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L’infamant soupçon qui plane autour du Docteur Yersin (partie 1)

Alexandre Yersin… Sorte de saint laïc, le personnage est étroitement lié à deux localités du Vietnam, Nha Trang et Dalat, qu’il a marquées de son empreinte. Disciple de Pasteur, il reste célèbre pour la découverte, en 1894, du bacille de la peste.

Mais il reste tout aussi célèbre pour son attachement au Vietnam, dont il a été fait citoyen d’honneur à titre posthume en 2014. De là à prétendre Alexandre Yersin a tout pour figurer au panthéon des bienfaiteurs de l’Humanité, il n’y a qu’un pas que beaucoup de gens seraient prêts à franchir s’il n’y avait pas une ombre au tableau. Et quelle ombre…

« Si l’on a pu le soupçonner de pédophilie… », écrivent deux de ses biographes les plus éminents.

Est-il nécessaire de préciser que de nos jours, il n’en faut pas davantage pour clouer quelqu’un au pilori. Ce n’est pourtant que d’allégations qu’il s’agit, une allégation étant par définition une affirmation sans preuve.

Nicolas Leymonerie, qui est le directeur du centre francophone de Dalat, s’est penché sur le « cas Yersin », et il nous livre ici le résultat de ses recherches.

« La présomption d’innocence est un principe juridique selon lequel toute personne qui se voit reprocher une infraction est réputée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été légalement démontrée »

A bon entendeur…

L’infamant soupçon qui plane autour du Docteur Yersin

À la mémoire du Docteur Nguyen Thi The Tram, cofondatrice et ex-présidente de l’Association des admirateurs de Yersin de la province de Khanh Hoa, disparue le 23 juillet 2023 à Hanoï à l’âge de 95 ans.

Après avoir fêté les 80 ans de sa mort le 1er mars et les 130 ans de sa découverte du plateau du Lang Biang le 21 juin de cette même année, les admirateurs du Docteur Yersin, et en particulier ceux de la ville de Nha Trang, s’apprêtent à célébrer les 160 ans de cet humaniste polymathe dont le souvenir de la découverte du bacille de la peste à Hong Kong en 1894 eut une résonance particulière ces dernières années.

Sujet d’admiration et même de vénération, ce disciple de Pasteur demeure le seul colon français dont le nom est attribué, au Vietnam, à des rues ou à des établissements, et mieux encore, à qui les Vietnamiens vouent un culte, dans ce qui était sa maison à Suoi Dau désormais transformée en pagode, à l’instar d’un bodhisattva.

Les ouvrages hagiographiques ne manquent pas concernant cet homme qui semble tout entier voué aux progrès de la science pour le bien de l’humanité en général et des Vietnamiens en particulier. Pourtant, une ombre au tableau vient obscurcir d’une manière aussi discrète que redoutable le portrait de ce grand bienfaiteur.

Yersin et moi

Dans mon souvenir, ce n’est qu’au cours de l’année 2007 où, sans doute lors de mon premier séjour à Dalat, que j’appris l’existence du Docteur Alexandre Yersin en parcourant les lignes d’un guide touristique. Quatre années plus tard, au cours de ce qui fut cette fois mon installation dans cette ville d’altitude, je commençais à me prendre d’une réelle passion pour ce Français né en Suisse romande qui, tout comme moi, arriva au Vietnam dans la vingtaine pour ne plus en partir. Je rejoignis d’abord l’association montpelliéraine des « amis de Dalat sur les traces de Yersin » de Madame Anna Owhadi-Richardson que je soutenais dans l’organisation d’événements culturels avec des partenaires prestigieux tels que l’Institut Pasteur, l’OIF, les Ambassades de France et de Suisse, mais aussi les autorités locales et les autres associations d’admirateurs de Yersin (la plus ancienne étant à Nha Trang et la plus récente en Suisse).

