Les birmans de Malaisie : la société « parallèle » des réfugiés
En Malaisie, le HCR (le Haut Commissariat de l’ONU pour les réfugiés) estime le nombre de réfugiés birmans à plus de 150 000 (selon les chiffres de 2022). Les birmans représentent ainsi 87 % des réfugiés enregistrés sur le territoire. Des Rohingyas mais pas seulement.
La majorité des birmans vit en Malaisie depuis un certain nombre d’années, bien avant le coup d’État de 2021 en Birmanie.
Ces réfugiés n’ont pas la possibilité de travailler légalement, et ne peuvent pas suivre une éducation normale dans le pays. Dans ce contexte, les birmans de Malaisie organisent leur vie comme ils peuvent, telle une société dans la société.
Dans les rues de Kuala Lumpur, les réfugiés birmans restent discrets bien conscients de leur statut vulnérable. Ici, pas de différence entre migrants sans papiers et réfugiés. Emily (c’est son nom d’emprunt), une jeune birmane arrivée en 2007 en Malaisie avec ses parents, raconte son quotidien :
** »**Je suis venue ici parce que ce n’était pas sûr pour ma famille de rester au Myanmar. Ma mère est à moitié musulmane de Birmanie, mon père est moun, et les deux on fait un mariage inter racial, et ce n’était pas sûr pour eux, de vivre dans le pays. C’est dur pour moi de dire « Je me sens vraiment comme une malaisienne, oui au fond c’est ce que je suis » parce que je ne le suis pas, peut-être que oui, je mange la nourriture locale, je suis très intégrée, mais une partie de moi me fait sentir, que depuis toujours, je ne le suis pas complètement… je suis un peu à l’écart »
L’éducation est limitée pour les réfugiés en Malaisie
L’accès aux études supérieures aussi, ce qui rend la possibilité d’obtenir un emploi stable et bien payé, assez compliquée. Pour rappel, en Malaisie, il n’est pas non plus possible de travailler légalement pour un réfugié. Emily s’est battue pour trouver une parade, elle raconte :
« C’était dur pour moi d’avoir une éducation ici, parce qu’on ne peut pas aller dans les écoles gouvernementales. Concernant mon emploi, d’abord il faut savoir qu’il n’y a pas de contrat, ou de travail « légal » qui pourrait affecter la compagnie. C’est plus un travail sur une base free-lance je dirai, ce n’est pas comme si j’étais un employé de l’entreprise. Ils emploient plutôt quelqu’un d’externe pour faire quelque chose. »
Face à ses barrières, certaines associations mettent parfois à disposition des locaux pour permettre aux jeunes enfants de suivre une forme de scolarité. Si aucun diplôme reconnu n’est délivré, les enfants peuvent apprendre l’anglais grâce à ces structures. Cette mère de famille, birmane, traduit parfois les cours dans la langue natale des écoliers :
« Parfois ils ne comprennent pas. Je veux donc m’assurer qu’ils comprennent tout. S’ils apprennent l’anglais, et qu’ils se rendent dans un autre pays, ils pourront traduire pour leurs parents et leur famille qui ne comprennent pas l’anglais et traduire, les aider. Et si ils vivent aux Etats Unis ou en Australie par exemple, ils pourront suivre une éducation plus simplement. »
Si cette birmane parle de l’Australie et des Etats Unis, c’est parce que ce sont deux pays très souvent demandés par les réfugiés pour s’établir dans un « troisième pays » via une procédure de l’ONU. En attendant une réponse qui peut mettre des années à venir, une autre difficulté pour les réfugiés birmans est d’obtenir la carte de l’UNHCR, elle permet en théorie de ne pas être arrêté par la police.
« Parfois, je ne comprends pas comment l’UNHCR fonctionne. Je suis vraiment frustrée parce que l’un de mes fils, dans un mois, aura un an et on n’a toujours pas de carte. On a fait la demande en ligne mais ils n’appellent jamais.
Ils peuvent donner une carte à un bébé de deux mois, et d’autres attendent une ou deux années, ce n’est pas juste. »
Si le HCR dit travailler avec le gouvernement malaisien pour développer des politiques plus inclusives pour les réfugiés, la Malaisie ne dispose pas d’un système réglementant les droits et les statuts de ces derniers explique Zaid Malek, il est avocat et porte parole de l ‘ONG Lawyers for liberty :
« La chose à savoir, c’est que la Malaisie n’a signé aucune sorte de convention, au niveau international, concernant la reconnaissance du statut de réfugié. Il n’y a donc pas de protection pour les réfugiés. Même si certains ont pu obtenir un statut reconnu par l’UNHCR, ça ne les empêche pas d’être arrêtés par les autorités, parce qu’ils n’ont pas de statut légal, pas de protection à proprement parlé ici en Malaisie. C’est problématique parce que toute infraction en matière d’immigration, le résultat de celle-ci, une fois que vous avez été reconduit, c’est l’expulsion et on sait que ce sont des réfugiés et que ce n’est pas possible pour eux, ce n’est pas une fin en soit. »
Depuis le coup d’État en Birmanie en 2021, la communauté birmane de Malaisie s’attend à l’arrivée d’autres réfugiés dans le pays, parfois à la merci des passeurs.
Radio France Culture – 2 novembre 2023
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