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En exclusivité, Gavroche donne la parole aux dissidents thaïlandais basés en France

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Gavroche a, depuis 1994, le cœur qui bat pour la Thaïlande. Pas une seule fois, nous n’avons détourné le regard lorsque la situation politique s’est avérée difficile. Et toujours, nous avons refusé d’appliquer sur le royaume des schémas trop franco-français. Gavroche connait la Thaïlande de l’intérieur. Nous en respectons les lois, ce qui n’empêche pas de garder une saine distance critique.

Ce que vous allez lire est unique. Exclusif ! Pour Gavroche, notre collaborateur Philippe Bergues a rencontré à Paris quelques uns des dissidents thaïlandais les plus actifs. Nous les avons écouté. Nous savons que plusieurs d’entre eux sont recherchés en Thaïlande. Mais notre rôle de passerelle entre la Thaïlande et la France justifie cette écoute. A lire ! car Gavroche, c’est ça. Respect et liberté. Audace et connaissance intime des sociétés.

Gavroche a rencontré à Paris trois réfugiés politiques thaïlandais lors d’un « Facebook Live », organisé par Yan Marchal, français expatrié durant deux décennies en Thaïlande et expulsé du pays en novembre 2021, pour avoir posté sur les réseaux sociaux des vidéos parodiques de la monarchie. Voici, à  travers ces témoignages, le ressenti de trois célèbres activistes sur l’actuelle transition politique en Thaïlande (1ère partie), sur leur représentation de l’institution monarchique (2ème partie) et enfin sur leurs conditions d’exil en France, devenu leur pays d’accueil (3ème partie).

Trois réfugiés politiques aux longs parcours militants

Jaran Ditapichai, 76 ans, a fui vers la France après le coup d’État militaire de 2014, craignant d’être emprisonné pour une durée de 3 à 15 ans pour avoir organisé en 2013 une pièce de théâtre commémorant la révolte étudiante de 1973, pièce jugée par les autorités comme portant atteinte à la monarchie. Il avait préféré s’envoler vers la France et demander l’asile politique. La France lui a donné le statut de réfugié en 2015 et dorénavant, Jaran a obtenu la citoyenneté française. Son parcours activiste date de ses années universitaires, il fut l’un des leaders du mouvement lors du massacre des étudiants manifestants du 6 octobre 1976 et dû se cacher durant des mois, avec d’autres, dans la forêt nordiste siamoise pour échapper à la répression anti-communiste en Thaïlande. Sous la période des gouvernements dirigés par Thaksin Shinawatra, Jaran Ditapichai a été membre de la Commission nationale thaïlandaise des droits de l’Homme avant d’en être exclus par l’Assemblée législative mise en place par la junte militaire qui avait pris le pouvoir suite au coup d’État renversant Thaksin le 19 septembre 2006. Aujourd’hui, Jaran est le président des « Démocrates thaïlandais sans frontières », association déposée en France, qui se concentre sur les combats des exilés politiques thaïlandais dans le monde. Il a ces dernières années obtenu à Paris deux Masters, l’un en histoire sociale et l’autre en philosophie, qui font sa fierté.

Khunthong Faiyen, avec pour nom thaïlandais Trairong Sinseupol, est musicien au sein du groupe Faiyen (« Feu glacé »). Militant politique, il a fondé ce groupe aux accents pop et luk thung moderne avec ses amis en 2011. Les chansons du groupe de musique Faiyen ont « l’objectif de servir pour les mouvements politiques et démocratiques » selon ses dires. Le groupe a émergé en tant que groupe produisant des chansons satiriques sur la monarchie thaïlandaise en 2011, après que les manifestations des Chemises rouges aient été réprimées par l’armée thaïlandaise. Le groupe s’est réfugié au Laos, cherchant à échapper à la loi de lèse-majesté, au moment du coup d’État thaïlandais de 2014.

