ces décès, en interrogeant à distance 10 témoins et d’autres personnes connaissant bien les dossiers, et en examinant 40 photographies et 5 vidéos publiées sur des plateformes de réseaux sociaux. En outre, Human Rights Watch a obtenu une analyse médicale indépendante des preuves visuelles, réalisée par un médecin urgentiste spécialisé dans les cas de torture.
Les six hommes décédés étaient tous des activistes politiques ou des opposants à la junte militaire, originaires des régions de Yangon, Mandalay et Sagaing. Trois d’entre eux – Khin Maung Latt (58 ans), Zaw Myat Lynn (46 ans) et Than Tun Oo (48 ans) – étaient des membres de la LND qui ont manifestement été arrêtés en raison de leur affiliation politique. Les trois autres – Khet Thi (43 ans), Tin Maung Myint (52 ans) et Kyaw Swe Nyein (55 ans) – avaient rejoint ou dirigé des mouvements de protestation suite au coup d’État. Cinq hommes sont décédés dans les 24 heures qui ont suivi leur arrestation et leur interrogatoire ; le sixième homme, Kyaw Swe Nyein, est décédé deux mois après son arrestation.
La police et les soldats du Myanmar ont arrêté cinq des six victimes lors de raids nocturnes ; ils ont arrêté la sixième, Than Tun Oo, à Mandalay pendant la journée. Dans tous les cas sauf un, les arrestations ont eu lieu lors d’opérations conjointes de l’armée et de la police. Une loi promulguée en mars a officiellement placé la police sous le contrôle de la junte, obligeant les policiers à se conformer aux ordres de l’armée, et notamment à participer aux opérations militaires.
Les photographies de cinq des victimes montrent sur leurs corps ou à la tête des marques physiques qui indiquent des actes de torture. Il n’existe aucune photo du corps de Than Tun Oo, les autorités de la junte ayant déclaré avoir incinéré le corps peu après sa mort.
Le docteur Rohini Haar, un médecin urgentiste que Human Rights Watch a consulté, a analysé les images des corps : « Après avoir examiné les photographies et les vidéos des cinq victimes après leur mort, il apparaît clairement, au vu des marques sur les corps et les visages, que ces hommes ont immensément souffert et qu’ils ont été torturés. […] Les signes d’abus et de torture sont si nombreux qu’il est difficile de déterminer exactement ce qui a tué ces personnes. »
Aucune des familles des victimes n’a reçu de certificat médical indiquant la cause du décès, ou de rapport d’autopsie officiel, malgré les éléments de preuve indiquant que des autopsies ont bien été pratiquées sur quatre des six corps. La junte devrait émettre des certificats médicaux pour tous les cas de décès en détention et fournir des rapports d’autopsie aux familles, si ces autopsies ont été pratiquées.
Quatre familles des victimes ont déclaré avoir subi des pressions de la part des autorités pour que les corps soient immédiatement incinérés, probablement pour dissimuler des preuves de mauvais traitements. Deux familles ont déclaré avoir enterré leurs proches rapidement, de peur que les autorités ne confisquent les corps.
En octobre 2021, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le Myanmar a dit avoir reçu des informations crédibles faisant état de « plus de 8 000 personnes détenues arbitrairement et de nombreuses personnes torturées, dont des dizaines ont été torturées à mort ». Lors d’une session du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies en mars, l’ancienne Haute-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, a déclaré avoir reçu des informations crédibles selon lesquelles au moins 21 % des décès imputables aux forces de sécurité étaient survenus alors que les victimes étaient en détention.
Human Rights Watch a conclu que les abus généralisés et systématiques commis par la junte depuis le coup d’État – y compris des meurtres, des actes de torture et l’emprisonnement injustifié – constituent des crimes contre l’humanité.
Le Protocole du Minnesota des Nations Unies relatif aux enquêtes sur les décès résultant potentiellement d’actes illégaux (2016) prévoit que tout cas de décès en détention doit faire l’objet d’une « [enquête] rapide, impartiale et efficace sur les circonstances et les causes » du décès. En outre, « les proches devraient immédiatement en être informés, et un avis de décès devrait ensuite être publié sous une forme facilement accessible. Dans la mesure du possible, il faudrait aussi les consulter avant de réaliser une autopsie et ils devraient pouvoir être accompagnés d’un représentant pendant l’autopsie… La dépouille devrait être restituée aux proches afin qu’ils puissent en disposer selon leurs croyances ».
