Au Cambodge, un nouveau Premier ministre et peu de changements attendus
Fils de Hun Sen, qui a dirigé le pays d’une main de fer pendant 38 ans, le nouveau Premier ministre est un novice en politique. Les observateurs ne s’attendent à aucune réforme significative de sa part.
Après le père pendant 38 ans au pouvoir… place au fils. Ce lundi, le roi du Cambodge a nommé par décret royal Hun Manet au poste de Premier ministre, succédant à son père Hun Sen, qui a dirigé le pays d’une main de fer. Quelques jours après une victoire écrasante aux élections législatives controversées de juillet, Hun Sen , âgé de 70 ans, a annoncé démissionner de son poste de Premier ministre au bénéfice de son fils de 45 ans.
Le Parti du peuple cambodgien (CPP), actuellement au pouvoir, a remporté 120 des 125 sièges de la chambre basse. Reste maintenant à Hun Manet et à son gouvernement la formalité d’obtenir, le 22 août, un vote de confiance au Parlement, ce qui devrait être une formalité. Le nouveau gouvernement sera composé de jeunes ministres, dont certains occuperont les postes laissés vacants par leurs pères.
Pas de changements de cap attendus
Hun Manet, général quatre étoiles, s’est formé en Grande-Bretagne et à l’académie militaire américaine de West Point. Il dirigeait l’armée de terre cambodgienne depuis 2018.
Sebastian Strangio, auteur d’un ouvrage sur le Cambodge sous Hun Sen, estime que Hun Manet a assez « peu démontré qu’il allait faire plus que des changements cosmétiques au système politique actuel ». Sans le soutien de son père, il n’est pas sûr qu’il puisse apporter du changement même s’il le voulait.
Il ne s’est pas encore frotté à l’arène politique, remarquait aussi ce mois-ci l’analyste Ou Virak, jugeant que le futur dirigeant, marié et père de deux filles et un garçon, a surtout été élevé à la petite cuillère, et que celle-ci était dorée.
L’ombre du père va encore planer
Cela fait plus d’un an que Hun Sen parlait de transmettre le pouvoir à son fils aîné, qui a joué un rôle de premier plan dans la campagne pour les législatives de juillet. Mais Hun Sen a clairement fait savoir qu’il avait l’intention d’exercer une influence, même après son départ, écartant ainsi tout changement d’orientation.
« Ce n’est pas encore la fin », a-t-il posté lundi à la suite de la nomination de son fils, ajoutant qu’il continuerait à exercer d’autres fonctions au moins jusqu’en 2033. Il sera d’abord président du Sénat, numéro 2 dans le protocole après le roi Norodom Sihamoni, qu’il remplacera comme chef de l’Etat lorsque celui-ci sera à l’étranger.
« Simulacre de démocratie »
Le dernier scrutin législatif a été largement qualifié de simulacre de démocratie après l’exclusion de la principale force d’opposition, le Parti de la bougie, quelques semaines avant le vote pour ne pas s’être enregistré correctement auprès de la commission électorale. La quasi-totalité des nouveaux députés sont issus du parti au pouvoir et sont totalement acquis à la cause de l’ancien Premier ministre.
A la veille des élections, son rival de toujours, l’opposant Sam Rainsy, a été condamné à une inéligibilité de 25 ans pour avoir appelé les électeurs à déposer dans les urnes des bulletins non valides. En mars, Kem Sokha, chef de file du Parti de la bougie, a été condamné à 27 ans de prison et assigné à résidence pour trahison.
Exilé en France, Sam Rainsy a déclaré que les espoirs des Cambodgiens d’avoir plus de liberté sous Hun Manet ou qu’il puisse éloigner le pays de son principal bienfaiteur, la Chine, n’étaient pas fondés. « Je pense que c’est une pure illusion », a-t-il déclaré à l’AFP avant la nomination. « Vous pouvez changer de dirigeants plusieurs fois, rien ne changera parce que le système reste le même », a déclaré l’opposant politique.
Un pays en proie à la corruption
Arrivé au pouvoir en 1985, Hun Sen est accusé d’avoir fait reculer les libertés fondamentales et utilisé le système judiciaire pour museler ses adversaires, jetés par dizaines en prison au cours de ses mandats. Ses détracteurs affirment que son règne a également été marqué par la destruction de l’environnement et une corruption endémique.
Le Cambodge est classé 150e sur 180 dans l’indice de perception de la corruption de l’ONG Transparency International. En Asie, seules la Birmanie et la Corée du Nord sont moins bien classées.
Sous le règne de Hun Sen, le Cambodge a également opéré un rapprochement notable avec la Chine et promis de renforcer encore les liens. Un site militaire financé par Pékin et soupçonné par Washington d’abriter une base navale secrète chinoise sera bientôt inauguré.
Par Mathieu Viviani – Les Echos avec Agence France Presse – 7 août 2023
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