Chom Faiyen ou Nithiwat Wanasiri est le chanteur principal du groupe Faiyen. Il est aussi à la fois compositeur et traducteur de chansons. Il était au Laos en 2014 après le coup d’État et a demandé l’asile politique pendant cinq ans, puis a déménagé en France où il est aujourd’hui jardinier-agriculteur dans une entreprise. Chom a été accusé de crime de lèse-majesté et de quelques autres mandats d’arrêt en Thaïlande, ces accusations sont toujours actives. Il ne pense pas pouvoir retourner en Thaïlande et ne le souhaite pas. « Je suis maintenant heureux et je me sens mieux ici en France » dit-il d’un ton persuasif. En 2019, craignant d’être menacés de mort par les autorités thaïlandaises, les membres du groupe Faiyen, Khunthong, Chom, Yammy, Tito, et l’ancien membre, Wat Wanlayangkoon, se sont exilés en France, où ils diffusent quotidiennement des podcasts sur la politique thaïlandaise. Port vit actuellement à Bangkok, il a été inculpé et brièvement emprisonné pour crime de lèse-majesté en 2021.

Première partie

Que pensez-vous de la situation politique présente ? Faites-vous toujours confiance au Pheu Thai et à Thaksin malgré leur alliance avec les partis militaires ? Croyez-vous que le Pheu Thai sera capable de travailler pour le peuple sans déshonorer les promesses faites au peuple ?

Jaran D. : après les élections du 14 mai 2023, il n’y a qu’une seule amélioration dans le pays, le départ du premier ministre Prayut Chan-o-cha et de son gouvernement dictatorial. C’est la nette amélioration et la seule chose qui s’est améliorée. Pour le reste, la situation empire à tous points de vue. Tout d’abord, le parti qui a obtenu le plus de voix, le parti majoritaire Kao Klai (Move Forward), n’a même pas pu former le gouvernement. En effet, les élites politiques et économiques se sont liguées pour empêcher le parti Kao Klai de former le gouvernement et pour Pita Limjaroenrat de devenir Premier ministre. Elles se sont mises d’accord pour que le Pheu Thai devienne le parti qui forme une coalition gouvernementale à la place. Troisièmement, le Pheu Thai s’est transformé en un parti conservateur, et non plus en un parti libéral/démocrate comme auparavant. Le Pheu Thai s’appelle toujours le Pheu Thai mais ce n’est plus le Pheu Thai. Il est désormais conservateur royaliste, déclarant protéger la monarchie. Le nouveau Premier ministre, Srettha Thavisin, qui est lui-même un homme d’affaires, fait des courbettes aux diverses autorités. Il est à noter que les jeunes militants pour la démocratie et leurs actions ont considérablement diminué, ils ne se font plus entendre et ne sont plus actifs. Autrefois, on pouvait entendre qu’ils critiquaient ouvertement le Roi. Aujourd’hui, on n’entend pratiquement plus parler de telles actions. Un certain nombre d’activistes sont enfermés dans des prisons, mais personne ne se soucie de protester ou d’appeler à leur libération comme auparavant. La trajectoire est assez dangereuse, car plus de 200 personnes accusées de crime de lèse-majesté seront emprisonnés plus longtemps à l’approche de la sentence finale. Depuis l’arrivée au pouvoir du Pheu Thai dirigé par le Premier ministre Srettha Thavisin, neuf personnes ont déjà été condamnées à des peines d’emprisonnement. Personne au sein du gouvernement ne s’est exprimé sur ces condamnations, personne.

Pensez-vous que le deal entre Thaksin (le Pheu Thai) et les partis militaires issus de la junte a été conclu récemment ou pas ?

Jaran D. : Il s’est formé récemment… honnêtement, si le parti Kao Klai (Move Forward) n’avait pas remporté la majorité, les choses auraient été différentes. Depuis que Kao Klai a remporté la majorité des voix, la situation s’est dégradée. Les gens qui étaient contre Thaksin huent maintenant le parti Kao Klai, considérant qu’il est devenu le nouvel ennemi. Les militaires considèrent que Pita et Kao Klai sont menaçants pour la société. On les diabolise.

Khuntong F. :Le 14 mai dernier, le parti Kao Klai, dont le principe majeur pendant la campagne électorale était d’en finir avec le délit de lèse majesté, a remporté la majorité des suffrages. Ce résultat électoral a ébranlé toutes les institutions, en particulier les royalistes, l’ancien gouvernement et les militaires. Le Pheu Thai a été forcé de changer et de collaborer avec les royalistes et les conservateurs. C’était en effet le seul moyen pour le Pheu Thai de répondre à leurs souhaits et d’accéder au pouvoir. Il est évident que le Pheu Thai n’est pas l’ancien Pheu Thai. Il est évident qu’il soutient les anciens régimes et on peut dire qu’il est en fait la troisième génération du NCPO (Conseil national pour la paix et l’ordre). Ou une sorte de gouvernement Prayut 3.

