La dernière reine de Thibaw est décédée aux États-Unis : l’incroyable destin d’une Autrichienne devenue une princesse birmane
Sao Nang Thu Sandi, veuve du dernier souverain de Thibaw, est décédée le 5 février 2023 à 90 ans, dans l’État américain du Colorado. Cette Autrichienne avait épousé le saopha de Thibaw en 1953. Elle a poussé son dernier souffle, là où elle avait rencontré son défunt mari, après des années de combat pour aider le peuple shan et les Birmans.
Une paysanne autrichienne devenue « souveraine céleste » d’une principauté en Birmanie
Il y a des destins à peine croyables, comme celui d’Inge Eberhard, née le 23 février 1932 en Carinthie, dans le sud de l’Autriche. Après une enfance modeste, marquée par la Seconde Guerre mondiale et les arrestations de ses parents par les Nazis, elle parvient à décrocher l’une des premières bourses universitaires pour les femmes, et part étudier aux États-Unis en 1951.
C’est au Colorado que la jeune Inge tombe sous le charme exotique de Sao Kya Seng, un étudiant ingénieur de l’École des mines. Leur union est scellée par un mariage, célébré chez un ami, il y a près de 70 ans, le 7 mars 1953. Par la même occasion, Inge Eberhard prend le nom de Sao Nang Thu Sandi. Derrière l’élégance de son jeune époux, se cache une éducation royale mais elle l’ignore. Sao Kya Seng est le jeune souverain d’une principauté shan, en Birmanie, mais son épouse autrichienne ignore encore son identité. Peu de temps après son mariage, le devoir appel Sao Kya Seng dans son pays d’origine. C’est en Birmanie que le jeune trentenaire emmène son épouse, où leur vie va changer du tout au tout.
Inge Ebherard devient Sao Nang Thu Sandi et l’épouse du saopha de Thibaw
Depuis 1947 déjà, Sao Kya Seng était le souverain de Thibaw, une principauté située à l’est de la Birmanie. Son retour au pays, de surcroît marié, sera l’occasion d’organiser un couronnement officiel en 1954. Sao Kya Seng est officiellement titré saopha et son épouse est titrée mahadevi. Saopha signifie littéralement « prince céleste » et est habituellement traduit simplement par « roi ». Ce titre était utilisé au sein des principautés du peuple shan, comme la principauté de Thibaw. Il existe d’autres translittérations du titre comme jaopha ou chaopha, et également une francisation en sorboir, que l’on peut trouver dans d’anciens textes coloniaux. Après un retour triomphal à Hsipaw, le nouveau couple royal devient extrêmement populaire. La mahadevi Sao Nang Thusandi donne naissance à deux filles, Sao Mayari et Sao Kennari.
La principauté de Thibaw est aussi appelée principauté (ou royaume) de Hsipaw. Hsipaw est la translittération internationale utilisée encore aujourd’hui pour désigner le district de Hsipaw, situé dans l’actuel État shan. La Birmanie (Myanmar) compte aujourd’hui 14 subdivisions administratives (7 sont des régions et 7 sont des États). L’actuel État shan regroupe plusieurs anciennes principautés où vivait la population shan, d’où son nom complet qui est officiellement Union des États shan.
Le souverain Sao, formé en génie rural aux États-Unis, commence à réformer son pays. Il donne ses rizières aux paysans pauvres. Il offre du matériel, comme des faucilles. Il réactive une mine de sel, soutient la culture d’oranges et d’ananas. Le site autrichien Auto Touring raconte que son objectif ambitieux était « d’abolir un jour le système féodal » et donc de mettre fin à sa propre fonction de monarque. Il implique aussi son épouse dans sa politique et la charge de la modernisation de la maternité, le taux de mortalité infantile étant alarmant, à plus de 75%.
Le dernier souverain de Hsipaw disparaît à jamais
Les principautés shans, et en particulier celle de Thibaw, ont des histoires millénaires. En 1948, lorsque la Birmanie prend son indépendance du Royaume-Uni, elle installe une république, mais conserve certaines de ses principautés dont Thibaw. La principauté de Thibaw couvrait à la fin du 19e siècle une superficie d’environ 8200 km2, soit environ l’équivalent de la superficie de la Corse. Selon le dernier recensement britannique des Indes en 1891, le pays comptait environ 200 000 habitants.
En 1959, la Birmanie supprime définitivement les monarchies coutumières et impose la république à l’ensemble du territoire. Sao Kya Seng, dernier saopha de Thibaw abdique. Il restera toutefois membre de la Chambre des Nationalités, chambre haute du parlement birman, jusqu’en 1962. Il était aussi membre du Conseil d’État shan, secrétaire général de l’Association des princes Shan et représentant de la circonscription de l’État shan jusqu’en 1962, date du coup d’État du général Ne Win qui mena à l’arrestation de l’ancien souverain. Arrêté à un point de contrôle, Sao Kya Seng sera détenu dans un endroit resté secret et disparaîtra à jamais de la circulation. Personne ne sait ce qui lui est arrivé ni la date de sa mort.
La reine de Thibaw est elle aussi arrêtée avec ses deux filles. Elles seront maintenues en captivité pendant deux ans, n’empêchant pas l’ancienne souveraine de mener des recherches pour apprendre coûte que coûte ce qui était arrivé à son époux. Elle apprendra qu’il est décédé en détention. Après sa libération, Sao Nang Thu Sandi quitte la Birmanie et retourne vivre chez ses parents en Autriche.
La dernière reine de Hsipaw est décédée au Colorado sans jamais avoir abandonné son combat pour les minorités birmanes
Après deux années auprès de sa famille, elle décide de recommencer sa vie, là où elle a rencontré son défunt mari, au Colorado. Inge deviendra professeure d’allemand dans un lycée américain et se remariera en 1968 à Howard “Tad” Sargent. Après sa retraite en 1993, l’ancienne « souveraine céleste » de Hsipaw a écrit une autobiographie et en 2015, un film autrichien, Dämmerung über Birma, adapté de son livre est sorti dans les salles du monde entier, excepté en Thaïlande et en Birmanie où il est censuré. Les bénéfices des ventes de son livre lui ont permis de créer avec son époux une fondation pour venir en aide aux Birmans.
Elle n’a jamais cessé de soutenir les Birmans dans le besoin. En 2000, Inge Sargent a été récompensée d’un prix humanitaire de l’Association des Nations Unies du district de Boulder (Colorado) pour ses actions menées en tant que « présidente de Burma Lifeline, une organisation caritative qui aide les réfugiés birmans à survivre dans les pays frontaliers de la Birmanie »
Le journaliste Frédéric de Natal rapporte le décès de cette femme au destin incroyable. « Sa vie aura été marquée par le sceau de la tragédie », écrit-il en rappelant qu’elle est née dans une famille de paysans autrichiens qui ont subi les arrestations des Nazis. Elle a ensuite connu les atrocités du régime dictatorial birman avant de terminer sa vie là où elle avait trouvé l’amour, sans jamais abandonner ses combats. Le journal du peuple Shan multiplie les hommages depuis le décès de la dernière souveraine de Hsipaw.
Par Nicolas Fontaine – Histoires royales – 8 février 2023
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