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Laos : qu’est devenu Sombath Somphone dix ans après sa disparition forcée?

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Dix ans après l’enlèvement d’un des plus influents défenseurs des droits de l’homme au Laos, la société civile internationale ne veut pas l’oublier. Ses proches et de nombreuses ONG continuent d’interpeller le gouvernement laotien pour qu’il mène une enquête indépendante et fournisse des informations crédibles sur son sort. 

Shui Meng, l’épouse de Sombath Somphone, s’exprime sur sa longue quête de vérité et de justice et dresse un bilan sombre de la situation des droits de l’homme au Laos.

Shui Meng : Cela fait maintenant dix ans que je n’ai aucune nouvelle, je suis face à un mur. Je continue à me demander ce qui a pu lui arriver. Jusqu’à présent, je n’ai obtenu aucune réponse des autorités.  

RFI : Le jour de sa disparition le 15 décembre 2012 à Vientiane, Sombath est arrêté devant un poste de police pour un banal contrôle routier avant d’être emmené quelques minutes plus tard par des inconnus dans une fourgonnette blanche. La scène, de ce qui ressemble à un enlèvement par des hommes en civils, a été filmée par une caméra de vidéosurveillance. Ce sont les dernières images de lui avant sa disparition. 

La police a effectivement reconnu l’avoir interpellé, mais ils m’ont dit ne pas savoir ce qui lui était arrivé ensuite. Dans un premier rapport publié après la disparition de Sombath, la police a promis d’enquêter, mais à mesure que le temps passait, la version a commencé à changer. Prétextant des images de piètre qualité, ils se sont mis à douter que la personne sur les images était bien Sombath.

En fait, plus le temps passait et plus la police s’enfermait dans le déni. À vrai dire, je n’ai aucune information sur l’identité des personnes qui l’ont enlevé. Mais comme je l’ai déjà écrit à plusieurs reprises, sa disparition pourrait avoir été une sorte d’avertissement à la société civile laotienne, une façon de leur dire de ne pas poser trop de questions.   

Mais pourquoi Sombath aurait-il été victime de disparition forcée ? Qui dérangeait-il ? Un événement majeur pourrait être à l’origine de son enlèvement ?

Sombath était considéré comme une sorte de leader par les ONG. Il a joué un rôle dans l’organisation de l’AEPF, le forum des peuples, qui s’est tenu conjointement avec l’Asem, le sommet Europe Asie. La participation d’un très grand nombre d’organisations européennes et asiatiques a eu un écho très important. Poser des questions sur les politiques économiques et de développement dérangeait les autorités laotiennes qui ont choisi de mettre un coup d’arrêt à ce puissant mouvement de la société civile.

Et pour remettre les choses dans leur contexte, avant la disparition de Sombath, la directrice d’une ONG suisse, Helvetas, qui travaillait très étroitement avec Sombath et a aidé dans l’organisation du forum des peuples, a été expulsée du pays. C’était donc un avertissement aux organisations internationales et l’enlèvement de Sombath était un rappel à l’ordre aux Laotiens.

Le Laos, pays enclavé et pauvre en industrie, est présenté comme la future batterie de l’Asie du Sud-Est. Le pays possède 44 barrages financés en grande partie par la Chine et la Thaïlande. Quarante-six autres projets d’investissements sont en cours. Pour empêcher toute contestation, le gouvernement harcèle, menace ou emprisonne tout villageois, fermier ou militant qui ose demander justice ou réparation pour l’accaparement des terres. Mais le travail de Sombath portait surtout sur l’éveil des consciences et l’éducation de la population sur ses droits.

Sombath ne critiquait jamais directement le gouvernement au sujet des concessions foncières, des expropriations ou de la construction du barrage de Sayaburi par exemple. En revanche, lors de ces voyages à travers le pays, il conseillait les communautés sur leurs droits. Il disait aussi que la population et les pauvres devaient être protégés. Les questions environnementales lui tenaient à cœur. Il travaillait avec les jeunes en les encourageant à réfléchir par eux-mêmes. Et lorsqu’il s’adressait au gouvernement, c’était pour lui dire d’écouter la population, de laisser les jeunes et les exclus de la société s’exprimer et de ne pas uniquement écouter les puissants.   

À ce jour, le sort des dix autres militants reste inconnu. Depuis 2014, comme le Vietnam ou la Birmanie, le Laos punit toute critique du gouvernement sur internet. C’est le cas d’une blogueuse Muay, condamnée à cinq ans de prison pour avoir critiqué les négligences du gouvernement et leur mauvaise gestion des dégâts causés par la rupture d’un barrage en pleine construction dans le sud du pays. Ou encore d’Od Sayavong, 34 ans, un critique des autorités laotiennes qui a disparu à Bangkok en août 2019. Selon Shui Meng, la disparition de Sombath a porté un coup dur au travail des ONG. 

La peur est très présente. Les gens ne parlent plus de rien, personne ne mentionne Sombath, même ceux qui le connaissent ne m’approchent plus. Mais même si les gens ont peur, des organisations continuent de travailler sur les sujets environnementaux, en se mobilisant sur le terrain. Dans une certaine mesure, je dirais que son travail se poursuit, même si la dynamique n’est plus la même. Je dirais qu’au Laos, ces activités sont plus secondaires. C’est en dehors du Laos, dans des pays plus ouverts et où les gouvernements sont moins répressifs que son influence continue d’exister.

Je compte poursuivre ma quête de vérité et de justice sur ce qu’il s’est vraiment passé. Je continuerai à exiger des réponses, même si le gouvernement laotien refuse de m’en donner pour l’instant. Je pense qu’un jour, nous connaîtrons la vérité et j’espère que les gens qui connaissent Sombath ou qui ont été influencés par ses enseignements continueront d’agir. Je pense que la vérité ressortira un jour, c’est en tout cas mon espoir.  

Un espoir que partagent 66 organisations internationales qui ont signé un appel pour demander aux autorités laotiennes de briser le silence et d’informer la communauté internationale sur ce qui s’est passé ce 15 décembre 2012. Sombath Somphone ne sera pas oublié.  

Par Jelena Tomic – Radio France Internationale – 8 janvier 2023

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