L’ONU, les organismes régionaux et les gouvernements – notamment l’Union européenne, les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) – devraient exprimer leurs préoccupations concernant les décès en détention et faire pression sur la junte pour qu’elle y mette fin, a déclaré Human Rights Watch. Ces acteurs internationaux devraient renforcer les sanctions ciblées contre les entreprises détenues par l’armée, les militaires et les dirigeants de la junte du Conseil administratif d’État dirigé par le général Min Aung Hlaing.
Le Conseil de sécurité des Nations Unies devrait prendre d’urgence des mesures à l’encontre de la junte, notamment en saisissant la Cour pénale internationale de la situation dans ce pays et en adoptant une résolution visant à imposer un embargo mondial sur les armes vendue à la junte.
« Les décès de personnes en détention font partie des atrocités cachées commises chaque jour par les forces de sécurité de la junte », a déclaré Manny Maung. « Les gouvernements préoccupés par cette situation devraient veiller à ce que ces horribles abus soient condamnés au niveau mondial. »
Informations plus détaillées sur les décès en détention au Myanmar
Six cas de décès en détention
Les six études de cas qui suivent s’appuient sur des entretiens à distance avec des membres des familles des victimes et des témoins, et sur d’autres sources d’information. Dans tous les cas sauf un, les témoins ont déclaré ne pas vouloir être nommés par crainte de représailles de la part de l’armée ou de la police du Myanmar.
Kyaw Swe Nyein (ville de Nyaung-U, région de Mandalay)
Le 30 janvier 2022, des policiers en civil et une unité de renseignement militaire ont arrêté Kyaw Swe Nyein, 55 ans, à son domicile dans la région de Mandalay, suite à sa participation à des manifestations à Nyaung-U, dans la région de Mandalay.
Les autorités ont accusé Kyaw Swe Nyein de diffuser des « fausse nouvelles » et d’avoir partagé un message de soutien aux manifestations contre le coup d’État sur Facebook. En mars, un tribunal à huis clos l’a condamné à six mois de prison pour incitation au titre de l’article 505A du code pénal. Cet article, modifié par la junte peu après le coup d’État, érige en infraction pénale le fait de faire des commentaires qui « incitent à la peur » et de diffuser des « fausses nouvelles », une infraction passible d’une peine pouvant aller jusqu’à trois ans de prison.
Le 9 mars, Kyaw Swe Nyein paraissait en bonne santé lorsqu’il s’est entretenu avec ses proches grâce à un téléphone portable emprunté à l’un des gardiens de la prison de Nyaung-U. Il a toutefois déclaré à un membre de sa famille qu’il avait été sévèrement battu au centre d’interrogatoire de Myingyan, où il avait été incarcéré pendant les dix premiers jours de sa détention. Il a déclaré à sa famille que cela avait provoqué chez lui des vertiges. Le 11 mars, les autorités pénitentiaires ont informé la femme de Kyaw Swe Nyein qu’il était mort le soir même après s’être plaint de vertiges. Les médecins de l’hôpital Nyaung-U, où son corps avait été transporté, ont déclaré à ses proches qu’il était mort des suites d’une insuffisance cardiaque.
La famille n’a pas reçu de certificat de décès ni de rapport d’autopsie, bien que les autorités aient pratiqué une autopsie. Selon un membre de la famille, un fonctionnaire de police a demandé à la famille de signer un document vierge reconnaissant qu’elle avait été informée de la mort de Kyaw Swe Nyein.
Un membre de la famille a déclaré :
J’étais si bouleversé. J’ai juste signé le document, mais je ne sais pas ce que c’était, et je n’ai pas d’exemplaire en ma possession… S’il était mort de causes naturelles, je pourrais me pardonner [sa mort en prison], mais ce qui est difficile, c’est de ne pas savoir ce qui s’est passé. Il est évidemment très difficile pour nous d’accepter sa mort quand si peu de réponses existent, mais nous ne pouvons plus rien y faire à présent.
Après avoir examiné des photographies de Kyaw Swe Nyein lors de ses funérailles, le docteur Haar a déclaré qu’une de ces photographies montrait les preuves de l’existence d’un traumatisme crânien, en raison de contusions visibles au niveau des yeux et des oreilles.