En 2012, j’eus l’opportunité de participer à un ouvrage collectif, « Les Instituts Pasteur du Vietnam face à l’avenir – Alexandre Yersin à l’heure d’Internet », avec certains représentants de tout ce beau monde. En effet, je venais de concevoir une application éducative pour faire connaître le fameux docteur au jeune public. Je faisais alors connaissance avec les meilleurs spécialistes du pasteurien, notamment Madame Annick Perrot, ancien conservateur honoraire du musée Pasteur ayant participé à la conception du musée Yersin de Nha Trang, la famille Minssen, descendante de Franck Yersin (frère aîné d’Alexandre), ou le fondateur de l’association suisse, Monsieur Jacques-Henri Penseyres.

En 2013, je rencontrai Patrick Deville à Dalat alors qu’il venait présenter son livre « Peste et Choléra » pour lequel il obtint le Prix Fémina l’année précédente. Je puis citer également Stéphane Kleeb, réalisateur de l’excellent documentaire « Ce n’est pas une vie que de ne pas bouger » parmi les autres personnalités qui ont émaillé mon parcours yersinien. Toutefois je tiens à préciser que, même si j’ai pu en consulter certaines, ce qui suit n’engage aucune de ces personnes.

Le grain de sable

Ces douze dernières années, je lus ou vis la plupart des oeuvres de référence concernant Alexandre Yersin, j’eus également à accomplir des recherches assez poussées pour mieux comprendre le personnage, visitant à de multiples reprises le musée qui lui est consacré à Nha Trang, où l’on peut voir notamment sa bibliothèque et quelques-unes de ses lettres manuscrites.

Mais très rapidement, je trouvais sur Internet un détail qui venait ternir l’image d’un homme vanté pour son intelligence, son sérieux et sa générosité envers les plus faibles. Je découvris, dans une fiche biographique, la mention d’allégations de pédophilie le concernant, comme pour justifier son éternel célibat et son affection indéniable pour les enfants. Deux sources venaient en soutien à cette thèse, d’une part le livre biographique de référence concernant Yersin, « Alexandre Yersin ou le vainqueur de la peste », et d’autre part une revue marginale revendiquant sa préférence pour les jeunes garçons qui s’appuyait sur la première. Bien que l’irréprochable coauteur de la biographie, Henri H. Mollaret, parle de rumeurs auxquelles ils ne croyaient pas lui-même, ce qu’il écrivit donna néanmoins du grain à moudre à l’interprétation contraire. Pour ma part, je me rangeais à son opinion avisée et me désolais de voir la réputation de Yersin ainsi entachée par quelques mots qui avaient toutefois un écho significatif car étant lus par toute personne s’intéressant un tant soit peu à lui : « on a pu le soupçonner de pédophilie ». Même invalidés par l’auteur, cela sonne comme une accusation de facto, sans que nous puissions savoir réellement qui était ce « on ». Quelque temps plus tard, j’eus un début de réponse d’après le témoignage qui me fut transmis par le descendant d’une famille ayant vécu à Dalat du temps de la colonisation et ayant collaboré avec Yersin dans le domaine agricole. Son grand-père, dont l’enfance se situait de 1920 aux années 1930, parlait du Docteur comme d’un homme qu’il ne fallait pas laisser seul avec les enfants, sous-entendant le risque de potentiels abus.

La rumeur aurait donc existé au moins du temps où le vénérable avait atteint l’automne de sa vie. Puis, j’appris que des chuchotements similaires circulaient jusqu’à notre époque dans les couloirs de l’Institut Pasteur, comme une légende sombre concernant cet auguste savant qui contribua à la renommée internationale de l’établissement.

Nous sommes donc en présence d’une sorte d’Albert Schweitzer à l’Indochinoise, célébré en tant que tel jusqu’à ce qu’une rumeur, plus ou moins persistante, ne vienne en ternir l’éclat.

Qu’en est-il réellement ? Le vrai-faux procès intenté à Alexandre Yersin n’est-il pas l’œuvre de bien-pensants zélés et peu regardant quant à la présomption d’innocence ?

Par Nicolas Leymonerie – Lepetitjournal.com – 13 septembre 2023

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