Chom F. : Je n’ai jamais fait confiance à aucun politicien. À mon avis, les institutions actuelles, rédigées par le NCPO, ne sont pas légitimes. Le peuple ne peut pas interférer avec ces projets de loi constitutionnels volés, il semble que tout le monde ne puisse pas ouvrir la bouche. Le nouveau gouvernement entre au Parlement avec les règles des constitutions volées, ses lèvres sont scellées.

Croyez-vous aux promesses faites par le parti Kao Klai (MFP), avez-vous le sentiment de sa volonté réelle de changer les choses et pensez-vous qu’il réussira ?

Jaran D. Franchement, le parti Kao Klai est un parti politique tourné vers l’avenir. Il est le seul grand patronage qui permet au grand public de penser et de voir les choses clairement, de lutter pour la démocratie, en particulier les nouvelles générations. Cependant, comme le Kao Klai est un parti politique, il est lié par les lois et la constitution en tant que parti politique. Il doit respecter les règles, se limiter à ce qui est légal et ne peut pas lutter librement pour atteindre ses objectifs. Le parti Kao Klai ne peut pas agir en dehors de son rôle parlementaire, car il risquerait alors d’être dissous. Le parti Kao Klai utilise aujourd’hui une tactique inédite dans l’histoire politique thaïlandaise pour obtenir davantage de poids au Parlement. Le parti a expulsé un député (de Phitsanulok), le Dr Padipat Santipada, premier vice-président de la Chambre (vers un parti allié à l’opposition). Il s’agit d’une nouvelle stratégie du parti pour obtenir plus de pouvoir au Parlement. (car le parti ne peut à la fois avoir un poste de 1er vice-Président et celui de leader de l’opposition parlementaire). Je ne suis pas sûr que cette action peu orthodoxe du parti soit couronnée de succès.

Pensez-vous que le parti Kao Klai est le parti idéal pour communiquer avec les classes populaires ou se synchronise-t-il davantage avec la classe éduquée (moyenne supérieure) urbaine dans des villes comme Bangkok ?

Jaran D. : Le parti Kao Klai s’adresse à la classe moyenne de la société, mais il peut également attirer le grand public. Il est évident qu’il a gagné des électeurs dans toutes les provinces, il a obtenu les votes du grand public et pas seulement des jeunes générations ou des étudiants. Dans la poursuite des élections de 2019 avec le Future Forward, le parti Kao Klai a réussi à attirer de nombreux groupes d’électeurs, car les gens ont écouté ses offres politiques de campagne qui correspondaient à leurs aspirations. Néanmoins, je pense personnellement que le parti Kao Klai sera très bientôt dissous.

Khuntong F. : Je pense qu’ils ont de bonnes intentions et que leurs politiques et stratégies sont bonnes, mais le problème est évident, même si vous avez gagné la majorité des votes, vous ne pouvez pas former un gouvernement ! Lors des prochaines élections, s’il s’agit d’une victoire écrasante, que feront-ils ? C’est parce qu’il y a un pouvoir caché qui fait de l’ombre au gouvernement. Que peut-on faire ? Le Pheu Thai n’a pas d’autre choix, il est obligé de se rallier à ce pouvoir de l’establishment. Mais je les encourage, car c’est le début d’une prise de conscience de la part du peuple. Le parti Kao Klai doit faire comprendre au public qu’une nouvelle façon de penser est inévitable. Les changements doivent être pris au sérieux et tout le monde doit penser différemment. Les conservateurs se réjouissent de la situation actuelle. Il est évident que le parti Kao Klai ne peut rien faire ni changer tant que la force la plus puissante se trouve au sein de l’institution monarchique.

Chom F. : Je vois qu’il n’y a pas d’espoir de révolution totale, mais une très petite réforme. Comment peut-on parler de révolution si l’on ne se débarrasse pas complètement de l’ancien système ? Nous sommes en exil parce que nous avons questionné le rôle et la puissance de la monarchie. Mon opinion n’a pas changé. Il faut pouvoir poser ces questions.

Par Philippe Bergues – Gavroche-thailande.com – 9 octobre 202

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