Than Tun Oo (ville de Mandalay, région de Mandalay)
Le 26 septembre 2021, vers 15h30, des soldats et des policiers ont arrêté Than Tun Oo, 48 ans, un ancien prisonnier politique et activiste, à son domicile à Mandalay et l’ont emmené au commissariat de police de la zone n° 7. Des voisins et des proches ont vu les forces de sécurité le passer à tabac, les mains attachées dans le dos, puis lui tirer une balle dans les jambes, soi-disant parce qu’il était lent à répondre aux ordres. Un témoin a déclaré :
Il y avait environ 50 à 100 soldats et policiers avec des camions de l’armée et des voitures privées. Certains soldats appartenaient au commandement 33 de la Division d’infanterie légère et il y avait des policiers du commissariat local de Mandalay… Ils ont dit à [Than Tun Oo] de s’agenouiller, mais il pesait plus de 180 kilos, alors ils lui ont tiré dans la jambe pour le faire s’agenouiller.
Le même témoin a déclaré que le lendemain, le 27 septembre, des responsables de la police et de l’armée avaient annoncé à la famille de Than Tun Oo qu’il était mort d’un arrêt cardiaque au commissariat. Les autorités n’ont pas remis de certificat médical à la famille, a indiqué un témoin, mais les forces de sécurité ont fait signer aux membres de la famille un document reconnaissant qu’ils avaient été informés du décès de Than Tun Oo.
La famille de Than Tun Oo a déclaré qu’il était en bonne santé avant son arrestation. Quand la famille a réclamé son corps, les autorités de la junte ont déclaré qu’elles l’avaient incinéré sur le champ, car Than Tun Oo avait été testé positif au Covid-19 pendant sa détention.
Un membre de la famille a déclaré :
Tout le monde a des rêves, et [Than Tun Oo] ne fait pas exception. Il s’intéressait à l’art et aimait écrire. Beaucoup de gens l’appréciaient. Je pourrais supporter la douleur de sa perte s’il était mort en luttant contre la [junte]. Mais il est mort pendant un interrogatoire où ils avaient le pouvoir de faire de lui ce qu’ils voulaient. Il est douloureux d’accepter qu’il soit mort de cette façon.
Khet Thi (ville de Shwebo, région de Sagaing)
Khet Thi, 43 ans, un poète apprécié connu pour son esprit critique acéré et ses positions politiques, a joué un rôle de premier plan dans l’opposition au coup d’État militaire. Il a organisé des manifestations et pris la parole lors de rassemblements pour encourager la dissidence contre les militaires. Sa poésie est devenue partie intégrante de la résistance au régime militaire. « Ils visent la tête, sans savoir que la révolution est dans le cœur », écrit-il.
Le 8 mai 2021, une quarantaine de soldats et de policiers ont arrêté Khet Thi à son domicile dans la ville de Shwebo, dans la région de Sagaing, et l’ont accusé de chercher à poser de mines terrestres pour s’attaquer aux forces de sécurité. Les autorités de la junte ont également arrêté la femme de Khet Thi, Chaw Suu, et son beau-frère, Aye Pyo, pour avoir prétendument aidé à planifier cette attaque.
Selon un témoin, la police les a menottés tous les trois avant de les embarquer dans un véhicule de police pour les emmener à Myo Ma, le commissariat principal de Shwebo, où ils ont été enfermés dans des cellules séparées, les hommes d’un côté et les femmes de l’autre, pour y être interrogés.
Après plusieurs heures d’interrogatoire nocturne, Chaw Suu et son beau-frère ont été libérés le matin du 9 mai. Un policier a informé Chaw Suu que son mari avait été emmené à l’hôpital de Monywa, à près de 90 kilomètres du commissariat de Myo Ma. Selon des sources proches de l’affaire, Chaw Suu pensait que son mari était malade et a demandé au responsable du commissariat de l’emmener à l’hôpital pour qu’elle puisse s’occuper de lui. L’officier responsable lui a alors annoncé que Khet Thi était décédé.
Le 9 mai, vers 14 heures, des responsables de la junte à l’hôpital de Monywa ont annoncé à la famille de Khet Thi qu’il était mort d’une crise cardiaque. Les membres de sa famille nient cependant qu’il ait eu des problèmes cardiaques et affirment qu’il était en bonne santé, à l’exception de sa vue qui était mauvaise. Selon une source, le personnel de l’hôpital a fait pression sur la famille pour que le corps soit incinéré à l’hôpital le jour même. Craignant que les responsables de la junte ne les obligent à incinérer Khet Thi immédiatement, la famille a emmené son corps pour préparer son enterrement le lendemain.
