En Birmanie, des groupes ethniques résistent face à la junte
Le peuple Chin, installé dans l’Etat du même nom (nord-ouest de la Birmanie), vit comme d’autres groupes armés ethniques en situation de guerre depuis le coup d’Etat du 1er février 2021. Deux mille femmes et hommes, dont une majorité de jeunes, ont rejoint l’armée nationale Chin pour défendre la démocratie.
A la suite du coup d’Etat, le président et la chef du gouvernement Aung San Suu Kyi ont été arrêtés par l’armée, qui a proclamé l’état d’urgence. Depuis, les militaires ne cessent de réprimer les mouvements pro-démocratie qui réclament des élections libres et un gouvernement élu.
Les Chin ne sont d’ailleurs de loin pas la seule minorité en guerre contre la junte: le pays entier est le théâtre de combats armés.
Dans son film « Birmanie, la résistance Chin », visible sur le site d’Arte, le journaliste Antoine Védeilhé raconte le chaos qui règne dans le pays à travers l’histoire des Chins. Invité cette semaine dans l’émission Tout un monde, il confirme que l’ensemble du pays est en état de guerre. « Ce n’est pas une petite guérilla qui se passe dans les jungles ou les montagnes du pays. Non. Il y a la guerre sur tout le territoire. »
Cette situation, précise le réalisateur, est due au fait qu’il existe en Birmanie des « poches de résistance ». « Elles sont tenues par des groupes armés ethniques. La Birmanie compte 135 ethnies et certaines de ces ethnies se sont alliées pour combattre la junte au pouvoir. Aujourd’hui, le pays est plongé dans la guerre civile et il y a des combats partout, sauf dans les grandes villes que sont Rangoon, Naypyidaw et Mandalay. Sinon, dans les plaines, les montagnes et les forêts, il y a la guerre. »
L’armée nationale Chin compte aujourd’hui plus du double de soldats qu’avant le coup d’Etat. Sur les 500’000 personnes que compte le peuple Chin, les combattants ne représentent qu’une faible proportion, mais ils ont le soutien de toute la population.
Le danger est partout
Si les grandes villes sont épargnées, la situation reste dangereuse partout. « Dans les grandes villes, il n’y a pas de combats, mais s’il y a des manifestations, elles sont toujours violemment réprimées. C’est pour ça que les jeunes, qui constituent la majorité des combattants contre la junte, quittent les villes pour rejoindre les groupes rebelles ethniques. Ceux-ci n’ont pas attendu le coup d’Etat pour se former. Certains existent depuis plus de 60 ans », signale Antoine Védeilhé.
« La vie est dangereuse partout en Birmanie parce que la junte mène des politiques de terreur, un peu à l’image de ce que l’on peut voir en Ukraine. La junte suit un peu la stratégie russe. C’est-à-dire que là où elle est en échec sur le terrain, elle bombarde. Elle le fait à l’aveugle, y compris sur les populations civiles », développe-t-il.
Tout quitter pour combattre la junte
Les Chins avaient signé en 2012 un cessez-le-feu avec la junte au moment du début de la transition démocratique en Birmanie. Après le coup d’Etat de 2021, ils ont été les premiers à reprendre les armes. « Beaucoup de jeunes qui ont grandi dans une Birmanie en paix ont vu leurs espoirs de transition démocratique s’envoler. Ils se sont dit que s’ils ne voulaient pas connaître ce que leurs parents ont vécu en grandissant sous la dictature militaire, il fallait se battre pour défendre la démocratie qu’ils avaient connue », explique le réalisateur.
Les soldats sont particulièrement jeunes, rapporte-t-il également. « On dit que ce sont des combattants de la génération Z, nés dans les années 2000. La plupart ont donc entre 20 et 25 ans. Ils veulent le modèle d’une démocratie fédérale à l’américaine. Ils ont grandi dans un pays en paix, qui s’ouvrait au tourisme, avec les réseaux sociaux. Aujourd’hui, voir leur pays plongé dans la guerre, ça les pousse à rejoindre ces groupes armés ethniques. C’est pour ça qu’ils ont décidé d’abandonner leurs études, leur métier. Certains étaient avocats, journalistes, d’autres garagistes », ajoute Antoine Védeilhé.
Quarante pour cent des jeunes ne se présentent pas à l’examen équivalent au baccalauréat parce qu’ils font la guerre, explique Sophie Boisseau du Rocher, chercheuse au Centre Asie à l’Institut français des relations internationales.
Situation difficile pour les civils
Outre les risques de bombardements, les Birmans doivent composer avec une économie exsangue, décrit Sophie Boisseau du Rocher. « Près de 25% d’entre eux vivent avec le minimum vital. La situation alimentaire est particulièrement fragile et l’industrie ne repart pas. La Birmanie vit sur ses matières premières. C’est un secteur complètement contrôlé par la junte. Les ressources qui pourraient bénéficier à la population ne sont pas partagées avec l’ensemble des habitants. La situation reste donc dramatique, et ce aussi bien dans les villes que dans les campagnes. »
Du côté de la politique, pas de sortie de crise non plus à l’horizon, observe la spécialiste de la Birmanie. « Pour l’instant, c’est un blocage politique total. On peut espérer que des partenaires extérieurs puissent faire pression sur la junte, notamment évidemment la Chine, car elle a de sérieux intérêts. Il n’est pas impossible que cette instabilité finisse par irriter les partenaires chinois, qui seraient prêts à faire pression sur le gouvernement pour essayer d’ouvrir les discussions.
L’Asean (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) pourrait aussi jouer un rôle de médiateur, selon Sophie Boisseau du Rocher. L’organisation a déjà présenté un plan en cinq points, mais il a été rejeté par la junte. La chercheuse relève ce qui pourrait être un tout petit signe d’ouverture: la rencontre récente entre Ang San Su Kyi, assignée à résidence depuis le coup d’Etat, et le chef de la diplomatie thaï la semaine dernière, une première depuis le putsch.
Par Blandine Levite – Radio Télévision Suisse – 18 juillet 2023
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