En Birmanie, la junte accusée de persécuter les avocats
Dans un rapport publié jeudi, l’ONG Human Rights Watch constate «une tendance émergente à l’intimidation et au harcèlement» des avocats depuis le coup d’Etat de 2021.
«Nous sommes lourdement surveillés. Les juges nous disent que nous ne pouvons pas poser certaines questions aux témoins. Nous recevons des menaces de la part des responsables des prisons, des services de renseignement et de simples habitants. Ils notent nos noms, nous prennent en photo, viennent chez nous et nous observent de l’extérieur. Ils ont toutes nos coordonnées, ce qui fait qu’une menace constante pèse sur nous.» Celui qui témoigne ainsi, dans un rapport publié ce jeudi 8 juin par l’ONG Human Rights Watch, est un avocat birman dont l’identité est tenue secrète pour des raisons de sécurité, et son récit en dit long sur la brutalité de la répression exercée par la junte depuis qu’elle a pris le pouvoir à la suite d’un coup d’Etat, en février 2021.
En près de deux ans et demi, les militaires ont instauré un état d’urgence plusieurs fois renouvelé et toujours en vigueur, sévèrement restreint les libertés publiques et individuelles, incarcéré plus de 20 000 opposants… Le tout sur fond d’affrontements sanglants et persistants entre l’armée et ceux qui continuent de lui résister.
Les avocats sont des cibles privilégiées du Conseil d’administration de l’Etat (l’appellation officielle de la junte), alerte Human Rights Watch, qui constate «une tendance émergente à l’intimidation et au harcèlement à l’encontre de [ceux qui] représentent des prisonniers politiques». «Tous ceux à qui j’ai parlé [19 au total, ndlr] m’ont confié qu’ils avaient été l’objet de menaces et de mauvais traitements, soupire Manny Maung, l’autrice du rapport, interrogée par Libération. C’est que les avocats forment la dernière ligne de défense des droits humains en Birmanie. Ce sont eux, par exemple, qui donnent des informations sur ce qui se passe dans les prisons. Mais le gouvernement veut se débarrasser de toutes les voix critiques.»
Coups et privations
Selon l’Association d’assistance aux prisonniers politiques, 32 avocats étaient détenus dans les geôles du régime en avril 2023 – mais le nombre réel de ceux qui ont été incarcérés depuis le coup d’Etat est «probablement beaucoup plus élevé», précise Human Rights Watch. La grande majorité d’entre eux est poursuivie en vertu d’une disposition du code pénal qui punit la diffusion de «fausses nouvelles» ou de commentaires qui «causent de la peur». D’autres doivent répondre d’accusations formulées dans le cadre d’une loi antiterroriste.
Dans certains cas, les avocats subissent en outre des violences physiques, voire des actes de «torture». Ainsi de Tin Win Aung, arrêté en compagnie de deux confrères en juin 2022, alors qu’il comptait parmi ses clients un opposant notable au régime du général Min Aung Hlaing. «Ils lui donnaient des coups de poing dans la poitrine et dans le dos. Il avait des blessures comme des coupures causées par des coups de couteau. Les os de ses jambes étaient fracturés. En raison des coups qu’il avait reçus, ses poumons étaient également endommagés», décrit une source anonyme citée dans le rapport. Au moment de l’interrogatoire, «on me bandait les yeux et on me forçait à m’agenouiller, les bras attachés derrière le dos. A chaque fois, on m’interrogeait comme ça, pendant des heures», raconte une autre avocate, arrêtée en octobre 2021, qui dit aussi avoir été privée d’eau et de nourriture pendant les interrogatoires.
«Seulement un aspect de tous les crimes commis par la junte»
Conséquence de ces persécutions : «Il y a désormais extrêmement peu d’avocats qui peuvent travailler en Birmanie. Beaucoup se cachent pour échapper aux poursuites ou parce qu’ils ont peur», observe Manny Maung. Et les conditions d’exercice de ceux qui restent sont battues en brèche. Depuis deux ans, la junte a mis sur pied des cours spéciales, au sein desquelles les marges de manœuvre des avocats sont sérieusement limitées (les conversations privées avec leurs clients avant les audiences leur sont interdites, par exemple), et des tribunaux militaires (dans les zones où s’applique la loi martiale), où leur présence est carrément interdite. Des pratiques qui renforcent l’arbitraire du régime et privent ses adversaires de leur droit à un procès équitable, pourtant garanti par la Déclaration universelle des droits de l’homme.
«Les attaques contre les avocats représentent seulement un aspect de tous les crimes commis par la junte, qui constituent des crimes contre l’humanité. Elles montrent qu’on ne peut pas attendre de la junte qu’elle améliore quoi que ce soit», souligne Manny Maung. Human Rights Watch appelle les Etats membres de l’ONU à renforcer les sanctions visant les militaires au pouvoir et leurs intérêts économiques. L’ONG espère aussi que la rapporteuse spéciale des Nations Unies sur l’indépendance des juges et des avocats ouvre une enquête sur la situation en Birmanie.
Par Samuel Ravier-Regnat – Libération – 9 juin 2023
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