Les responsables de la junte n’ont pas fourni à la famille de certificat médical ou de rapport d’autopsie, et aucune enquête n’a été menée sur les circonstances de sa mort.
Un membre de la famille a déclaré :
Nous nous sommes précipités avec son corps dans une autre municipalité par peur qu’ils nous le reprennent… Lorsque nous préparions le corps, sa tête a légèrement bougé et du sang est sorti de sa tête. Ils avaient pratiqué une autopsie à la tête et il y avait une blessure, mais il y avait aussi deux bleus sur le côté droit de son visage et des marques noires au niveau du nez. Il avait des marques carrées de brûlures sur les cuisses. Nous n’avons pas examiné son dos car nous avions peur que les points de suture de l’autopsie n’éclatent.
Khet Thi a été enterré le 10 mai 2021, moins de 48 heures après son arrestation.
Le docteur Haar, médecin urgentiste, a déclaré que les photographies de Khet Thi prises après sa mort révélaient l’existence d’un possible traumatisme crânien.
Zaw Myat Lynn (municipalité de Shwe Pyi Thar, Yangon)
Zaw Myat Lynn, 46 ans, était un ancien membre de la LND qui dirigeait une école d’enseignement professionnel portant le nom d’Aung San Suu Kyi dans la municipalité de Shwe Pyi Thar, à Yangon. Lui et sa famille vivaient avec les élèves.
Le 9 mars 2021, vers une heure du matin, des policiers et des soldats se sont présentés à l’école. Ils recherchaient Zaw Myat Lynn pour l’arrêter, apparemment en raison de publications pro-démocratiques sur son compte Facebook. Zaw Myat Lynn a pris la fuite et franchi une clôture avant d’être encerclé par des policiers et des soldats qui l’ont emmené dans un véhicule militaire.
Un enseignant a déclaré :
Le 9 mars 2021, des élèves m’ont contacté vers 2 heures du matin. [Ils m’ont dit] qu’environ 40 policiers et soldats se trouvaient à l’école professionnelle de Suu. Certains élèves ont d’abord été arrêtés quand les forces militaires ont fait irruption par la porte d’entrée. Zaw Myat Lynn a sauté par-dessus la clôture, mais le bâtiment était encerclé et il a été arrêté. Des voisins m’ont également dit qu’ils avaient entendu Zaw Myat Lynn dire : « Ne tirez pas, je me rends, je viens avec vous ». Il ne s’est pas blessé en franchissant cette barrière.
Le lendemain, la famille de Zaw Myat Lynn a été invitée à venir identifier son cadavre.
Le docteur Haar, qui a examiné 12 photographies et 2 vidéos du corps de Zaw Myat Lynn, a déclaré que les blessures visibles sur son corps laissaient penser qu’un liquide brûlant avait été versé sur son visage.
Après avoir examiné des photographies similaires, le journal The Guardian a conclu que la nature des blessures de Zaw Myat Lynn laissait penser qu’il avait subi des actes de torture : « Il semble que de l’eau bouillante ou qu’une solution chimique ait été versée dans sa bouche. Sa langue avait fondu et il lui manquait plusieurs dents. La peau de son visage se détachait. Le corps avait été enveloppé pour dissimuler d’autres blessures traumatiques ».
Selon une source proche de la famille, des responsables de la junte ont déclaré à la famille de Zaw Myat Lynn qu’il était mort d’un arrêt cardiaque. Les responsables n’ont pas fourni à la famille de certificat médical ou de rapport d’autopsie.
Tin Maung Myint (municipalité de Yin Mar Bin, région de Sagaing)
Le 4 avril 2021, des soldats ont arrêté Tin Maung Myint, 52 ans, agriculteur et chef de village qui avait rejoint l’opposition à la junte, lors d’un raid dans son village de la municipalité de Yin Mar Bin, dans la région de Sagaing. Selon des témoins, les soldats ont arrêté Tin Maung Myint vers 4 heures du matin avec sept autres personnes qui surveillaient la colonne militaire qui préparait le raid sur leur village.
Le lendemain vers 14 heures, le corps de Tin Maung Myint a été retrouvé avec celui d’un autre villageois arrêté avec lui à l’hôpital de Monywa. Il portait des traces de torture. Un témoin qui a vu le corps a déclaré :
J’ai vu des bleus et des enflures sur son visage et sur celui de l’autre victime. Ils étaient en assez mauvais état. Nous n’avons pu vérifier que leurs visages, pas le reste de leurs corps. C’était déstabilisant de s’approcher des corps. Je ne voulais pas les regarder de trop près, donc je ne sais pas s’il y avait des marques ailleurs, mais leurs visages étaient très marqués, avec des marques noires et bleues.
Une photo du corps de Tin Maung Myint publiée sur les réseaux sociaux témoigne de nombreuses blessures. Le docteur Haar, qui a examiné la photographie, dit avoir observé un traumatisme important correspondant à des déchirures de la peau et des avulsions – ou déchirures forcées – aux épaules, ressemblant à des brûlures. Des ecchymoses sont visibles sur le visage, ainsi qu’une profonde entaille au front. Il a déclaré ne pouvoir dire clairement quelle blessure avait provoqué le décès.
Les autorités de la junte n’ont pas fourni de certificat de décès à la famille, ni expliqué comment Tin Maung Myint était décédé. Le personnel de l’hôpital qui a trouvé les corps a déclaré aux familles que les hommes étaient déjà morts quand ils ont été découverts, jetés devant l’hôpital.
Khin Maung Latt (municipalité de Pabedan, Yangon)
Le 6 mars 2021, des soldats et des policiers se sont présentés au domicile de Khin Maung Latt, 58 ans, président de conseil municipal et membre de la LND, dans sa municipalité de Pabedan, à Yangon. Des témoins ont déclaré qu’après avoir pénétré de force à son domicile, les forces de sécurité avaient frappé Khin Maung Latt à coups de pied et de poing devant sa famille, puis l’avaient emmené en le menaçant d’une arme. Le lendemain matin, sa famille a été informée qu’il était mort d’un arrêt cardiaque et a récupéré son corps à 8 heures du matin.
Un ami de Khin Maung Latt, qui a assisté à ses funérailles le 7 mars, a déclaré que ses jambes semblaient cassées, que son linceul blanc était taché de sang et que son visage était bleu et enflé. Cet ami a déclaré :
Lorsque je suis arrivé au cimetière de Ye Way, le corps de Khin Maung Latt avait déjà été préparé à la morgue selon le rituel musulman. Mais nous avions demandé à nos contacts qui ont lavé le corps de prendre des photos après l’avoir déshabillé. Du sang se mélangeait à l’eau qui coulait et son corps était marqué comme s’il avait été durement battu… Du sang lui sortait des oreilles et il avait des bleus sur tout le corps ; ses jambes semblaient endommagées, cassées. La personne chargée de laver le corps avait mis de la gaze dans l’oreille et le nez, mais le sang continuait de couler… Le linge blanc n’était plus blanc mais taché de rouge et d’une couleur qui ressemblait à la rouille.
Il a ajouté que les autorités semblaient avoir pratiqué une autopsie :
Ils ont dit qu’il était mort d’une crise cardiaque, mais ils avaient pratiqué une autopsie sur son corps et à la tête. La tête était ouverte, comme s’ils l’avaient ouverte d’un côté et rabattue en arrière. Pourquoi ont-ils fait ça ? Aucune explication ne nous a été fournie… Plusieurs points de suture étaient visibles à la tête et sur son corps et ils continuaient de suinter. On avait beau laver les points de suture, ils suintaient et son sang était encore chaud. Il avait des marques bleues et brunes autour des yeux et sur le corps, les marques étaient visibles sur tout le corps.
Un membre de la communauté musulmane qui a aidé à préparer le corps de Khin Maung Latt pour son enterrement selon le rituel musulman a déclaré qu’il y avait de profondes blessures sur son dos et ses mains, caractéristiques d’actes de torture.
Selon le docteur Haar, qui a examiné neuf photographies et une vidéo du corps de Khin Maung Latt, les points de sutures pratiqués sur les plaies de l’autopsie à la tête et à la poitrine l’ont été de manière peu rigoureuse et par du personnel non qualifié : « Les points de sutures sont très inhabituels et ne sont pas conformes aux bonnes pratiques médicales. Le fait même de procéder à une autopsie dans des circonstances aussi inhabituelles peut également suggérer une complicité médicale avec les actes de torture manifestement infligés à cette personne ».
Le corps de Khin Maung Latt a été incinéré au cimetière de Ye Way le 7 mars, moins de 24 heures après son arrestation. L’ami de Khin Maung Latt a déclaré que les autorités n’avaient pas fourni de certificat médical ou de rapport d’autopsie à la famille.
Human Rights Watch – September 13, 2022
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